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© ULISES RODRIGUEZ/Reuters/Corbis
Salvador
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Salvador en 2024.
La pauvreté s’est accrue et le gouvernement a réduit les dépenses liées à la santé et à l’éducation. Les détentions arbitraires et les violations des droits humains ont continué de se multiplier en raison de l’état d’urgence. Le système judiciaire était marqué par de graves défaillances. La surpopulation carcérale persistait et le taux d’incarcération était parmi les plus élevés au monde. Les conditions de détention étaient inhumaines et des cas de torture et autres mauvais traitements ont été signalés ; le gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires pour remédier à la situation. La liberté d’expression et le droit du public à l’information étaient mis à mal et les journalistes étaient en butte à des campagnes de harcèlement et de violence. Les forces de sécurité ont restreint le droit de circuler librement des manifestant·e·s qui protestaient contre les coupes budgétaires, et des travailleuses et travailleurs du secteur public ont été licenciés pour avoir participé à ces manifestations. Les défenseur·e·s des droits humains faisaient face à un risque accru d’attaques et de harcèlement du fait de l’état d’urgence.
CONTEXTE
L’état d’urgence décrété en mars 2022 était toujours en vigueur. Les mécanismes régionaux et internationaux des droits humains ont continué à exprimer des préoccupations au sujet de violations des droits humains commises dans ce contexte et recensées par différentes organisations locales et internationales.
Autorisé à se représenter à l’élection après une décision controversée de la Cour suprême interprétant en sa faveur une disposition constitutionnelle qui interdisait pourtant de briguer deux mandats consécutifs, Nayib Bukele a été réélu président de la République en février.
Les récentes réformes constitutionnelles étaient préoccupantes, car le droit de la population de participer au processus de réforme a été limité, ce qui restreignait l’espace public disponible pour le débat et les discussions sur des sujets d’intérêt général. La concentration du pouvoir aux mains du parti présidentiel et l’absence de mécanismes de contrôle institutionnel ont permis à ces réformes d’être adoptées sans consultation de la société civile, ce qui a exacerbé la crise des droits humains et affaibli encore l’état de droit.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
L’Assemblée législative a approuvé le projet de budget pour l’année 2025 présenté par le gouvernement, dans lequel les dépenses étaient en priorité consacrées à la sécurité et à la défense, tandis que d’importantes réductions budgétaires étaient prévues pour des secteurs clés tels que la santé et l’éducation, au détriment de l’accès de la population à ces droits, ce qui a renforcé les inégalités sociales. Selon un rapport publié en 2024 par la Banque mondiale, l’extrême pauvreté a augmenté au Salvador entre 2019 et 2023. Plus de 1,9 million de personnes vivaient dans la pauvreté en 2023, soit 55 097 de plus qu’en 2022. Le taux de pauvreté s’élevait à 30,3 %, contre 26,8 % en 2019.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET PROCÈS INÉQUITABLES
Entre la déclaration de l’état d’urgence en 2022 et la fin de l’année 2024, 83 900 personnes ont été placées en détention, selon les autorités. La plupart d’entre elles ont été inculpées d’« association illicite » ou d’autres infractions liées à la criminalité en bandes armées. Selon des organisations locales de défense des droits humains, ces mesures étaient appliquées de manière arbitraire et un tiers des personnes placées en détention sous l’état d’urgence n’avait ni casier judiciaire ni lien d’aucune sorte avec les gangs.
Un rapport spécial de la Commission interaméricaine des droits de l’homme a confirmé que l’état d’urgence était à l’origine de détentions arbitraires en masse et de violations systématiques des droits humains. Une absence de contrôle juridictionnel effectif de ces détentions et des placements en détention provisoire sans éléments de preuve suffisants ont notamment été identifiés. La Commission a également fait état d’audiences judiciaires collectives et de restrictions du droit à la défense, qui bafouaient le droit à une procédure régulière et les garanties judiciaires fondamentales.
Des organisations de la société civile ont continué à dénoncer l’inefficacité du système judiciaire, en particulier le non-traitement par la Cour suprême des requêtes en habeas corpus, une situation qui aggravait la vulnérabilité des détenu·e·s. Dans une étude publiée en mai, la Due Process of Law Foundation a mis en évidence le fait que la Chambre constitutionnelle n’avait examiné, pour la période comprise entre mars 2022 et mars 2023, que 1,6 % des requêtes en habeas corpus soumises en lien avec l’état d’urgence, ne rendant une décision favorable que dans 0,4 % des cas. Selon les conclusions de cette étude, la lenteur excessive des procédures et les formalités inutiles imposées lors de l’examen des requêtes constituaient de fait un déni de justice et aggravaient la vulnérabilité des personnes détenues.
CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES
La surpopulation carcérale extrême a persisté, avec un taux d’occupation de 350 %, selon les ONG locales. Le taux d’incarcération au Salvador était parmi les plus élevés au monde. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a mis en évidence des conditions de détention inhumaines et fait état d’allégations de torture et autres mauvais traitements, d’un manque d’accès aux services médicaux et d’un recours excessif à la force par le personnel pénitentiaire.
Les besoins spécifiques des femmes détenues n’étaient toujours pas pris en compte, notamment concernant l’accès à des services de santé reproductive et la protection contre les violences liées au genre perpétrées par le personnel.
Des organisations salvadoriennes ont indiqué qu’entre l’imposition de l’état d’urgence en mars 2022 et le 15 décembre 2024, plus de 300 personnes sont mortes alors qu’elles étaient détenues par des services de l’État. Ces personnes auraient succombé à la suite d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements ou parce qu’elles n’avaient pas reçu les soins médicaux dont elles avaient besoin.
Des organisations de défense des droits humains ont dénoncé l’inaction du gouvernement face à cette situation et demandé qu’un examen des conditions sanitaires dans les prisons soit mené dans les meilleurs délais et que des mesures soient immédiatement mises en place pour garantir l’accès des détenu·e·s à des soins médicaux. La réponse des autorités aux multiples demandes d’intervention n’a pas été appropriée et des morts en détention ont continué d’être signalées tout au long de l’année. Des mouvements salvadoriens de victimes de violations des droits humains ont témoigné de la gravité de la situation, ce qui a suscité une surveillance accrue de la part des mécanismes internationaux et régionaux de défense des droits fondamentaux sur le traitement inhumain des personnes en détention.
Certains mécanismes de protection des droits humains des Nations unies ont dénoncé le manque de transparence de l’État concernant les investigations et la communication d’informations dans certaines affaires spécifiques où des allégations de mauvais traitements et de défaut de soins médicaux avaient été formulées. Ils ont demandé des informations supplémentaires au gouvernement au sujet de ces atteintes aux droits fondamentaux et des conditions de détention inhumaines.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
La prolongation de l’état d’urgence a continué de mettre à mal la liberté d’expression. L’Association des journalistes du Salvador (APES) a indiqué que les attaques visant des journalistes et des organes de presse avaient augmenté de 66 % en 2024 par rapport à 2023.
Les journalistes étaient fréquemment la cible d’une surveillance numérique et d’attaques sur les réseaux sociaux. Prises pour cible au plan professionnel, mais aussi en butte à des violences et du harcèlement sexuels en ligne, les femmes journalistes étaient tout particulièrement exposées, a précisé l’APES.
L’Association interaméricaine de la presse et le Comité pour la protection des journalistes ont lancé des alertes quant à l’intensification de la répression à l’égard de la presse indépendante. Le 20 novembre 2022, l’organe de presse en ligne El Faro a déposé une plainte devant un tribunal fédéral des États-Unis contre NSO Group, l’entreprise israélienne derrière le logiciel espion Pegasus, pour la surveillance présumée de plus de 20 de ses journalistes. Des entreprises du secteur des technologies comme Google, Microsoft et LinkedIn ont soutenu l’appel d’El Faro et déposé en juillet des mémoires d’amicus curiae en sa faveur.
La mission d’observation électorale de l’OEA a signalé des irrégularités et des inégalités dans l’organisation des élections. Elles étaient le résultat d’une série de réformes légales et de restrictions des libertés fondamentales imposées dans le cadre de l’état d’urgence, qui ont créé une atmosphère d’autocensure empêchant une véritable participation politique ouverte.
Les autorités ont fortement limité la capacité du public à avoir accès en temps voulu à des informations exactes et entravé l’accès aux informations publiques détenues par l’État.
Selon des informations parues dans la presse en octobre, les forces de sécurité ont imposé des restrictions à la libre circulation de manifestant·e·s lors des rassemblements organisés par les secteurs publics de l’éducation et de la santé contre les réductions budgétaires envisagées pour l’année 2025. Ces restrictions ont limité les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Des organisations locales ont signalé de multiples licenciements d’employé·e·s du secteur public, concernant principalement des personnes qui avaient pris une part active à l’organisation de ces manifestations et y avaient participé. Au moins 66 licenciements de manifestant·e·s ont eu lieu dans l’éducation et la santé. Les syndicats ont dénoncé ces actions, considérées comme des représailles contre des personnes qui avaient pris part au mouvement de contestation. La presse salvadorienne recensait à la fin de l’année plus de 3 000 licenciements dans le secteur public, qui concernaient pour la plupart des personnes considérées comme ayant participé aux manifestations. Le gouvernement a présenté ces licenciements comme s’inscrivant dans le cadre d’une politique plus large de réduction des coûts visant plusieurs secteurs publics.
DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS
La situation des défenseur·e·s des droits humains s’est fortement dégradée sous l’état d’urgence. Un collectif d’organisations locales de défense des droits humains a fait savoir que les attaques contre les défenseur·e·s des droits avaient augmenté de 24,2 % en 2023 par rapport à 2022. Ces attaques, principalement perpétrées par des agent·e·s de l’État, visaient des militantes, des journalistes et des organisations qui se battaient pour la liberté d’expression, les droits des femmes et la protection de l’environnement. Des défenseur·e·s des droits des personnes LGBTI et des populations autochtones ont également été pris pour cible.
Le harcèlement des défenseur·e·s des droits humains prenait notamment la forme de menaces, d’une surveillance policière et de détentions arbitraires. Des organisations de défense des droits humains ont signalé le recours à des agent·e·s infiltrés et à des campagnes de diffamation sur les réseaux sociaux contre les personnes qui défendaient les victimes d’atteintes aux droits humains commises sous l’état d’urgence.
Le gouvernement essayait toujours de réduire au silence les voix dissidentes en sanctionnant pénalement et en réprimant les activités des défenseur·e·s des droits humains, en particulier celles et ceux mobilisés pour obtenir justice pour les personnes détenues arbitrairement, pour protéger l’environnement ou pour défendre les droits liés à la terre et au territoire.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
L’avortement restait interdit en toutes circonstances. La dernière femme déclarée coupable d’homicide avec circonstances aggravantes à la suite d’une urgence obstétrique, qui faisait partie de la campagne « Las 17 y más », a été libérée en janvier après avoir purgé huit des 30 années d’emprisonnement auxquelles elle avait été condamnée. Selon le Groupe citoyen pour la dépénalisation de l’avortement, sept femmes étaient encore visées par des poursuites judiciaires engagées à la suite d’une urgence obstétrique, mais aucune n’était incarcérée à la fin de l’année.
Le 20 décembre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a condamné l’État salvadorien dans le cadre de l’affaire de Beatriz et autres c. Le Salvador. Beatriz était une jeune mère salvadorienne ayant vécu une grossesse qui mettait gravement en danger sa santé et dont le fœtus n’était pas viable. Contre sa volonté expresse, les autorités salvadoriennes l’avaient privée de la possibilité de mettre un terme à sa grossesse en 2013.

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