Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Kazanevsky (Ukraine) - Cartooning for Peace
Crédit : Kazanevsky (Ukraine) - Cartooning for Peace

Crédit : Kazanevsky (Ukraine) - Cartooning for Peace

Conflits armés et protection des civils

Ukraine : la guerre vue par des dessinateurs de presse 

À l’occasion de la sortie du livre Fichez-nous la paix ! dans la collection Cartooning for Peace, publié aux éditions Gallimard et dont Amnesty International est partenaire, deux dessinateurs de presse, Kak et et Vladimir Kazanevsky nous racontent l’importance de leur métier. Interview croisée.

Président de l’association Cartooning for Peace, Kak est aussi membre de la rédaction de L’Opinion, où il illustre chaque jour la Une du quotidien.  

Vladimir Kazanevsky est un grand dessinateur ukrainien. Il a remporté plus de 500 prix dans plus de 500 pays dans le cadre de concours internationaux de dessins. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, il prend la route de l’exil pour se réfugier en Slovaquie.

Le dessin de presse a-t-il un rôle particulier dans le traitement de l’information ?  

Kak – Si je devais lui en donner qu’un, ce serait d’inciter au regard critique sur l’actualité, notamment dans la perspective de se moquer des puissants. Cela peut passer par l’humour, l’ironie, la caricature, la gravité, l’émotion, etc. On peut comparer le dessin de presse à un numéro d’équilibriste : il ne raconte rien de faux tout en exagérant une situation, pour précisément éveiller ce regard critique.  

V.K – En Ukraine, il n’y a pas de véritable tradition du dessin de presse politique. Sous l’ère soviétique, le dessin de presse faisait de la propagande contre « l’impérialisme américain ». Il n’y avait pas d’esprit critique et encore moins de voix dissidentes, comme cela pouvait être le cas à l’Ouest. L’histoire du dessin de presse politique en Ukraine est donc très récente. 

Cartooning for Peace est une association internationale créée par Plantu en 2006 dans le but de favoriser le dialogue sur des sujets qui divisent. Ses trois principales missions sont la promotion et le décryptage du dessin de presse, la pédagogie auprès des publics pour sensibiliser aux droits humains et l’accompagnement des dessinateurs et dessinatrices de presse menacés grâce à des actions de plaidoyer et des campagnes de mobilisation. Elle regroupe 281 dessinateurs et dessinatrices dans 74 pays dans le monde. 

Comment choisissez-vous les événements que vous dessinez sur la guerre en Ukraine ?  

Kak – C’est l’actualité qui détermine mes choix : un nouvel acte barbare, une zone front tendue, l’exil des personnes, la livraison (ou pas) d’armes, etc.  

V.K – Avant la guerre, je ne traitais pas les sujets politiques. Mais quand la guerre a commencé, il m’est devenu impossible de continuer les dessins amusants. Si je dessine cette guerre tous les jours, je ressens moins le besoin de faire écho à son actualité que d’expliquer de manière plus globale ses racines, sur un ton philosophique.  

Qu’est-ce que le dessin de presse dit que des articles ou la photographie ne disent pas ?  

Kak – Le dessin de presse fait l’ultra-synthèse d’un sujet, avec un angle particulier, en une seule image.  La critique qu’il fait est beaucoup plus affirmée. Le dessin de presse permet de zoomer sur un détail précis. Il donne un autre point de vue critique. Dans le cadre de la guerre en Ukraine, les dessins de presse sont, par leur décalage, encore plus incisifs que les voix officielles. Dans une photo, il y a bien-sûr le regard du photographe. Mais dans le dessin de presse, les visages sont déformés, les situations plus symboliques : on peut aller au-delà de la pure réalité. 

V.K – Le principal élément d’un dessin de presse, c’est l’idée qu’il représente et comment il la représente. C’est différent de l’écriture et de la photographie. Je passe plus de temps à réfléchir à l’idée d’un dessin que je ne passe de temps à le réaliser ! Le dessin de presse est à la frontière entre le journalisme et l’art. On explique des événements comme un journaliste, mais on le fait en tant qu’artiste. Pas simplement comme un artiste qui dessine, mais comme un artiste qui pense.  

Depuis le début de la guerre, je ne suis plus un dessinateur libre.

Vladimir Kazanevsky, dessinateur ukrainien

Pourquoi c’est important d’avoir des points de vue du monde entier sur la guerre en Ukraine ?  

Kak – Le corpus idéologique commun à nos dessinateurs et dessinatrices c’est la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Mais quand on confronte des dizaines d’opinions, il y a forcément de la diversité. Sur la guerre en Ukraine, il est intéressant de voir ce qu’un dessinateur ou une dessinatrice va retenir de l’actualité, comment il va travailler son angle, selon que cette personne habite en Europe, en Amérique latine, en Asie ou en Afrique. Les dessins sont très différents en fonction des références culturelles. La richesse de ces regards nous donne à voir toutes les nuances d’un sujet. 

V.K – Au-delà de l’importance de la diversité des regards, c’est plus que jamais utile et nécessaire. C’est comme avec les fleurs, on préfère avoir un bouquet plutôt qu’une seule fleur. Les dessins de mes confrères et consœurs me permettent aussi de me remettre en question, de me challenger sur ce que je peux penser a priori, de nourrir mes réflexions, de me confronter à d’autres visions du conflit. Montrer des dessins de presse provenant du monde entier me contraint à ne pas regarder cette guerre avec des œillères. C’est primordial pour moi.  

© Kak (France) – Cartooning for Peace

Vous considérez-vous comme un combattant sur le front de l’information ?  

V.K – Oui bien-sûr. Depuis le premier jour de la guerre, je me sens comme un soldat qui se bat contre la propagande du régime russe. Cela fait dix ans que le régime utilise sa propagande à grande échelle. Il faut donc aussi trouver la force de riposter sur ce terrain-là de la désinformation. Je pense que certains de mes dessins y parviennent car ils suscitent le mécontentement de personnes qui soutiennent la Russie, notamment sur les réseaux sociaux.  

Quel est l'impact que vous espérez avoir avec vos dessins sur la guerre en Ukraine ? Comment pensez-vous que votre travail peut sensibiliser les gens à cette situation ? 

Kak – Avec nos propres moyens, des petits crayons, on essaye de combattre à leurs côtés en sensibilisant un maximum de personnes sur l’injustice dont elle est victime.  

V.K – Je vis aujourd’hui en Slovaquie, et je sais que qu’une partie de la population slovaque n’apporte pas son soutien l’Ukraine (environ la moitié seulement de la population selon un récent sondage dans le pays). À travers mes dessins et mes expositions, j'espère les convaincre, bousculer leurs regards, les faire changer d’avis. Parfois partiellement, parfois totalement.  

Peut-on rire de la guerre ?  

Kak – On peut rire de tout. C’est sain d’être en capacité de rire de tout, et en particulier des choses dures. Si on n’est pas capable de rire d’un sujet, c’est que l’on n’a plus de recul sur la situation. C’est un très bon antidote contre les différentes formes de souffrance et de peur. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les dessinateurs et dessinatrices de presse sont pourchassés par certains régimes.

Le dessin de presse permet de rendre les choses plus vivables. Se moquer soulage, voire défoule : il y a là quelque chose de l’ordre de l’exutoire.  

V.K – C’est très intéressant d’utiliser l’humour pour critiquer cette guerre. Les hyperboles et les exagérations dans les dessins font forcément sourire. Et c’est important que celles et ceux qui arrivent à créer ces émotions s’en servent pour dénoncer la guerre. Du fait de ma proximité avec le sujet, je n’y arrive pas. Mais selon moi, un bon dessin de presse doit faire rire, réfléchir et pleurer. 

Pourquoi est-il important de lire "Fichez-nous la paix " ? 

Kak – Car il y a une diversité de regards incroyable dans ce livre. Aussi, car l’injustice et la guerre parlent à beaucoup de personnes dans ce monde. C’est la solidarité humaniste des dessinateurs et dessinatrices de presse envers le peuple ukrainien qui frappe dans cet album.  

 

"Fichez-nous la paix !" est le cinquième hors-série de la collection Cartooning for Peace aux éditions Gallimard, dont Amnesty International est partenaire. Cet ouvrage est préfacé par l’éditorialiste et président de Reporter sans frontières, Pierre Haski, et est également soutenu par France Médias Monde. Le livre est disponible en librairies et sur notre boutique solidaire.