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© EITAN ABRAMOVICH/AFP/Getty Images
Argentine
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Argentine en 2024.
Les personnes qui souhaitaient avorter se heurtaient encore à un certain nombre d’obstacles. Les féminicides et les violences fondées sur le genre constituaient toujours un phénomène préoccupant et les services de soutien ont vu leurs moyens revus à la baisse. Plusieurs femmes journalistes ont fait l’objet d’actes de violence en ligne. La surveillance de masse a été légalisée par une nouvelle loi. La répression des manifestations publiques s’est intensifiée. La pauvreté s’est accrue et le gouvernement a imposé des mesures d’austérité draconiennes, qui touchaient plus particulièrement les personnes âgées. Le gouvernement a fait marche arrière dans la lutte contre le changement climatique en proposant notamment des textes de loi destinés à autoriser la déforestation et les activités minières en zone périglaciaire.
CONTEXTE
Le pays était toujours en proie à une profonde crise économique et sociale. Selon les données de l’Institut national de la statistique et du recensement (INDEC), 52,9 % de la population vivait au-dessous du seuil de pauvreté en juin.
Le Comité des droits de l’enfant s’est inquiété de la fermeture et de la dégradation de certains établissements, de l’arrêt de certaines politiques publiques et de la très forte réduction des moyens destinés à garantir le respect des droits des enfants et des adolescent·e·s, notamment par des coupes dans les budgets de la santé et de l’enseignement.
Le Congrès n’avait toujours pas nommé de titulaire au poste de médiateur·trice, inoccupé depuis 2009. L’exécutif n’a proposé que des candidats de sexe masculin pour pourvoir les deux sièges vacants au sein de la Cour suprême, déjà exclusivement composée d’hommes.
Un projet de loi visant à abaisser de 16 à 13 ans l’âge de la responsabilité pénale était en instance d’adoption.
L’Argentine a rejeté le Programme 2030. Elle a aussi été le seul pays à se dissocier du Pacte pour l’avenir et à voter contre une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies visant à prévenir la violence numérique contre les femmes et les filles.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
Selon le ministère de la Santé, 245 015 personnes ont subi une interruption volontaire de grossesse dans le cadre du système de santé public entre la date de la légalisation de l’avortement pendant les 14 premières semaines de grossesse, en 2021, et octobre 2023. Le nombre de décès liés à un avortement a baissé de 53 % entre 2020 et 2022. Le président de la République, Javier Milei, a néanmoins parlé en janvier de ce qu’il appelait « l’agenda sanglant de l’avortement », multipliant de manière générale les propos stigmatisants et les fausses informations. Bien que la Loi sur l’interruption volontaire de grossesse reste en vigueur (malgré les tentatives de certain·e·s parlementaires visant à l’abroger), la Direction nationale de la santé sexuelle et reproductive a fait part en septembre d’une pénurie des fournitures indispensables pour pratiquer ce type d’intervention.
Selon des informations publiées en 2024, cinq jeunes filles de moins de 20 ans accouchaient par heure en Argentine en 2022. Cela n’a pas empêché le gouvernement de mettre fin au Plan de prévention des grossesses non désirées lors de l’adolescence, qui avait pourtant permis de réduire de 49 % en quatre ans le taux de grossesse dans cette tranche d’âge. Le ministère de la Santé l’a sabordé en diminuant son budget de 68 % en termes réels, en résiliant les contrats de 619 spécialistes et en pratiquant des coupes dans les ressources disponibles.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Entre janvier et décembre, un féminicide a été signalé toutes les 33 heures. Les coupes réalisées malgré cela dans les moyens alloués aux politiques de lutte contre la violence fondée sur le genre étaient d’autant plus alarmantes. Le personnel du centre d’appel en cas de violences fondées sur le genre (le 144) a été réduit de 42 % et le programme Acompañar, destiné à renforcer l’indépendance économique des personnes victimes de ce type de violences, a vu son champ d’action diminuer de 98,63 % au premier trimestre 2024 par rapport à la même période un an plus tôt.
En juin, la justice brésilienne a reconnu l’acteur Juan Darthés coupable du viol de l’actrice argentine Thelma Fardín alors que celle-ci était âgée de 16 ans. Juan Darthés, qui disposait de la double nationalité brésilienne et argentine, était parti vivre au Brésil après avoir été mis en cause par la jeune femme en 2018. Or, le Brésil n’extradait pas ses ressortissant·e·s.
Trois femmes lesbiennes sont mortes en mai après qu’un homme eut lancé un cocktail Molotov dans la pièce où elles dormaient.
Un homme a été reconnu coupable en août du meurtre de Tehuel de la Torre, un jeune homme transgenre disparu le 11 mars 2021. Le tribunal a estimé que ce crime avait été commis avec des circonstances aggravantes, dans la mesure où il avait été motivé par la haine de l’identité de genre de la victime. La justice argentine reconnaissait ainsi pour la première fois les violences extrêmes fondées sur le genre auxquelles pouvaient être exposés les hommes transgenres. La militante lesbienne défenseure des droits humains Pierina Nochetti a fait l’objet de poursuites pénales qui auraient pu lui valoir quatre années d’emprisonnement pour avoir, selon l’accusation, peint un graffiti en signe de protestation contre la disparition de Tehuel de la Torre. Elle a finalement été acquittée en octobre.
L’influenceur Emmanuel Danann a été condamné en avril à une peine de travaux d’intérêt général assortie d’une obligation de suivre un stage sur la prévention de la violence liée au genre. Il lui a également été interdit de mentionner la journaliste Marina Abiuso, qu’il avait systématiquement harcelée en ligne pour des motifs liés au genre de cette dernière.
Au cours des cinq dernières années, 63,5 % des journalistes de sexe féminin dans le pays ont été victimes de violence en ligne ; 85,6 % d’entre elles disaient avoir fait l’objet de harcèlement ou de trollage. En outre, elles étaient 45,9 % à avoir subi des actes de harcèlement sexuel ou des menaces de violences sexuelles. En raison de ces agissements, exactement la moitié de ces journalistes disaient se livrer à l’autocensure, 34,5 % préférant quitter purement et simplement les plateformes numériques.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET SURVEILLANCE DE MASSE
Depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei en 2023, près de 30 journalistes ont été victimes d’actes de harcèlement et de violence sur les réseaux sociaux et dans la presse de la part du président de la République et de plusieurs autres responsables publics.
Émises par le ministère de la Sécurité, les résolutions 428/2024 et 710/2024 autorisaient la surveillance de masse via les réseaux sociaux, les applications numériques et Internet, ainsi que la reconnaissance faciale et le recours à des algorithmes à apprentissage automatique destinés à analyser « les données historiques en matière de criminalité et ainsi prévoir les futures infractions et participer à leur prévention ».
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Après l’adoption en décembre 2023 d’une réglementation limitant le droit de manifester, la répression des mouvements de contestation s’est progressivement renforcée. Le 1er février, Matías Aufieri a perdu un œil après avoir reçu une balle en caoutchouc tirée par la police lors d’une manifestation pacifique organisée pour protester contre un projet de loi prévoyant des mesures d’austérité.
Trente-trois personnes ont été arbitrairement arrêtées le 12 juin lors de manifestations contre une nouvelle version du même projet. Des poursuites judiciaires ont été engagées contre elles. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a condamné les propos des autorités qui stigmatisaient les manifestant·e·s, les faisaient passer pour des délinquant·e·s et les qualifiaient de « terroristes » préparant un « coup d’État ».
IMPUNITÉ
Le pouvoir exécutif a ordonné la dissolution de l’Unité spéciale d’enquête chargée de retrouver les enfants enlevés et victimes de disparition forcée sous le régime militaire auquel a été soumis le pays entre 1976 et 1983.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que la responsabilité de l’Argentine concernant l’attentat commis le 18 juillet 1994 au siège de l’Association mutuelle israélite argentine était engagée. Elle a jugé que l’État n’avait pas pris de véritables mesures pour empêcher ce drame, n’avait pas satisfait à son devoir d’enquêter comme il l’aurait dû sur cette attaque et sur les manœuvres visant à entraver les investigations, et avait porté atteinte au droit à la vérité.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
L’adoption de mesures d’austérité avait des conséquences particulièrement graves pour les enfants et les personnes âgées.
Selon l’INDEC, 15,7 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté au premier semestre 2024, soit une augmentation de 11,2 % par rapport à fin 2023. L’UNICEF a déclaré en avril que plus d’un million d’enfants se couchaient le soir sans manger.
L’ajustement fiscal réalisé par les pouvoirs publics reposait en grande partie sur une baisse des retraites. Sur l’ensemble de l’année 2024, le minimum vieillesse ne suffisait plus à couvrir le coût de la vie, ce qui constituait un déni du droit fondamental de tout individu de bénéficier d’un niveau de vie suffisant. Le Congrès a voté une augmentation du montant des retraites, mais le président de la République a mis son veto à cette décision, au mépris des droits économiques et sociaux des personnes âgées.
Les classes moyennes d’Argentine souffraient de l’austérité, tandis que le système fiscal favorisait un modèle de taxation rétrograde qui ne faisait qu’accroître les inégalités. Le gouvernement présentait les mesures d’austérité et les coupes budgétaires comme indispensables au rétablissement de l’équilibre des comptes publics, tout en réduisant le caractère progressif de l’impôt et en accordant des exonérations fiscales aux grandes entreprises.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
La position du gouvernement concernant le changement climatique restait un motif de préoccupation majeur. Le chef de l’État a ainsi déclaré que le « réchauffement mondial [était] un mensonge du socialisme ». Il a annoncé son intention de revenir sur les engagements de l’Argentine au titre du Programme 2030, qui comportait des objectifs en matière d’atténuation du changement climatique. Selon l’outil Climate Action Tracker, les objectifs et politiques climatiques du pays étaient « extrêmement insuffisants », c’est-à-dire en totale non-conformité avec le plafond de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris comme étant la limite du réchauffement moyen de la planète à ne pas dépasser.
Le gouvernement a par ailleurs déposé des projets de loi qui marquaient un retour en arrière dans le domaine climatique, en permettant la déforestation dans des secteurs actuellement protégés et en élargissant le périmètre dans lequel les activités extractives étaient autorisées en zone périglaciaire. Ces réformes n’avaient pas été adoptées à la fin de l’année.
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