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Des villageois protestent au Myanmar contre l'expansion d'une mine de cuivre © REUTERS/Soe Zeya Tun

Des villageois protestent au Myanmar contre l'expansion d'une mine de cuivre © REUTERS/Soe Zeya Tun

Liberté d'expression

Les porte-voix de la société civile

Les défenseurs des droits humains réclament une meilleure protection contre ceux qui veulent les faire taire.

Une « période tumultueuse pour les droits humains ». Au détour d’un communiqué sur la nomination de Michèle Bachelet comme Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, effective depuis le 1er septembre, Isha Dyfan, en charge du plaidoyer à Amnesty International, a trouvé le mot juste. Tumulte. Les imprécations de quelques uns des dirigeants les plus puissants de la planète contre les défenseur(e)s des droits humains font en effet du vacarme.

À commencer par celles du Russe Poutine et de l’Américain Trump. Poutine laisse mourir le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov dans une prison de Sibérie ; Trump vitupère ceux qui viennent en aide aux migrants. Ce tumulte-là n’est pas que bombements de torse ou paroles en l’air sur les réseaux sociaux.

« L’environnement est ultra toxique et ultra dangereux, déplore Katia Roux, chargée de plaidoyer à Amnesty France. On assiste au rétrécissement des espaces de la société civile, des libertés d’expression, d’association et de réunion ».

Car le péril est grandissant pour la sécurité même des défenseurs des droits humains, acteurs éminents et souvent porte-voix de la société civile. Il se mesure d’ailleurs avec de sombres statistiques : 312 personnes assassinées en 2017 pour avoir défendu les droits humains et environnementaux, contre 281 en 2016 et 156 en 2015. Et moins de 12 % de ces meurtres ont donné lieu à l’arrestation de suspects.

La lutte contre l’impunité, mais aussi pour une meilleure protection des paysans, militants associatifs, avocats, journalistes, blogueurs qui tombent sous les balles, est donc essentielle. L’objectif du sommet mondial, qui se réunira à Paris fin octobre, vingt ans après une première rencontre internationale en 1998, est de faire respecter le « droit à la liberté d’action » des défenseurs et acteurs engagés de la société civile.

Mais aussi de « mettre un coup de projecteur sur celles et ceux qui sont particulièrement ciblé.e.s ».

« Ce sont des gens qui s’engagent pour combattre une situation correspondant à une violation d’un droit particulier, explique Sylvie Brigot-Vilain, directrice d’Amnesty France. Mais ce n’est pas un label ! Les profils sont variés, leur manière de défendre les droits l’est également. Ainsi, les lanceurs d’alerte sont des défenseurs. Comme l’est Martine Landry, qui a porté la question du délit de solidarité, comme le sont les jeunes à Hong-Kong, mobilisant sur la liberté d’expression et la démocratie, ou en Turquie, une myriade de personnalités défendant un ensemble de droits particulièrement menacés ».

Un précédent historique

En décembre 1998, un premier sommet rassemblait, déjà à Paris, 350 défenseurs des droits humains, dont deux prix Nobel de la paix, le dalaï-lama (1989) et Rigoberta Menchu (1992). Ils avaient été conviés par Amnesty International, la FIDH, ATD Quart-Monde et France Libertés pour témoigner de leur situation et saluer la Déclaration des Nations unies sur « le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus ».

Ce sommet avait consacré un espoir, la reconnaissance d’une réalité, l’ébauche d’un statut protecteur. Mais pour les défenseurs, il faut, vingt ans plus tard, passer à la vitesse supérieure, faire sortir les États et les entreprises de l’inertie.

Car l’indifférence est la validation du permis de tuer. « Ils sont victimes d’attaques pour ce qu’ils font et pour ce qu’ils sont », résume Katia Roux, qui prépare avec quelques autres le nouveau sommet. Des moyens et des objectifs concrets : le sommet mondial des défenseurs des droits humains, qui va se réunir à Paris du 29 au 31 octobre, a d’abord pour objet de soutenir « celles et ceux qui se battent pour la préservation des libertés et des droits humains partout dans le monde ».

Les organisateurs estiment que les vingt dernières années ont permis « énormément d’avancées », comme la mise en place de mécanismes de protection des défenseurs par l’Union européenne et plusieurs pays.

« Il faut aider la société civile à s’organiser, contribuer à la protection et au renforcement du travail des défenseurs », poursuit Katia Roux. Car avec des lois liberticides, comme en Hongrie ou en Égypte, des lois sur le financement des ONG, comme en Russie, des lois anti-terroristes, comme en Arabie saoudite, « tout est bon pour traquer les défenseurs ».

Attaques personnelles, emprisonnements, assassinats, détentions arbitraires, disparitions forcées, dénigrement, diffamation, harcèlement en ligne : les réduire au silence semble l’objectif principal de nombreux pays.

« En Argentine, en Côte d’Ivoire, en RDC, aux Philippines, en Thaïlande, des défenseurs des droits nous expliquent qu’ils sont suivis dans la rue, reçoivent des menaces de mort, que leurs proches sont harcelés, poursuit Sylvie Brigot-Vilain. On voit ailleurs de plus en plus de campagnes de dénigrement. Les défenseurs sont aussi menacés, voire plus encore, par les entreprises, y compris au travers de lobbys parlementaires, quand ils s’attaquent à leurs intérêts. C’est une tendance lourde ».

Une feuille de route pour les vingt ans à venir

La contradiction dans laquelle se trouve une partie des défenseurs à l’heure actuelle est symbolique de l’époque et sera au cœur des réflexions du sommet.

Car si les défenseurs bénéficient d’une reconnaissance de la communauté des nations, ils font l’objet d’attaques frontales dans de nombreux pays. Face à ce qui ressemble fort à une contre-offensive, idéologique comme sur le terrain, l’enjeu est double : croiser les regards d’abord, élaborer et partager des stratégies ensuite.

Les organisateurs de cet événement, « de et pour la société civile », précise Katia Roux, veulent jeter les bases d’un travail commun pour les vingt prochaines d’années. Un plan d’action sera élaboré à Paris, puis présenté aux chefs d’État dans le cadre de l’assemblée générale des Nations unies le 9 décembre.

Les 150 défenseurs et l’ensemble des quelque 250 participants vont travailler pour dégager « des pistes d’engagements pour les États, pour les entreprises et aussi pour les organisations intergouvernementales, les institutions financières et les bailleurs ».

La structure même du sommet, imaginé comme « un forum pour se retrouver, se confronter, partager et analyser points de vue et solutions », devrait dégager de nouvelles perspectives.

Utilisant cinq langues, le français, l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le russe, pour être le plus précis possible, le sommet s’ouvrira sur un appel des défenseurs, manifeste à l’intention des opinions publiques. Puis, pendant trois jours, des sessions par enjeux, par régions et par thématiques alterneront avec des réunions plénières.

Mécanismes de protection, assassinats et violences physiques, espaces de libertés, dénigrement et diffamation, attaques liées au genre : les sujets sur la table sont nombreux. Le sommet portera une attention particulière à la montée en puissance des réseaux de partage et de solidarité, nationaux et régionaux, mais aussi locaux, ­essentiels pour briser la répression liée à l’isolement.

Le plan d’action, adopté à la fin du sommet, sera une feuille de route commune, pratique et pragmatique. Pour son dévoilement public au terme de la dernière journée, le sommet rejoindra le Trocadéro.

D’abord le parvis des Droits de l’homme pour une photo engagée, puis la grande salle de Chaillot pour sa présentation en présence probable du Secrétaire général des Nations unies Antonio Gùterres, du président de la République française Emmanuel Macron, et d’un certain nombre de ministres des affaires étrangères.

Les défenseurs feront savoir que « leurs voix comptent », assure Katia Roux. Et puis on boira un coup, en chansons. Défendre la douceur de vivre, c’est (aussi) Paris !

— Par Jean Stern, avec Franck Petit pour La Chronique d'Amnesty International

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Suivez le sommet mondial des droits humains

À l’avant-garde des luttes pour des changements sociaux, politiques et environnementaux dans leurs pays, 150 Défenseurs-défenseures des droits humains du monde entier se réunissent pendant trois jours.