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Manifestation de protestation suite à la mort du blogueur Niloy Chakrabart à Dacca le 8 août 2015. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

Manifestation de protestation suite à la mort du blogueur Niloy Chakrabart à Dacca le 8 août 2015. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

Bangladesh

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Bangladesh en 2024.

La Loi sur la cybersécurité, très répressive et non conforme au droit international ni aux normes en la matière, limitait toujours fortement la liberté d’expression. Les manifestations emmenées par le mouvement étudiant ont été violemment réprimées par la police, les forces armées et divers groupes fidèles à la Ligue Awami, l’ancien parti au pouvoir. Face aux violences, qui ont fait plusieurs centaines de morts et des milliers de blessé·e·s, de nombreuses voix se sont élevées, tant dans le pays qu’au niveau international, pour demander des réformes. Le nouveau gouvernement par intérim a commencé à s’attaquer à la question des disparitions forcées, mais les familles des personnes disparues attendaient toujours que la vérité soit établie et que justice soit faite. Les réfugié·e·s rohingyas vivaient toujours dans des camps, dans des conditions déplorables et privés des services les plus essentiels. Les minorités religieuses et les peuples autochtones ont été la cible de violences. Des ouvrières et ouvriers du secteur du textile ont cette année encore été victimes d’actes d’intimidation et de harcèlement. Leurs droits à la liberté d’association et de réunion pacifique n’ont pas été respectés.

Contexte

La Première ministre Sheikh Hasina a démissionné et fui en Inde le 5 août, après des semaines de manifestations emmenées par le mouvement étudiant. Un gouvernement par intérim composé de conseillers et conseillères a été constitué le 8 août. Des atteintes à l’ordre public ont été signalées dans la période qui a suivi, ainsi que des violences contre des personnes liées à la Ligue Awami ou appartenant à des minorités, notamment autochtones. Le gouvernement par intérim a invité le HCDH à venir enquêter sur les atteintes aux droits humains perpétrées entre le 1er juillet et le 15 août.

De violentes inondations et des pluies de mousson très abondantes ont été enregistrées au mois d’août, entraînant ce que les autorités ont qualifié de « pire catastrophe climatique de ces dernières années ». Les inondations provoquées par le changement climatique ont touché près de six millions d’habitant·e·s et entraîné le déplacement d’au moins 500 000 personnes.

Liberté d’expression

Cédant aux pressions de plus en plus vives de la société et de la communauté internationale, le gouvernement avait remplacé en 2023 la Loi sur la sécurité numérique par une Loi sur la cybersécurité tout aussi draconienne. La presse a toutefois fait état de poursuites engagées au titre de la Loi sur la sécurité numérique jusqu’en avril 2024, malgré son abrogation. En février, le tribunal des affaires numériques de Rangpur a diligenté une enquête sur le rédacteur en chef d’un journal local et deux autres personnes. Tous trois ont été inculpés un peu plus tard et incarcérés au titre de la Loi sur la sécurité numérique.

Il était reproché à la Loi sur la cybersécurité de reprendre les dispositions problématiques de la Loi sur la sécurité numérique. Elle conservait en effet 58 de ses 62 dispositions, dont 28 sans la moindre modification, et permettait toujours de limiter de façon draconienne la liberté, notamment d’expression, et le droit au respect de la vie privé. Pinaki Battacharya, blogueur exilé en France, et six autres personnes ont été inculpés en février au titre de la Loi sur la cybersécurité pour avoir détourné des photos de Sheikh Hasina, alors Première ministre, et les avoir publiées sur les réseaux sociaux. De même, 11 hommes ont été inculpés en juin au titre de cette loi pour avoir fait des « commentaires désobligeants » à propos de la cheffe du gouvernement sur les réseaux sociaux. Le 24 décembre, le gouvernement par intérim a adopté une Ordonnance relative à la cyberprotection, qui abrogeait et remplaçait la Loi sur la cybersécurité. Cette Ordonnance a été critiquée par la société civile pour ses dispositions vagues, trop larges et répressives, qui pourraient être utilisées pour museler la liberté d’expression.

Selim Khan, jeune blogueur athée de 19 ans qui avait critiqué l’Islam dans le cadre d’un groupe Facebook privé, avait été arrêté le 4 novembre 2023 et placé en détention au titre de la Loi sur la cybersécurité. Après plusieurs demandes rejetées, un tribunal a finalement ordonné sa libération sous caution le 13 mars, mais il n’a été remis en liberté que le 13 août. L’affaire était toujours en cours à la fin de l’année.

La journaliste Rozina Islam a été acquittée le 14 août des accusations de vol de documents confidentiels dont elle faisait l’objet. Arrêtée en mai 2021 au titre de la Loi sur les secrets d’État et du Code pénal, elle avait passé une semaine en détention avant d’être remise en liberté sous caution. Les autorités n’ont pu produire aucun élément de preuve susceptible d’étayer les charges pesant sur elle.

Le 18 juillet, durant les manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays entre juillet et septembre, les autorités ont bloqué Internet pour six jours. Des restrictions d’accès se seraient également produites par la suite. Le gouvernement a justifié cette mesure en affirmant vouloir combattre la diffusion de fausses informations. Plusieurs groupes de la société civile ont au contraire souligné que cette suspension avait en réalité empêché les activités de surveillance de la situation des droits humains et limité la capacité de la population à déjouer la mésinformation.

Liberté de réunion pacifique

Un système de quotas réservant 30 % des postes dans la fonction publique aux descendant·e·s des anciens combattant·e·s de la guerre d’indépendance a été réinstauré au mois de juin. Début juillet, un grand nombre d’étudiant·e·s sont descendus dans la rue pour protester contre cette mesure, exigeant que l’accès à l’emploi se fasse au mérite et sur un pied d’égalité. Beaucoup craignaient que ces quotas ne favorisent les partisan·e·s du parti au pouvoir. Ces manifestations se sont déroulées sur fond de taux de chômage élevé, notamment chez les personnes diplômées.

Le 15 juillet, la police a violemment dispersé une manifestation pacifique en ayant recours à une force illégale. Des manifestant·e·s auraient été attaqués par des membres de la Ligue étudiante du Bangladesh (BCL), branche de la Ligue Awami, avec l’aide des forces de sécurité, qui auraient fait usage de matraques, de bâtons et d’armes à feu. Des étudiant·e·s ont affirmé avoir été agressés par des membres de ce groupe et des agents des forces de l’ordre alors qu’ils se trouvaient à l’hôpital pour y être soignés.

Abu Sayed, l’un des chefs de file du mouvement étudiant, a été tué par balle le 16 juillet. Il a été abattu par des policiers qui l’ont délibérément et en toute illégalité visé à la poitrine, depuis le trottoir opposé, alors qu’il ne constituait pas une menace. Le jeune homme a été déclaré mort à son arrivée à l’hôpital. Cinq autres personnes auraient trouvé la mort ce jour-là.

Des manifestations demandant à la Première ministre de l’époque, Sheikh Hasina, de présenter des excuses pour les violences perpétrées ont éclaté dans tout le pays, en solidarité avec le mouvement étudiant. Certaines ont dégénéré et des infrastructures publiques, telles que des gares ferroviaires ou des routes, auraient été endommagées. Un couvre-feu a été décrété le 19 juillet à minuit sur tout le territoire. Les forces armées ont été déployées, avec pour consigne des autorités de « tirer à vue ».

Amnesty International a recueilli des informations montrant que les pouvoirs publics avaient fait usage de façon répétée d’une force illégale, avec des armes chargées de balles réelles, dont des fusils d’assaut. Les forces de sécurité ont tiré du gaz lacrymogène dans des espaces clos et ont eu recours à des balles en caoutchouc et des fusils à plombs. Des armes létales et à létalité réduite ont été utilisées contre des étudiant·e·s non armés, en violation des obligations du Bangladesh au regard du droit international et des normes y afférentes.

Selon les médias, quelque 10 000 manifestant·e·s ont été arrêtés et placés en détention entre le 17 et le 29 juillet. Parmi ces personnes figuraient des dirigeant·e·s étudiants, des coordonnateurs·trices de manifestation, de simples passant·e·s et des personnes dont le seul tort était d’avoir donné à boire et à manger aux manifestant·e·s. Arif Sohel, Rony Sheikh et Sabir Rahman, trois chefs de file du mouvement étudiant, ont été arrêtés en juillet. Leurs familles et leurs avocats ont indiqué n’avoir pas pu les voir pendant leur détention, au mépris des garanties de procédure prévues par la loi. Sabir Rahman a été libéré sous caution fin juillet, Rony Sheikh le 2 août et Arif Sohel le 3. La plupart des étudiant·e·s arrêtés l’ont été au titre de procès-verbaux introductifs établis de façon collective, ne mentionnant pas leurs noms individuellement.

Selon l’organisation de la société civile locale Human Rights Support Society, au moins 875 personnes, dont 52 % d’étudiant·e·s, auraient été tuées entre le 16 juillet et le 9 septembre. La presse a fait état d’au moins 111 morts pour la seule journée du 4 août.

À partir du mois d’août, les manifestant·e·s ont réclamé la démission de Sheikh Hasina, le point culminant du mouvement ayant été la « longue marche sur Dacca », programmée le 5 août. Ce jour-là, Sheikh Hasina a pris la fuite pour se réfugier en Inde et a démissionné, après 15 années au pouvoir.

Droits des femmes et des filles

Les femmes et les jeunes filles ont joué un rôle déterminant dans le mouvement étudiant de contestation. Beaucoup ont été la cible d’un usage illégal de la force de la part de la police et ont signalé avoir subi de violentes agressions perpétrées par des groupes proches de la Ligue Awami. Amnesty International a pu s’entretenir avec plusieurs femmes victimes de telles agressions, qui ont déclaré avoir reçu des coups de pied dans la poitrine, le ventre et la tête. Selon des informations parues dans les médias, les agresseurs s’en seraient pris à des femmes et à des jeunes filles pour les dissuader d’aller manifester.

Plusieurs journalistes de sexe féminin ont affirmé avoir été prises pour cible par la police, des groupes liés à la Ligue Awami, voire des manifestant·e·s, parce qu’elles tentaient de couvrir le mouvement de contestation.

Très active dans la coordination des manifestations, la cheffe de file étudiante Nusrat Tabbasum a été arbitrairement arrêtée et incarcérée le 27 juillet, en compagnie d’autres coordonnateurs et coordonnatrices du mouvement. Le gouvernement a déclaré que ces personnes avaient été « placées en détention pour leur propre sécurité ». Nusrat Tabbasum et cinq autres coordonnateurs·trices ont été libérés le 1er août après une grève de la faim de 32 heures. Ces militant·e·s ont affirmé avoir été contraints au cours de leur garde à vue d’appeler à l’arrêt des manifestations.

Disparitions forcées

Selon l’organisation bangladaise de défense des droits humains Odhikar, 10 disparitions forcées ont été signalées entre les mois de janvier et de juin.

Trois personnes dont on était sans nouvelles depuis plusieurs années et qui se trouvaient en fait dans un centre de détention secret ont été libérées après la démission de Sheikh Hasina. Il s’agissait de Michael Chakma, défenseur des droits des peuples autochtones soumis à une disparition forcée en 2019, d’Abdullahil Aman Azmi, général de brigade à la retraite, fils du chef du parti Jamaat-e-Islami, « disparu » en 2016, et d’Ahmad Bin Quasem, avocat près la Cour Suprême, lui aussi victime de disparition forcée en 2016.

Le 27 août, le gouvernement par intérim a mis en place une commission composée de cinq membres chargée d’enquêter sur les allégations de disparitions forcées survenues entre le 6 janvier 2009 et le mois d’août 2024. Cette commission a rendu public le 14 décembre un rapport intermédiaire détaillant les cadres juridiques et les schémas récurrents observés dans les cas de disparitions au Bangladesh.

Le gouvernement par intérim a accompli un pas dans la bonne direction en adhérant le 29 août à la Convention internationale contre les disparitions forcées. Le Bangladesh était cependant un pays dualiste (c’est-à-dire un État qui considère que le droit international et le droit national sont deux choses bien distinctes) et aucune loi n’a été adoptée pour inscrire pleinement la Convention dans le droit bangladais.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Le Bangladesh accueillait près d’un million de réfugié·e·s rohingyas ayant fui les violences et les persécutions dans leur pays d’origine, le Myanmar. Les conditions de vie dans les camps restaient extrêmement difficiles, d’autant plus que les réfugié·e·s continuaient d’affluer en raison des violences qui se poursuivaient au Myanmar. Les personnes qui vivaient dans ces camps étaient confrontées à l’insécurité alimentaire, au manque de logements et à l’absence de services de base, en matière de santé par exemple. En outre, il leur était impossible de se faire enregistrer par le HCR. De nombreux Rohingyas ont été empêchés d’entrer sur le territoire bangladais et ont été illégalement renvoyés de force au Myanmar par les gardes-frontières, en violation du principe de « non-refoulement ».

Dans les camps, des réfugié·e·s ont par ailleurs été victimes d’inondations et de glissements de terrain dus aux fortes pluies de la mousson. Un important incendie qui s’est déclaré dans un camp en janvier a entraîné la destruction d’au moins 800 abris, laissant sans toit près de 7 000 personnes. Selon le HCR, les pouvoirs publics et diverses agences humanitaires leur ont fourni un hébergement d’urgence provisoire, de la nourriture et un soutien médical et psychologique.

Liberté de religion et de conviction

Les autorités ont manqué à leur obligation de protéger les minorités contre les violences, la discrimination et le harcèlement. Les communautés hindoue et ahmadie ont été la cible d’une vague d’agressions les 5 et 6 août. Des logements, des lieux de culte et des entreprises appartenant à des membres de minorités religieuses ont été attaqués et au moins une personne hindoue a été tuée.

Droits des peuples autochtones

Plus d’une centaine de membres de la minorité autochtone Bawm ont été arrêtés arbitrairement en avril et en mai, dans le cadre d’une opération militaire en cours dans les Chittagong Hill Tracts, dans le sud-est du Bangladesh. Accusées entre autres de sédition, au titre de la Loi sur les pouvoirs spéciaux, particulièrement répressive, ces personnes étaient toujours en détention à la fin de l’année.

Des violences ont éclaté le 20 septembre entre des colons bengalis et des autochtones jummas dans les districts de Khagrachari et de Rangamati des Chittagong Hill Tracts, faisant au moins trois morts et 15 blessés. Une cinquantaine d’habitations et de locaux commerciaux ont été incendiés.

Droits des travailleuses et travailleurs

Les ouvrières et ouvriers du secteur du textile étaient confrontés à une répression permanente, et leurs droits à la liberté syndicale et d’association, de réunion et de manifestation pacifique étaient régulièrement bafoués.

Au moins neuf personnes travaillant dans ce secteur, ainsi que d’autres travailleuses et travailleurs, dont des mineur·e·s, figuraient parmi les victimes du recours illégal à la force par les autorités lors des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays en juillet et en août. Pendant cette période, de nombreuses usines du secteur sont restées longtemps fermées, privant les employé·e·s de toute rémunération et les contraignant bien souvent à manifester pour exiger leurs arriérés de salaire.

Des travailleuses et travailleurs ont été la cible de poursuites arbitraires et d’un usage illégal de la force, et craignaient d’être arrêtés et incarcérés. Un ouvrier du secteur textile a été abattu par la police le 30 septembre et au moins 41 ouvrières et ouvriers ont été blessés lorsque des manifestations pacifiques en faveur d’une hausse des salaires ont dégénéré.

Au moins 40 000 ouvrières et ouvriers du secteur de l’habillement restaient menacés d’arrestation et de détention dans le cadre des poursuites judiciaires engagées contre eux lors du mouvement de revendication salariale intervenu de septembre à novembre 2023. Bien que le gouvernement par intérim ait annoncé le 24 septembre que ces poursuites allaient être abandonnées, la majorité des affaires n’avaient pas été officiellement classées à la fin de l’année.

Le 11 septembre, l’Association des fabricants et des exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA) s’est engagée à supprimer une base de données de travailleuses et travailleurs. Cet organisme avait jusque-là nié toute utilisation de cette base de données pour constituer une liste rouge des personnes proches de syndicats ou ayant pris part à des manifestations, afin que celles-ci ne puissent plus être embauchées.

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