
Alexandra Skotchilenko, une artiste russe détenue pour avoir critiqué la guerre en Ukraine
Parce qu’elle a critiqué la guerre en Ukraine, Alexandra Skotchilenko se retrouve en prison en Russie. Arrêtée et incarcérée en avril 2022, elle s’affaiblit chaque jour. Accusée d’avoir diffusé de fausses informations sur l’armée russe, elle risque jusqu’à dix ans de prison. Récit.
Demandez aux autorités russes de libérer Alexsandra Skotchilenko
Sa ville : Saint-Pétersbourg. Ses passions : la musique et le dessin. Alexandra Skotchilenko, surnommée Sasha, a 32 ans. Artiste et féministe, elle anime des sessions musicales et met à profit son art pour parler des problèmes de santé mentale. Pendant plusieurs années, elle travaillait comme journaliste pour un célèbre média indépendant russe, « Bumaga » pour lequel elle réalisait notamment des reportages sur les manifestations. Sa compagne, Sonia Subbotina a déclaré dans la presse que la jeune femme a aussi enseigné le théâtre et le cinéma à des enfants ukrainiens. Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Face à cette invasion, Alexandra Skotchilenko ne peut rester indifférente.
Son action antiguerre dans un supermarché
Pour l’artiste, une action s’impose pour éveiller les consciences et contrecarrer le récit officiel des autorités sur la guerre. Alexandra Skotchilenko se met en ordre de marche. « Non à la guerre » sera son mot d’ordre. Le 31 mars 2022, dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, elle commence son action : remplacer les prix des produits par de petites étiquettes en papier donnant des informations sur l’invasion russe en Ukraine. « L’armée russe a bombardé une école d’art à Marioupol où environ 400 personnes se cachaient pour se protéger des bombardements », c’est ce qu’on peut lire sur les étalages des rayons du supermarché. Une action symbolique forte. Discrète, Alexandra Skotchilenko sort du supermarché. Pas d’arrestation, du moins, pas tout de suite...
Depuis six mois, Sonia Subbotina est interdite de rendre visite et de passer des appels à sa compagne Alexandra Skotchilenko. Mais elle se bat pour sa libération. Pour notre magazine La Chronique, elle témoigne.
Peux-tu nous présenter Alexandra ?
Avant son arrestation, Sasha consacrait presque tout son temps à l’art. Elle est peintre, musicienne multi-instrumentiste (guitare, piano, flûte…). Elle est devenue célèbre grâce à son livre illustré sur la dépression publié en Russie et en Ukraine. Elle a également écrit sur la manie, l’anxiété et d’autres états psychologiques. Son travail est d’ailleurs régulièrement utilisé par les psychologues.
Comment se déroule sa détention ?
Mal. Sasha est incarcérée depuis six mois, dans de très mauvaises conditions : sa cellule est froide, humide, l’eau chaude est constamment coupée, il lui est impossible de se laver. La cuisine est insalubre : on lui a déjà servi des pommes de terre pourries et apporté du thé dans lequel nageait un cafard. Et depuis six mois, les visites ainsi que les appels nous sont interdits. Nous ne pouvons communiquer que par lettres, soumises à la censure.
Quid de son état de santé ?
Sasha est coeliaque, il s’agit d’une maladie génétique auto-immune. Elle doit suivre un régime sans gluten, mais en prison, c’est impossible. Chaque jour, elle a des douleurs abdominales aiguës, nausées,vomissements, diarrhées. Au fil du temps, pour les coeliaques, l’incapacité à maintenir un régime alimentaire correct entraîne l’anémie, la malnutrition et le risque d’un cancer de l’intestin. En outre, on a diagnostiqué chez elle une cardiopathie congénitale. Son état s’aggrave chaque jour, elle souffre de douleurs cardiaques, d’essoufflement, elle s’affaiblit. Sasha ne peut pas recevoir de traitement. Sa vie est en danger.
Demandez aux autorités russes de libérer Alexandra Skotchilenko
Et toi, comment vas-tu ?
Nous étions très heureuses, nous avions une belle vie, pleine de chaleur et de joie. La guerre a tout détruit. Je suis stressée, dépressive. J'ai très peur, car je ne peux pas faire grand-chose pour l’aider. Je subis des pressions et des menaces écrites de personnes qui soutiennent la guerre et harcèlent les personnes LGBTI. La seule chose qu’il me reste à faire est de donner le plus de visibilité à son histoire.
Propos recueillis par Eric Dourel
Arrêtée chez elle, jetée en prison
Liberté pour Alexandra Skotchilenko !
Le 11 avril 2022, au petit matin. La police se présente à son domicile. Après une première fouille, ce sera l’arrestation. Alexandra Skotchilenko est inculpée de « diffusion publique de fausses informations sur l'utilisation des forces armées russes » en vertu d’un nouvel article du Code pénal, adopté à la hâte par le Parlement russe en mars 2022, pour empêcher les Russes de critiquer l’invasion de l’Ukraine.
1. La loi qui pénalise les « fausses informations sur l’armée russe »
Le 4 mars 2022, le parlement russe a adopté un texte de loi qui criminalise davantage le partage de « fausses informations » portant sur les activités des forces armées russes. Il s’agit de l’article 207.3 du Code pénal. « La diffusion d'informations sciemment fausses sur les forces armées » est considéré comme un crime. Selon les circonstances, la sanction maximale en vertu de cette loi peut atteindre 15 ans d’emprisonnement. Le paragraphe 2 de l’article, qui est invoqué dans la plupart des cas signalés, prévoit des peines de 5 à 10 ans de prison ou une amende comprise entre 3 et 5 millions de roubles.
2. L’article qui condamne le « discrédit des forces armées »
Un article du Code des infractions administratives - 20.3.3 – rend passible d’une amende toute personne ayant pour intention de « discréditer les forces armées ». L’amende peut aller jusqu'à 150 000 roubles (2 600 dollars, le salaire mensuel médian en Russie étant d'environ 600 dollars).
3. La loi contre les « agents de l’étranger »
Depuis la guerre en Ukraine, les autorités utilisent la législation contre les « agents de l’étranger » pour réduire au silence les médias et les voix dissidentes. Parce que classés comme « agents de l’étranger », des médias ont été contraints de cesser leurs activités en Russie. Les premières lois contre les « agents de l'étranger » sont entrées en vigueur le 21 novembre 2012. Elles se sont étendues aux médias en décembre 2017 puis directement contre les journalistes en 2019.
Nous appelons à l’abrogation de ces lois car elles vont à l’encontre de la liberté d’expression.
Jusqu’à 3h du matin, Alexandra Skotchilenko subit un interrogatoire. Elle est placée dans un centre de détention provisoire où elle a été harcelée par ses codétenues et par le personnel du centre. La santé de la jeune femme est fragile : elle souffre d’une maladie qui la contraint à suivre un régime alimentaire spécifique. Le centre de détention ne lui fournit pas les aliments préconisés. Elle est transférée dans un nouveau centre de Saint-Pétersbourg. Dans sa cellule, 18 personnes dans une totale insalubrité. Les transferts se multiplient. Alexandra s’affaiblit car elle ne reçoit pas ses traitements. Sa compagne, Sonia, n’est pas autorisée à lui rendre visite. Mais elle se bat pour qu’Alexandra retrouve la liberté.
Elle risque 10 ans de prison
Si elle est reconnue coupable, Alexandra Skotchilenko encourt jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. En Russie, des dizaines de personnes risquent des peines similaires pour avoir dit « Non à la guerre ». Parce qu’en Russie, le droit de manifester est totalement réprimé, il est nécessaire d’engager une mobilisation internationale pour faire connaître la situation d’Alexandra Skotchilenko et agir en vue de sa libération. À l’occasion de notre campagne mondiale 10 jours pour signer, c’est l’ensemble de notre mouvement qui se mobilise pour sa libération.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, de nombreux Russes sont descendus dans la rue pour dire non à la guerre. Les arrestations de manifestants se comptent par milliers en raison de l’arsenal législatif que les autorités russes ont renforcé pour réprimer le mouvement.
Manifester en Russie, c’est s’exposer à la répression des autorités qui entend contrôler tout ce qui est dit ou vu. La répression n’est pas nouvelle mais s’est considérablement renforcée depuis la guerre en Ukraine. Les manifestants qui tenaient de simples pancartes blanches pour dire non à la guerre ont été immédiatement inquiétés. Plus de 15 400 manifestants pacifiques ont été arrêtés en Russie depuis le début de la guerre en Ukraine (chiffre fourni par l’ONG russe OVD-info au 7 avril). Les autorités ont lancé une chasse aux sorcières en instrumentalisant le système judiciaire pour poursuivre les manifestants antiguerre.
Alors que la Russie a commencé à déployer un arsenal législatif contre le droit de manifester avec la Loi fédérale sur les rassemblements en 2004,. depuis 2014. , une série d’amendements a vu le jour. L’étendue et l’application de ces lois sont de plus en plus restrictives.
Qu'est-ce qui a changé depuis le déploiement de ces amendements ?
Les policiers utilisent des stratégies de plus en plus brutales pour faire taire les manifestants.
Les tribunaux infligent des peines de plus en plus sévères
Les rassemblements sont quasiment interdits partout en ville.
Les rassemblements spontanés sont interdits partout. Et en notifiant les manifestations aux autorités, elles s’exposent au risque d’être déplacées ou interdites. Le montant des amendes a explosé, passant de 2 000 roubles (54 €) en 2012 à 300 000 roubles (3 409 €) en 2021.
Dossier : Dans le monde, le droit de manifester est en péril
Les autorités russes ont fermé nos bureaux à Moscou depuis le 8 avril 2022. Pour autant, nous poursuivons notre travail et nos actions pour dénoncer les violations des droits humains commises par la Russie, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays : la libération d’Alexandra Skotchilenko en fait partie.
La situation d’Alexandra Skotchilenko est emblématique de la répression du Kremlin contre la société civile russe. L’invasion de l’Ukraine n’a fait que durcir l’arsenal législatif déployé pour faire taire les voix critiques. Il est urgent de faire libérer Alexandra et toutes les personnes arbitrairement détenues dans les prisons russes !
Liberté pour Alexandra !
Alexandra Skotchilenko est détenue uniquement pour avoir exprimé son opposition à la guerre. Si elle est reconnue coupable, elle encourt jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
Mobilisons-nous pour sa libération !