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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

© Soe Than Win / AFP / Getty Images

© Soe Than Win / AFP / Getty Images

Myanmar

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Myanmar en 2023.

La crise des droits humains s’est aggravée au Myanmar. Les autorités militaires ont poursuivi leur campagne de répression de l’opposition pacifique et intensifié leurs opérations contre une résistance armée de plus en plus active. Les procès inéquitables, notamment de militant·e·s favorables à la démocratie et d’autres personnes considérées comme opposées au régime militaire, ont cette année encore été très nombreux et plus de 1 600 personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés, voire à la peine de mort. Les conflits armés intérieurs ont provoqué le déplacement de plus d’un demi-million de personnes. Des dizaines de milliers de Rohingyas déplacés depuis plus de 10 ans vivaient toujours dans des camps de l’État d’Arakan, où régnaient des conditions déplorables. Après le passage d’un cyclone dévastateur en mai, les autorités militaires se sont opposées à ce qu’une aide humanitaire leur soit apportée. De nombreux pays ont imposé des sanctions aux entreprises et aux individus ayant fourni au Myanmar du carburant destiné à son aviation militaire – carburant qui a permis à l’armée de mener des raids aériens contre des civil·e·s et des zones d’habitation, des lieux de culte et diverses autres infrastructures civiles. Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique restaient extrêmement limités. Des journalistes ont été emprisonnés pour avoir fait leur travail, pourtant légitime.

CONTEXTE

Le pouvoir militaire installé après le renversement du gouvernement démocratiquement élu, le 1er février 2021, était toujours en place. Nommé par l’armée, Myint Swe occupait toujours les fonctions de chef de l’État, tandis que le général Min Aung Hlaing, à l’origine du coup d’État, était à la tête du Conseil administratif d’État. Les autorités militaires ont poursuivi leur campagne visant à éliminer toute opposition. Les initiatives internationales ne sont pas parvenues à endiguer la violence ni à empêcher que de graves atteintes aux droits humains soient commises contre la population civile.

Le Conseil administratif d’État a prolongé de six mois, à deux reprises, l’état d’urgence en place depuis le coup d’État et n’a pas tenu son engagement d’organiser des élections pluralistes en 2023. Le Gouvernement d’unité nationale, formé en 2021 par des représentant·e·s du gouvernement déchu de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et plusieurs groupes armés collectivement désignés sous le nom de « Forces populaires de défense (FPD) », a continué de s’opposer au régime militaire. Les combats se sont intensifiés dans le centre du Myanmar. En octobre, l’Alliance des trois fraternités, qui rassemblait trois groupes armés non étatiques, a lancé une offensive de grande ampleur baptisée Opération 1027, au cours de laquelle elle s’est emparée de bases militaires, de points de contrôle et de postes- frontières dans le nord-est du pays. Elle s’en est prise en outre à des établissements où des victimes de la traite d’êtres humains étaient contraintes de collaborer à des escroqueries en ligne.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

Depuis le coup d’État, l’armée, dans sa tentative de renforcer son contrôle sur la société, a tué plus de 4 000 personnes, essentiellement des civil·e·s, dont au moins 1 345 en 2023. Ces homicides illégaux se sont en particulier produits dans le cadre de raids aériens et terrestres menés par les militaires à titre de sanction collective contre des populations civiles. Des opposant·e·s, armés ou pacifiques, qui avaient été capturés en ont également été victimes. Plus de 30 décès en détention, notamment des suites d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements, ont aussi été signalés. L’armée a multiplié les frappes aériennes, souvent aveugles ou visant directement des civil·e·s et des biens de caractère civil.

Ces frappes, qui se produisaient auparavant le plus souvent dans les zones frontalières, sont devenues de plus en plus fréquentes dans les zones centrales du Myanmar. La région de Sagaing, couvrant une partie du centre et du nord-ouest du pays, a ainsi été le théâtre de raids de plus en plus nombreux aux conséquences dévastatrices. Le 11 avril, l’aviation militaire a bombardé un rassemblement de personnes venues inaugurer les nouveaux locaux de l’administration locale de Pa Zyi Gyi, village de la municipalité de Kanbulu. Cette attaque, la plus meurtrière depuis le coup d’État, a fait au moins 100 morts parmi la population civile, dont 35 enfants. Dix-huit membres de groupes d’opposition armés ont également été tués. L’armée a reconnu être à l’origine de cette frappe, tout en affirmant que le bilan extrêmement lourd de l’opération était dû à la présence d’explosifs entreposés sur les lieux du rassemblement.

Une attaque aérienne à proximité d’un monastère de Nyaung Kone, village de la municipalité de Pale, dans la région de Sagaing, aurait causé la mort d’un moine et d’au moins neuf autres civil·e·s le 27 juin. Selon des informations parues dans les médias, des frappes ou des raids aériens auraient également fait des victimes civiles dans la région de Bago et dans les États chin, kachin, kayah, kayin, mon et d’Arakan.

Le 9 octobre, dans le village de Mung Lai Hkye (État kachin), une frappe aérienne suivie de tirs de mortier depuis le sol a visé un camp pour personnes déplacées, tuant au moins 28 civil·e·s, dont des enfants, et faisant 57 blessé·e·s. Selon une enquête réalisée par Amnesty International, la frappe a été menée au moyen d’une bombe non guidée larguée depuis un aéronef. Or, il s’agissait là d’une arme imprécise, dont les effets ne pouvaient être limités comme l’exigeait le droit international humanitaire.

Des opérations terrestres intensives ont également eu lieu, entre autres, dans la région de Sagaing. Elles auraient donné lieu à des exécutions extrajudiciaires et à des violences sexuelles. Une unité militaire connue sous le nom de « Colonne Ogre » se serait rendue coupable d’actes particulièrement cruels, n’hésitant pas à décapiter, à démembrer et à mutiler les corps de ses victimes. Le 11 mars, des soldats auraient tué au moins 22 civil·e·s dans un monastère de Nan Nein, village du sud de l’État chan.

DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET PROCÈS INÉQUITABLES

Les autorités ont arrêté plus de 25 000 personnes depuis le coup d’État. Selon l’Association d’aide aux prisonniers politiques, près de 20 000 personnes étaient toujours détenues en décembre. Parmi elles figuraient des dirigeant·e·s et des militant·e·s de l’opposition, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des étudiant·e·s, des juristes et des professionnel·le·s de la santé.

Des procès d’une iniquité flagrante se sont tenus cette année encore. Plus de 1 600 personnes ont ainsi été condamnées à des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés, voire à la peine de mort. Des procès ont eu lieu devant des tribunaux improvisés au sein des prisons ou devant des juridictions militaires. Les prévenu·e·s ne bénéficiaient généralement pas des services d’un·e avocat·e, ou seulement de façon limitée.

Reconnu coupable en mai de haute trahison, l’écrivain et militant politique Wai Moe Naing a été condamné à 20 ans de prison. Arrêté en 2021 pour avoir pris la tête de manifestations pacifiques, il purgeait déjà une peine de 34 années de réclusion pour des faits qui lui étaient reprochés dans ce contexte.

Byu Har, artiste connu dans le monde du hip-hop, a semble-t-il été condamné en août à 20 ans d’emprisonnement. Il avait été arrêté en mai après avoir publiquement reproché au pouvoir militaire des coupures d’électricité répétées.

Kyaw Aye, le père de Kyaw Ko Ko, militant politique en vue recherché par les autorités militaires, a été arrêté en septembre. L’arrestation de proches d’opposant·e·s était devenue une méthode habituelle de représailles.

Les autorités militaires ont annoncé plusieurs mesures de grâce collective durant l’année, qui se sont traduites par la libération de plus de 20 000 détenu·e·s. La plupart de ces personnes faisaient l’objet de poursuites pour des infractions pénales. Toutefois, 2 153 d’entre elles purgeaient des peines auxquelles elles avaient été condamnées au titre de l’article 505(a) du Code pénal, qui érigeait en infraction les critiques visant l’armée et était très souvent invoqué depuis le coup d’État pour réprimer l’opposition pacifique. Dans l’un des cas, le pouvoir militaire a déclaré avoir gracié ces personnes pour des raisons « humanitaires » à l’occasion d’une fête bouddhiste, mais a menacé de renvoyer en prison quiconque « récidiverait ».

À la faveur d’une mesure de grâce intervenue au mois d’août, les peines d’emprisonnement du président déchu Win Myint et de l’ancienne conseillère d’État Aung San Suu Kyi ont été réduites, respectivement, de quatre et six ans. Reconnues coupables d’une série d’accusations motivées par des considérations politiques, ces deux personnes continuaient toutefois de purger leurs peines respectives de huit ans et de 27 ans de réclusion.

Les observatrices et observateurs indépendants n’étant pas autorisés à se rendre dans les lieux de détention, les informations concernant la santé des détenu·e·s étaient rares. Le pouvoir militaire a cependant annoncé en octobre la reprise des visites des familles, interrompues pendant la pandémie du COVID-19. Les personnes condamnées à mort ou purgeant des peines de réclusion à perpétuité n’avaient semble-t-il pas le droit de recevoir des visites de leurs proches. Les conditions de détention restaient inhumaines et des actes de torture et d’autres mauvais traitements ont cette année encore été signalés. En outre, selon certaines informations, des prisonniers politiques auraient été tués ou auraient « disparu » pendant leur transfert entre deux centres de détention.

TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

Selon le HCDH, environ 120 000 personnes étaient retenues dans des établissements situés dans des zones souvent contrôlées par des milices favorables au pouvoir en place, le long des frontières thaïlandaise et chinoise, où elles étaient contraintes par des bandes criminelles de participer à des escroqueries et des jeux d’argent illégaux en ligne.

L’Alliance des trois fraternités, liée à la Chine, a annoncé en novembre avoir libéré un certain nombre de ces personnes, près de la frontière chinoise, dans le cadre d’opérations visant Laukkai, une municipalité de l’État chan tristement célèbre pour ses nombreux établissements pratiquant l’escroquerie en ligne.

Bon nombre d’individus contraints de collaborer à ces escroqueries venaient de pays voisins, notamment de Chine ou du Viêt-Nam, et avaient été attirés au Myanmar par des promesses d’emplois, pour ensuite être obligés, parfois sous la menace de violences, de participer à ces activités criminelles.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], plus de 2,6 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, dont au moins 500 000 à la suite de l’intensification des combats après le déclenchement de l’Opération 1027 fin octobre. Bon nombre de personnes déplacées continuaient de vivre dans des conditions déplorables, privées bien souvent de produits et de services de première nécessité et exposées en permanence à des risques de frappes aériennes et, plus généralement, d’opérations militaires.

Environ 148 000 personnes de confession musulmane, notamment de nombreux Rohingyas, étaient toujours déplacées et soumises à un système de ségrégation et de discrimination institutionnalisé de longue date et encouragé par l’État, d’une telle sévérité qu’il s’apparentait à un régime d’apartheid, constitutif de crime contre l’humanité. La majorité de ces personnes étaient enfermées depuis 2012 dans des camps situés dans l’État d’Arakan, dans des conditions d’hygiène déplorables.

Le nombre élevé de victimes du cyclone Mocha, qui a frappé l’ouest du Myanmar au mois de mai, s’expliquerait en grande partie par les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient les Rohingyas. Une centaine au moins de Rohingyas enfermés dans des camps de la municipalité de Sittwe, dans l’État d’Arakan, auraient ainsi trouvé la mort lors de son passage. Le cyclone n’a pas seulement dévasté les camps d’internement. Il a aussi détruit des habitations et des infrastructures dans les municipalités de Rathedaung et de Sittwe, ainsi que dans l’État chin et dans les régions de Sagaing et de Magway. Partout, ce sont les personnes déplacées et, plus généralement, les populations défavorisées qui ont été le plus touchées.

Après le passage de Mocha, les autorités militaires ont ralenti, voire empêché, l’acheminement de l’aide humanitaire vers les populations affectées. Selon certaines informations, le régime militaire aurait en outre tardé à délivrer des autorisations aux organisations humanitaires internationales qui souhaitaient intensifier leurs opérations dans la région.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

Il a été prouvé que des entreprises, étrangères et nationales, avaient manifestement été impliquées dans la fourniture à l’armée du Myanmar de carburant destiné à son aviation. Le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Union européenne et la Suisse ont donc pris des sanctions plus ou moins sévères contre diverses sociétés et personnes basées au Myanmar et à Singapour responsables de telles livraisons. En août, les États-Unis ont étendu la portée des éventuelles sanctions, déclarant qu’elles pouvaient concerner toute personne impliquée dans ce secteur. Cherchant manifestement à échapper aux sanctions, les fournisseurs ont renoncé à approvisionner directement le Myanmar, pour acheminer le carburant via le Viêt-Nam et Singapour.

À la suite de la publication en août d’un rapport du Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme, dans lequel l’ONG dénonçait les graves atteintes aux droits fondamentaux perpétrées dans le secteur du textile au Myanmar (salaires bas ou non payés, violences fondées sur le genre, répression des activités syndicales…), l’entreprise de prêt-à-porter suédoise H&M a annoncé qu’elle allait se retirer progressivement du pays. Une annonce similaire avait été faite en juillet par la société espagnole propriétaire de la marque Zara.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Face à la répression exercée par le régime militaire, tout mouvement de contestation pacifique était quasiment impossible. Près d’une centaine de personnes auraient ainsi été arrêtées pour avoir porté, vendu ou acheté des fleurs le 19 juin, jour de l’anniversaire d’Aung San Suu Kyi.

La surveillance était omniprésente. Les arrestations pour de simples messages publiés en ligne se sont poursuivies, engendrant un climat d’autocensure.

Le régime militaire a continué d’invoquer la législation sur les associations illégales pour poursuivre en justice celles et ceux qu’il considérait comme des opposant·e·s. En avril, un tribunal siégeant au sein de la prison de Myitkyina, dans l’État kachin, a condamné le chef religieux Hkalam Samson, très engagé dans la défense des droits humains, à six années d’emprisonnement pour association illégale, terrorisme et incitation à s’opposer aux autorités.

La liberté de la presse restait extrêmement limitée. Au moins six journalistes et autres professionnel·le·s des médias ont été arrêtés ou condamnés à des peines d’emprisonnement durant l’année, dont le photojournaliste Sai Zaw Thaike, accusé d’avoir diffusé des informations susceptibles de causer l’inquiétude ou l’incompréhension de l’opinion publique à l’égard des autorités militaires. En septembre, il a été déclaré coupable de sédition, une accusation sans le moindre fondement, par un tribunal militaire siégeant dans la prison d’Insein, à Yangon (ex-Rangoon), et condamné à 20 ans d’emprisonnement assortis de travaux forcés. Sai Zaw Thaike travaillait pour le site d’information Myanmar Now, interdit par le pouvoir militaire au lendemain du coup d’État. Hmu Yadanar Khet Moh Moh Tun, elle aussi photojournaliste, a été condamnée en mai par un tribunal de Yangon à 10 années de réclusion assorties de travaux forcés pour « terrorisme ». Elle purgeait déjà une peine de trois ans de prison pour incitation à la rébellion et diffusion de « fausses nouvelles ».

Selon Reporters sans frontières, plus de 60 journalistes et autres professionnel·le·s des médias se trouvaient en détention au mois de décembre. Le 10 juin, les autorités ont révoqué la licence de l’Ayeyarwaddy Times, un organe de presse indépendant, accusé d’avoir publié des informations troublant l’ordre et la tranquillité publics. Le 29 octobre, l’armée aurait investi les locaux de l’organe de presse Development Media Group, dans la municipalité de Sittwe, et procédé à l’arrestation d’un journaliste et d’un vigile.

PEINE DE MORT

Les tribunaux ont cette année encore prononcé des condamnations à mort. Aucune exécution n’a toutefois été signalée. En mai, 38 personnes ont semble-t-il vu leur sentence capitale commuée en une peine de réclusion à perpétuité à la faveur d’une grâce.

EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

Selon le HCDH, des groupes d’opposition armés s’en sont pris régulièrement à des personnes et à des infrastructures civiles. Des membres des autorités locales, des fonctionnaires et, plus généralement, des personnes perçues comme favorables au régime militaire ou collaborant avec celui-ci auraient notamment été tués. Un certain nombre d’attentats à la bombe ou à la grenade ont été commis contre des bâtiments publics. Un centre des impôts de Yangon a par exemple été visé en juin par un attentat qui a fait six blessés, dont quatre membres du personnel. Le HCDH a indiqué avoir reçu une réponse favorable du Gouvernement d’unité nationale, à qui il avait demandé de prendre des mesures pour que les groupes armés opposés au régime qui lui avaient prêté allégeance se conforment aux dispositions du droit international.

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