Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Soutenez nos enquêtes indépendantes

Chacun de vos dons rend possible nos enquêtes sur le terrain dans plus de 150 pays

© Soe Than Win / AFP / Getty Images

© Soe Than Win / AFP / Getty Images

Myanmar

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Myanmar en 2024.

Le conflit armé interne s’est intensifié. Les frappes militaires aériennes ont été plus nombreuses, de même que les attaques de l’armée contre des établissements scolaires, des hôpitaux et des infrastructures civiles. Le conflit et la répression militaire ont privé des personnes de leur droit à l’éducation. La population rohingya a été la cible des pires violences depuis 2017. Les arrestations arbitraires se sont poursuivies et des militant·e·s ont été visés par des opérations militaires et soumis à des procès inéquitables. Des journalistes se sont vu infliger de lourdes peines d’emprisonnement, ce qui a eu un effet dissuasif et a contribué à restreindre davantage encore les droits à la liberté d’expression. Des cargaisons de carburant d’aviation sont encore parvenues dans le pays en dépit des sanctions et des campagnes mondiales visant à interrompre la chaîne d’approvisionnement pour empêcher les frappes aériennes.

CONTEXTE

Le pouvoir militaire installé après le renversement, le 1er février 2021, du gouvernement démocratiquement élu était toujours en place. Le général Min Aung Hlaing, à l’origine du coup d’État, restait à la tête du Conseil administratif d’État (nom officiel de la junte). Il exerçait aussi les fonctions de président par intérim au motif que le titulaire, Myint Swe, aurait des problèmes de santé. Près de quatre ans après le coup d’État, la situation des droits humains au Myanmar est entrée dans une nouvelle phase meurtrière. Les zones frontalières de l’ouest, du nord et du sud-est du pays étaient déchirées par le conflit armé interne.

De puissantes organisations ethniques armées se rangeaient toujours derrière les Forces de défense du peuple, le bras armé du gouvernement d’unité nationale de l’opposition, qui a vu le jour au lendemain du coup d’État – même si les alliances au sein des groupes commençaient à se fissurer. L’armée a rencontré des difficultés pour conserver ses territoires et a perdu des villes, des bases, des avant-postes et des postes de police. Des agglomérations très peuplées, dont Mandalay, deuxième ville du Myanmar, ont été touchées par les combats. Les risques pour les civil·e·s se sont accrus, dans un contexte où l’armée du Myanmar répondait en déployant une force toujours plus importante. Les frappes aériennes ont été cinq fois plus nombreuses au cours des six premiers mois de l’année que pendant la même période en 2023, ce qui constituait un record. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a dépassé les trois millions. Plus de 20 000 personnes se trouvaient en détention. L’armée a tué plus de 6 000 personnes au cours de l’année.

Les frappes aériennes effectuées par l’armée ont atteint un niveau sans précédent, principalement dans le cadre de contre-offensives menées après le déclenchement de l’Opération 1027. Ainsi baptisée parce qu’elle a été lancée le 27 octobre 2023, cette offensive contre l’armée était menée par trois organisations ethniques armées, l’Armée d’Arakan, l’Armée de libération nationale ta'ang et l’Armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar. Engagée dans l’État chan et suspendue pendant la première moitié de l’année 2024 à la suite d’un cessez-le-feu conclu sous l’égide de la Chine, cette opération a repris et s’est étendue à plusieurs régions du pays. Avec le soutien des Forces populaires de défense, les combattants de l’Opération 1027 se sont emparés de villes entières, de routes stratégiques, d’un aéroport et de deux des 14 postes de commandement militaire régionaux.

En novembre, le Bureau du procureur de la CPI a requis un mandat d’arrêt contre le général Min Aung Hlaing pour les actes de déportation et de persécution – qualifiés de crimes contre l’humanité – commis contre les Rohingyas pendant les opérations militaires de 2017.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

Dans le prolongement des pratiques antérieures, la contre-offensive militaire était constituée d’attaques aveugles et disproportionnées associées à des raids terrestres meurtriers. Des édifices religieux, des établissements scolaires, des hôpitaux et des lieux où étaient réfugiées des personnes déplacées, notamment un camp et un monastère, ont été touchés par des frappes aériennes. Des membres de l’Opération 1027 ont également été accusés d’exactions, notamment de recrutement forcé de civil·e·s.

En janvier, 17 civil·e·s, parmi lesquels neuf enfants, ont été tués dans des frappes aériennes de l’armée alors qu’ils allaient se rassembler dans une église du village de Kanan, dans la région de Sagaing (nord-ouest du pays, près de la frontière indienne).

L’armée du Myanmar a lancé, le 9 mai, une attaque contre un monastère du village d’Ah Kyi Pan Pa Lon, situé dans la municipalité de Saw (région de Magway, centre du pays). Des témoins ont déclaré qu’après deux premières frappes l’avion de chasse avait fait demi-tour pour tirer à l’arme lourde contre les personnes qui fuyaient les premières explosions. Douze civil·e·s ont été tués et 26 autres ont été blessés lors de ces attaques. Le monastère, vraisemblablement construit il y a une centaine d’années, a été détruit. Ce même mois de mai, l’armée a lancé un raid contre le village de Byaing Phyu, près de Sittwe, la capitale de l’État d’Arakan. Elle visait des civil·e·s de l’ethnie rakhine en raison de leur appartenance supposée à l’Armée d’Arakan. Au moins 50 personnes ont été tuées.

Bhaddanta Muninda Bhivamsa, une personnalité religieuse de la communauté bouddhiste du Myanmar, a été abattu le 19 juin alors qu’il circulait en voiture dans la municipalité de Ngazun (région de Mandalay). Âgé de 78 ans, l’abbé était à la tête du monastère de Win Neinmitayon, dans la région de Bago. Il voyageait avec un autre moine, qui a été blessé, tout comme le conducteur. Selon des témoignages ultérieurs, les soldats auraient tiré sur eux après que leur voiture eut tenté de dépasser un camion militaire dans une zone de conflit.

Le 5 août, quelque 200 hommes, femmes et enfants rohingyas qui fuyaient les combats dans le nord de l’État d’Arakan ont péri dans une offensive au drone et au mortier, la pire attaque commise contre des Rohingyas depuis 2017. Des membres de la communauté ont attribué la responsabilité de cette action à l’Armée d’Arakan, l’un des trois groupes participant à l’Opération 1027 contre l’armée. Interrogée par Amnesty International, l’Armée d’Arakan a démenti officiellement toute implication.

L’armée a mené le 5 septembre une frappe aérienne contre un camp de personnes déplacées de la municipalité de Pekon, dans le sud de l’État chan, tuant huit civil·e·s, dont six enfants, d’après les informations disponibles. Une habitante a déclaré qu’aucun combat n’était en cours à proximité et que seuls étaient présents des « femmes et des enfants sans défense » poussés hors de chez eux par le conflit armé.

DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Des élèves et des enseignant·e·s ont été tués ou blessés dans des attaques contre des établissements scolaires menées illégalement par l’armée, qui s’est ainsi rendue coupable de violations du droit à l’éducation, entre autres droits. La mise en place d’un système éducatif dans des zones contrôlées par l’opposition a permis à des jeunes de poursuivre leurs études, mais les attaques militaires et l’intensification du conflit armé ont mis à rude épreuve le personnel enseignant. Celui-ci a été contraint d’édifier des abris anti-bombes sur les terrains des établissements scolaires, de reconstruire des écoles après des bombardements et de mettre en place des unités d’enseignement mobiles pour éviter de devenir des cibles.

Le 6 février, une école du village de Daw Sei Ei, dans l’État kayah, a été touchée par une frappe aérienne, qui a tué quatre enfants. Des élèves ont été tués et d’autres ont dû quitter leur refuge à la suite du bombardement, le 5 septembre, du camp pour personnes déplacées du sud de l’État chan. À la fin de l’année, plus de 750 enfants avaient été tués ou blessés dans le pays.

Un grand nombre de jeunes ont dû abandonner leurs études en raison de la situation du système éducatif, très perturbé depuis la pandémie. Le coup d’État et ses répercussions ont gravement entravé l’accès à l’éducation dans le pays. Des millions de jeunes étaient privés d’un cadre scolaire officiel et, selon certaines informations, plus de 13 000 établissements scolaires étaient fermés en raison du conflit armé. Craignant pour leur sécurité, certains parents ont retiré leurs enfants de l’école et quitté le pays pour se réfugier en Thaïlande.

ARRESTATIONS ARBITRAIRES ET PROCÈS INÉQUITABLES

L’armée a continué d’utiliser les tribunaux pour écraser la dissidence. Des personnes ont été détenues arbitrairement sans inculpation dans des centres d’interrogatoire. Des procès collectifs ont eu lieu à huis clos, et les personnes mises en cause avaient peu accès à une assistance juridique. Les autorités ont eu recours de plus en plus fréquemment à des textes très répressifs comme les lois contre le terrorisme.

Myo Myint Oo, journaliste pour le média Dawei Watch, a été condamné à la réclusion à perpétuité sur la base d’accusations liées au terrorisme ; son collègue Aung San Oo s’est vu infliger une peine de 20 ans d’emprisonnement.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

L’armée a continué d’utiliser des centres d’interrogatoire pour extorquer par la force des informations à des personnes qui n’étaient pas inculpées. Les militants en faveur de la démocratie Paing Phyo Min et Shein Wai Aung ont été arrêtés le 9 octobre lors d’une opération militaire et envoyés dans un centre d’interrogatoire.

Les conditions de détention étaient toujours très dures, notamment s’agissant de la nourriture et de l’assistance médicale. Des dizaines de femmes arbitrairement détenues à la prison de Daik-U, dans la région de Bago (centre du pays), ont été battues par leurs gardien·ne·s. Le cinéaste Pe Maung Sein est mort le 19 août à l’âge de 50 ans, trois jours après sa sortie de prison. Les blessures qu’il avait subies il y a deux ans lors d’un « interrogatoire » n’avaient pas été correctement soignées. Emprisonné depuis près de quatre ans, Zaw Myint Maung, qui avait été chef du gouvernement de la région de Mandalay sous le régime civil renversé par le coup d’État, est mort d’une leucémie en octobre à l’âge de 73 ans. Il avait été admis à l’hôpital général de Mandalay peu de temps avant sa mort.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

De nouvelles cargaisons de carburant d’aviation sont arrivées au Myanmar, malgré les appels lancés à l’échelle mondiale visant à priver l’armée du pays des ressources lui permettant de procéder à des frappes aériennes illégales. Amnesty International a dénoncé en janvier les nouvelles tactiques de contournement employées par l’armée pour importer du carburant d’aviation tout au long de l’année 2023, après des sanctions imposées à certaines parties de sa chaîne d’approvisionnement. Au moins deux cargaisons supplémentaires de carburant d’aviation sont entrées dans le pays entre janvier et juin 2024.

L’itinéraire d’acheminement a récemment été modifié et le carburant était désormais acheté et vendu de multiples fois avant de parvenir au Viêt-Nam, d’où il était expédié vers le Myanmar. Dans deux cas, c’est un pétrolier chinois qui a transporté du carburant du Viêt-Nam vers le Myanmar. Une probable troisième cargaison est semble-t-il arrivée au Myanmar en provenance des Émirats arabes unis en mai. On ignorait comment ce carburant était utilisé après sa livraison, mais il était à craindre qu’il soit employé à des fins non civiles, étant donné que le port concerné était aux mains de l’armée.

Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté en avril une résolution sur le Myanmar exhortant pour la première fois les États membres à s’abstenir d’exporter, de vendre ou de transférer du carburéacteur à l’armée du Myanmar. En octobre, le Royaume-Uni, l’UE et le Canada ont adopté de nouvelles sanctions, dont l’effet combiné pesait sur l’accès de l’armée du Myanmar aux financements, aux équipements et au matériel, dont le carburant d’aviation.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar a également relevé avec préoccupation que le mode d’approvisionnement en armes du Myanmar depuis la région avait changé, et que beaucoup passaient désormais par la Thaïlande, et beaucoup moins par Singapour.

EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

Un nombre croissant de témoignages faisant état d’exactions commises par des groupes armés d’opposition ont été recueillis. Des Rohingyas réfugiés à l’étranger ont déclaré à Amnesty International que l’Armée d’Arakan avait incendié leurs maisons, les avait forcés à fuir, avait tué des civil·e·s et les avait dépouillés de leurs biens. L’Armée d’Arakan niait avoir commis des exactions lors des combats contre l’armée, qui a procédé à une importante campagne de bombardements dans l’État d’Arakan. Des groupes d’activistes rohingyas étaient pour leur part accusés d’avoir recruté de force des enfants soldats. En avril, l’Armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar, qui faisait partie, avec l’Armée d’Arakan, de l’Alliance des trois fraternités à l’origine de l’Opération 1027, a exécuté de manière extrajudiciaire des combattants de ses propres rangs.

De son côté, le HCDH a établi un rapport faisant état d’homicides de civil·e·s perpétrés par d’autres groupes en lutte contre l’armée. Il a indiqué en septembre que 124 cas de meurtres de responsables de l’administration, de fonctionnaires et de personnes ou proches de personnes soupçonnées d’être des informateurs de l’armée avaient été signalés pendant la première partie de l’année.

Actualités