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Intervention des forces de l'ordre  lors de la manifestation organisée à Tunis, le 1er mai 2025, contre le président tunisien Kais Saied et le recul des libertés et des droits humains dans le pays. Les manifestants  réclamaient également la libération de l'ancien juge Ahmed Souab et de plusieurs responsables de l'opposition. © Chedly Ben Ibrahim/NurPhoto via AFP
Intervention des forces de l'ordre lors de la manifestation organisée à Tunis, le 1er mai 2025, contre le président tunisien Kais Saied et le recul des libertés et des droits humains dans le pays. Les manifestants réclamaient également la libération de l'ancien juge Ahmed Souab et de plusieurs responsables de l'opposition. © Chedly Ben Ibrahim/NurPhoto via AFP

Condamnations de masse : la dérive autoritaire sans fin de la Tunisie

Près de 40 personnalités de l’opposition tunisienne ont été condamnées à l’issue d’un procès inéquitable. Pour avoir osé critiquer ce verdict, un avocat spécialisé dans la défense des droits humains a été arrêté. En l'espace de quelques jours, la répression de la dissidence en Tunisie s'est intensifiée de façon inquiétante.

De 13 à 74 ans de prison. Ce sont les peines prononcées contre 37 personnalités de l’opposition le 19 avril 2025, à l’issue d’un procès collectif inique qui s'est tenu à Tunis. Les accusé·e·s, dont Rached Ghannouchi (président du parti Ennahdha), Nejib Chebbi (dirigeant du Front de salut national), des avocat·e·s et des défenseur·e·s de droits humains ont été reconnus coupables de "complot contre la sûreté de l’État" et "appartenance à une organisation terroriste".  Ces personnes ont été condamnées uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits fondamentaux. Leur procès, qui s’est déroulé en l’absence des accusé·e·s a été entaché de vices de procédure.

74ansde prison pour l’homme d’affaires Kamel Ltaeif
43ansde prison pour la figure de l’opposition Noureddine Bhiri et le défenseur des droits humains Bochra Bel Haj Hmida
18ansde prison pour les opposants Jaouhar Ben Mbarek, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi et Chaima Issa

Une parodie de justice

 🔺 Absence des accusés aux audiences :

Les premières audiences (à partir du 4 mars 2025) se sont déroulées sans la présence physique des accusés, en violation de leur droit à être présents à leur procès.

Les autorités ont imposé une participation à distance depuis la prison, évoquant un vague « danger réel », sans justification claire.

Les accusés ont explicitement refusé la participation en ligne et exigé leur présence physique devant le tribunal.

🔺 Violation du droit de la défense :

Le tribunal a déformé les faits en affirmant que les accusés avaient « refusé de comparaître », sans mentionner leur demande de comparution physique.

Les avocats ont contesté cette version et réclamé un report, qui a été ignoré.

🔺 Détention prolongée au-delà des limites légales :

Plusieurs détenus étaient en détention préventive depuis plus de 14 mois, en violation du droit tunisien qui fixe cette durée comme limite maximale.

🔺 Refus d’un procès public et transparent :

Lors de l’audience du 11 avril, les journalistes tunisiens et étrangers ainsi que des observateurs de la société civile, dont Amnesty International, se sont vu interdire l’accès à la salle d’audience.

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a publiquement dénoncé cette atteinte à la transparence judiciaire.

🔺 Grèves de la faim pour protester contre les conditions du procès :

Plusieurs détenus, dont Jaouhar Ben Mbarek et Said Ferjani, ont entamé des grèves de la faim en avril 2025 pour dénoncer la participation forcée à distance et le traitement judiciaire partial.

🔺 Fondements des charges jugés discutables :

L’enquête repose sur des preuves faibles : échanges de messages à propos de rencontres diplomatiques ou de discussions internes sur une opposition pacifique au président.

Aucune preuve tangible d’activité criminelle ou de plan violent n’a été avancée publiquement.

L’érosion de l’indépendance de la justice en Tunisie est très préoccupante. L’utilisation de plus en plus abusive du système judiciaire par le pouvoir exécutif, ainsi que l’ingérence dans l’administration de la justice, sapent fondamentalement les droits des accusés à un procès équitable et l’état de droit.

Erika Guevara Rosas, directrice générale de la recherche, du plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International

La criminalisation croissante de la défense des droits humains

Quelques jours plus tard, le 24 avril 2025, Ahmed Souab avocat de renom et ancien juge, a été arrêté après avoir critiqué publiquement le verdict de ce procès collectif.  Il a qualifié le procès de « farce » et a souligné les nombreux vices de procédure et les accusations sans fondement.  Pour ces propos, qui ont été détournés sur les réseaux sociaux pro-gouvernementaux, il a été inculpé pour des accusations absurdes de « formation d’une organisation terroriste », « soutien à des actes terroristes » et « menace de commettre des crimes terroristes », en plus de « diffusion de fausses nouvelles ».

Cette arrestation est clairement un acte de représailles. […] Saper l’indépendance de la profession juridique et cibler les avocats qui représentent les victimes de violations des droits humains porte un nouveau coup dur au droit de se défendre et aux garanties d’un procès équitable en Tunisie.

Sara Hashash, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International

Un tournant autoritaire préoccupant

Depuis la dissolution du parlement par le président Kaïs Saïed en 2021, la Tunisie a connu une régression inquiétante en matière de libertés civiles. Les autorités utilisent les lois antiterroristes et des dispositions vagues du Code pénal pour faire taire toute opposition.

Lire aussi : Tunisie : cinq raisons d’être inquiets de la dérive autoritaire du pouvoir

✊ Nos demandes auprès des autorités tunisiennes

➡️Annuler les condamnations prononcées à l’issue de procès inéquitables ;

➡️Libérer immédiatement et inconditionnellement les personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement leur liberté d’expression ;

➡️Abandonner les charges contre les avocat·e·s et les militant·e·s visés pour leur travail en faveur des droits humains ;

➡️Lancer une réforme en profondeur du système judiciaire pour garantir l’indépendance des juges et le respect du droit à un procès équitable.

Lire aussi : Tunisie, tout ce qu’il faut savoir sur les droits humains