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URGENCE ISRAËL-GAZA

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Manifestation de protestation suite à la mort du blogueur Niloy Chakrabart à Dacca le 8 août 2015. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

Manifestation de protestation suite à la mort du blogueur Niloy Chakrabart à Dacca le 8 août 2015. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

Manifestation de protestation suite à la mort du blogueur Niloy Chakrabart à Dacca le 8 août 2015. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

Bangladesh : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Bangladesh en 2022.

La liberté d’expression et de réunion a cette année encore été violemment réprimée, la police ayant notamment fait usage d’une force excessive ou injustifiée pour disperser des manifestations. Les droits des travailleuses et des travailleurs, ainsi que ceux des minorités ethniques et religieuses, ont été menacés. Le Bangladesh a encore eu beaucoup de difficultés à garantir les droits humains des Rohingyas au sein du plus grand camp de réfugié·e·s du monde.


CONTEXTE


Michelle Bachelet s’est rendue au Bangladesh en août. C’était la première fois que le pays recevait la visite officielle d’un·e haut·e-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Michelle Bachelet a ensuite évoqué plusieurs sujets de préoccupation relatifs aux droits humains, notamment « la réduction de l’espace civique, l’accroissement de la surveillance, de l’intimidation et des représailles, conduisant souvent à l’autocensure ».


LIBERTÉ D’EXPRESSION


La liberté d’expression faisait toujours l’objet de restrictions. Selon les estimations, au moins 179 journalistes ont été victimes de harcèlement ou de représailles au cours des neuf premiers mois de l’année. Le plus souvent, ils ont été agressés dans l’exercice de leurs fonctions ou des poursuites ont été engagées contre eux à la suite d’articles qu’ils avaient publiés.

La Loi sur la sécurité numérique, aux dispositions draconiennes, a été utilisée à maintes reprises pour étouffer les voix dissidentes et critiques à l’égard du gouvernement. D’après un rapport du groupe de défense des droits humains Ain o Salish Kendra (ASK), 2 249 actions ont été intentées au cours de l’année au titre de cette loi devant les tribunaux des affaires numériques, rien que dans les divisions de Dacca, de Rajshahi et de Chittagong.

Après avoir recensé, de janvier à novembre, les informations parues dans les médias sur 114 affaires relevant de la Loi sur la sécurité numérique, l’organisation Article 19 a constaté que la grande majorité d’entre elles (78 affaires) avaient pour origine des publications sur les réseaux sociaux. L’organisation a aussi relevé que 46 plaintes sur 114 avaient été déposées par des particuliers proches du parti au pouvoir.

Une ancienne députée de la Ligue Awami et sa fille ont déposé plainte séparément contre Fazle Elahi, rédacteur en chef d’un journal local dans les Chittagong Hill Tracts, au titre de dispositions de la Loi sur la sécurité numérique relatives à la diffamation et à la publication d’informations offensantes, fausses ou menaçantes. Cet homme a été arrêté en juin. Il avait publié un article décrivant des faits présumés d’irrégularités et d’utilisation abusive liés à la location d’une propriété publique par la députée et sa fille.

En août, le vice-président de la section de la Ligue Awami du district de Rangpur a porté plainte contre le site d’information en ligne Netra News, au titre de la Loi sur la sécurité numérique, pour un article qui y avait été publié. Celui-ci utilisait des images satellites pour vérifier l’existence de prisons secrètes gérées par la direction générale des forces de renseignement (DGFI), le principal service de renseignements de l’armée, et dans lesquelles étaient détenues des personnes soumises à des disparitions forcées pour « diffusion de propagande ». La plainte visait également une victime de ce système de prisons secrètes qui avait témoigné auprès de Netra News.

Les autorités ont également essayé de restreindre la liberté d’expression des ONG. Le Bureau chargé des ONG (rattaché au cabinet du Premier ministre) a rejeté la demande de renouvellement d’enregistrement de l’organisation de défense des droits humains Odhikar au motif que celle-ci aurait publié des « informations trompeuses » au sujet d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’homicides. Selon le Bureau, ces informations « ternissaient l’image » du Bangladesh dans le monde.

La liberté d’expression de certaines personnes était également menacée. En mars, un enseignant du district de Munshiganj a été arrêté pour « atteinte aux sentiments religieux » parce qu’il avait évoqué en classe la différence entre science et religion. Un membre du personnel administratif de l’établissement avait porté plainte contre lui. Après sa libération 19 jours plus tard, l’enseignant a confié aux médias qu’il avait l’impression d’avoir été victime d’un « coup monté » dû à des conflits internes au sein de l’école.

Le projet de loi sur la protection des données instaurait de nouvelles restrictions de la liberté d’expression et menaçait le droit au respect de la vie privée de la population. Grâce à des exemptions rédigées en termes vagues, ce texte habilitait les autorités à accéder aux données personnelles de particuliers et d’institutions en dehors de tout contrôle judiciaire.

LIBERTÉ DE RÉUNION

La police a réprimé plusieurs manifestations pendant l’année. À Sylhet, en janvier, des affrontements ont opposé la police et des centaines d’élèves d’une université publique qui exigeaient la démission du recteur, car il avait demandé une intervention policière contre un blocus des locaux par des étudiant·e·s. La police aurait fait usage de matraques, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc, faisant plusieurs blessé·e·s, et aurait porté plainte contre 200 élèves.

En février, la police a tiré à balles réelles et lancé des grenades lacrymogènes pour disperser des ouvrières et ouvriers de l’industrie textile qui protestaient contre la fermeture d’une usine.

En mars, elle a fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau contre des manifestant·e·s d’organisations de gauche pendant des actions de protestation contre la hausse des prix des services essentiels et des produits de première nécessité.

En juin, la police a réprimé des manifestations d’ouvrières et ouvriers de plusieurs usines textiles de la capitale, Dacca, qui demandaient une augmentation du salaire mensuel minimum, fixé en 2018 à 8 000 takas bangladais (80 dollars des États-Unis), afin de faire face à l’inflation.

En juillet, la police a arrêté 108 jeunes hommes dans un centre socioculturel de Chuadanga parce qu’ils jouaient à des jeux « nocifs et addictifs » dans le cadre d’une compétition de jeux vidéo en ligne.

En décembre, des affrontements ont éclaté entre la police et des militant·e·s et sympathisant·e·s du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), le plus grand parti d’opposition, devant le siège du BNP à Dacca. Le parti venait d’annoncer qu’il prévoyait d’organiser un rassemblement politique pour demander la démission du parti au pouvoir au profit d’un gouvernement neutre par intérim chargé de superviser les élections de 2023. Un homme est mort des suites d’une blessure par balle et au moins 60 autres personnes ont été blessées après que la police a ouvert le feu sur les milliers de manifestant·e·s.

Pendant la première moitié du mois de décembre, la police a procédé à des arrestations massives dans tout le pays. Parmi les 23 968 personnes appréhendées se trouvaient plusieurs centaines de dirigeant·e·s et militant·e·s du parti d’opposition.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Les allégations de torture et d’autres mauvais traitements en détention restaient fréquentes. Les organisations de la société civile Odhikar et ASK ont estimé à 54 le nombre de morts en détention pendant les neuf premiers mois de l’année. ASK a indiqué que 34 de ces personnes étaient décédées alors que leur procès était toujours en cours.

La mort en garde à vue d’un livreur accusé de vol a été largement relayée dans les médias. La police a déclaré qu’il s’était pendu, mais sa femme, Zannat Akhter, a affirmé qu’il avait été battu à mort parce que la famille n’avait pas pu payer la somme d’argent réclamée par les forces de l’ordre après son arrestation. « La police nous a demandé 500 000 takas bangladais [environ 4 870 dollars des États-Unis] après avoir arrêté mon mari, a déclaré Zannat Akhter dans les médias. Ils l’ont tué parce que nous ne pouvions pas verser cette somme. Allah jugera les personnes qui ont rendu mon garçon orphelin. »

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET DISPARITIONS FORCÉES

Cette année encore, les taux élevés d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées observés au cours de la dernière décennie ont suscité des préoccupations tant à l’échelle nationale qu’internationale, y compris de la part de mécanismes de protection des droits humains des Nations unies tels que le Comité contre la torture. Pendant sa visite au Bangladesh, la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a demandé au gouvernement de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Selon des estimations d’Odhikar, pendant les neuf premiers mois de l’année, au moins 25 personnes ont été tuées dans le cadre d’exécutions extrajudiciaires et 16 ont été victimes de disparitions forcées. Si ces chiffres représentaient une baisse non négligeable par rapport à l’année précédente, ces graves violations des droits humains étaient toujours commises à un rythme préoccupant, malgré des sanctions imposées à la police bangladaise par les États-Unis en décembre 2021.

Dans un reportage d’investigation, Netra News a présenté des informations détaillées, accompagnées d’images satellites, sur « Aynaghar », un centre secret géré par la DGFI en plein cœur de Dacca, dans lequel étaient détenues des victimes de disparition forcée. Des personnes qui avaient été enfermées dans ce centre ont décrit des conditions carcérales cruelles, inhumaines et dégradantes, notamment des cellules sans fenêtre, où de grands ventilateurs étaient allumés presque en continu pour couvrir tous les autres bruits.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

Selon les estimations d’ASK faites principalement à partir de divers articles recueillis dans neuf journaux, au moins 936 viols de femmes et de filles ont été signalés, et 292 femmes ont été tuées par leur mari ou par d’autres membres de leur famille.

Ces chiffres étaient moins élevés que ceux enregistrés par ASK en 2021. Mais une culture de l’impunité persistait pour les violences fondées sur le genre et, faute de données officielles sur les violences faites aux femmes et aux filles, il était difficile d’évaluer leur véritable ampleur.

Une étudiante de l’université de Chittagong aurait été agressée sexuellement et entièrement déshabillée sur le campus par cinq partisans de la Ligue étudiante du Bangladesh (BCL), la branche étudiante du parti au pouvoir, qui ont également menacé de diffuser un enregistrement vidéo de l’attaque si elle dénonçait les faits. Cela n’a pas empêché la victime de déposer plainte auprès de la police et de l’université. À l’issue d’une enquête, cinq jeunes hommes ont été arrêtés, dont deux au moins se sont avérés être des membres actifs de la BCL inscrits en tant qu’étudiants à l’Université de Chittagong. Ils ont été exclus de l’université après l’organisation de chaînes humaines par des dizaines d’étudiant·e·s pour protester contre l’inaction des autorités.

Grâce à la pression constante exercée par des groupes de défense des droits des femmes, le Parlement a adopté un projet de modification de la Loi de 1872 relative aux 
preuves, qui prévoyait l’abrogation de l’article 155(4) permettant à la défense de poser aux personnes portant plainte pour viol des questions concernant leur moralité ou leur caractère supposés.

La Coalition pour la réforme de la législation sur le viol a cependant critiqué ce projet de loi pour ses graves omissions et ambiguïtés susceptibles de perpétuer la culpabilisation des victimes devant la justice, même en cas de suppression de l’article 155(4).

DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS

En dépit de réformes institutionnelles et d’autres changements mis en œuvre après l’effondrement meurtrier du Rana Plaza en 2013, la sécurité au travail était encore bien loin d’être garantie. D’après les estimations de Safety and Rights Society, au moins 333 personnes ont trouvé la mort dans 241 accidents du travail au premier semestre 2022, contre 306 décès pendant la même période en 2021.

En juin, un incendie dans l’entrepôt de conteneurs de BM Container Depot a fait au moins 49 morts et 250 blessés parmi le personnel. Entre autres manquements, le département chargé des matières explosives a constaté que le dépôt n’avait pas de licence l’autorisant à stocker du peroxyde d’hydrogène, dont la présence était peut-être à l’origine de la déflagration. Des personnes ayant survécu à l’accident ont expliqué au journal Prothom Alo qu’une sortie était verrouillée, empêchant le personnel de prendre la fuite.

Le même problème avait contribué aux décès de travailleuses et de travailleurs dans l’incendie de l’usine Hashem Foods moins d’un an auparavant, et dans celui de Tazreen Fashions en 2012. Au Parlement, une députée de l’opposition a reproché au gouvernement de n’avoir pris aucune mesure contre les propriétaires du dépôt, affiliés à la section de la Ligue Awami du district de Chattogram Sud.

La fréquence des accidents industriels soulignait le manque de détermination du gouvernement à surveiller et à garantir le respect par les employeurs des mesures de protection prévues par les dispositions relatives à la sécurité des travailleuses et des travailleurs figurant dans le droit du travail et dans la législation en matière de sécurité des bâtiments.

En août, plus de 150 000 personnes travaillant dans 168 plantations de thés aux quatre coins du Bangladesh ont entamé une grève illimitée pour exiger l’augmentation de leur salaire minimum quotidien de 120 à 300 takas bangladais (respectivement 1,2 et trois dollars des États-Unis). Après plusieurs négociations infructueuses, la Première ministre a ordonné aux propriétaires de plantations de thé d’augmenter le salaire minimum à 170 takas bangladais (1,7 dollar des États-Unis).

DISCRIMINATION

Des membres de groupes minoritaires se sont dits victimes de différentes formes de discrimination, en particulier sur le plan ethnique et religieux. En avril, le ministre de la Justice a soumis au Parlement un projet de loi contre la discrimination. Attendu depuis longtemps, ce texte devait interdire toute discrimination fondée sur le genre, la religion, l’origine ethnique, le lieu de naissance, la caste ou la profession, entre autres motifs. Il prévoyait aussi l’instauration d’un mécanisme de dépôt de plainte permettant aux victimes de discrimination de demander réparation.

Selon des informations qui ont commencé à circuler en mai, le militant des droits des populations autochtones Nabayan Chakma Milon serait mort alors qu’il était détenu par l’armée. Toujours en mai, la Commission des Chittagong Hill Tracts a diffusé un communiqué de presse dans lequel elle exprimait ses vives préoccupations quant au déploiement de nouvelles unités du bataillon de la police armée dans les campements militaires vacants de la région, en violation, selon elle, de l’accord de paix.

En juillet, dans le district de Narail, une foule a vandalisé un temple hindou et a pillé et incendié les habitations de plusieurs familles hindoues ainsi qu’une épicerie détenue par un homme de cette même confession, au motif que le fils du propriétaire de la boutique aurait « porté atteinte aux sentiments religieux » dans une publication Facebook.

Cet assaut est venu s’ajouter à une série d’attaques collectives similaires qui ont été commises contre les populations hindoues ces dernières années, à savoir des pillages organisés suivis de destructions violentes, officiellement en réponse à une publication sur les réseaux sociaux, qui se révélait souvent fausse. Des habitant·e·s victimes de telles attaques ont expliqué que des groupes de personnes avaient volé leurs biens et leur avaient réclamé de l’argent avant de détruire leur maison par le feu ou de menacer de le faire.

Des groupes marginalisés de la côte sud- ouest du Bangladesh ont indiqué que leur accès à l’eau était gravement entravé, non seulement par les dégâts au niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement occasionnés par le changement climatique, mais aussi par la discrimination systémique. Dans le cas des dalits (opprimé·e·s), cette discrimination était motivée par des notions d’impureté et d’intouchabilité.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

Malgré quelques revers initiaux, l’accès à l’éducation des réfugié·e·s rohingyas venant du Myanmar s’est amélioré au cours de l’année. Entre décembre 2021 et avril 2022, le gouvernement aurait fermé et démantelé une trentaine d’écoles gérées localement. Selon des réfugié·e·s rohingyas, des enseignant·e·s auraient été arrêtés par le bataillon de la police armée, et n’auraient été libérés qu’après avoir signé un document attestant qu’ils allaient cesser d’enseigner. La situation s’est améliorée en mai.

L’UNICEF a indiqué que 10 000 enfants rohingyas étaient inscrits à son projet pilote d’enseignement du programme scolaire du Myanmar, qui visait à leur offrir une éducation fondée sur le programme de leur pays d’origine. Il s’agissait de l’une des principales revendications des organisations humanitaires depuis le début de la crise des réfugié·e·s.

L’UNICEF estimait cependant que, sur plus de 400 000 enfants rohingyas en âge d’aller à l’école résidant dans les camps de réfugié·e·s du Bangladesh, 100 000 ne fréquentaient toujours pas de centre d’enseignement.

Le 19 juin, la veille de la Journée mondiale des réfugiés, des dizaines de milliers de Rohingyas ont organisé dans 23 camps d’Ukhia et de Teknaf une manifestation baptisée « Bari Cholo » (Laissez-nous rentrer chez nous).

En dépit des inquiétudes de la communauté internationale et des groupes de défense des droits humains, le gouvernement bangladais a poursuivi son projet de réinstaller au moins 100 000 réfugié·e·s rohingyas à Bhasan Char, une île éloignée sujette aux inondations. En octobre, 963 réfugié·e·s rohingyas y ont été conduits, portant le nombre total de Rohingyas sur l’île à 30 079 selon les chiffres officiels. Des réfugié·e·s qui avaient tenté de fuir cette île isolée auraient été arrêtés par la police, ce qui mettait en doute le caractère volontaire de cette opération de réinstallation.

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