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Opération – Intersexe : ©shapecharge

Opération – Intersexe : ©shapecharge

Discriminations

Intersexes  : des enfants subissent des interventions chirurgicales visant à les « normaliser »

Ablation du clitoris, castration, vaginoplastie, lorsqu’un enfant naît avec des caractères sexuels atypiques, certains médecins décident de l’opérer pour lui assigner un genre. Les intersexes demandent justice.

Ecrit par Sophie Boutboul

Pour notre magazine La Chronique #391, paru au mois de juin 2019

Le code de déontologie médicale de 1995 précise qu’ « aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement ». Aujourd’hui, ce code n’est pas toujours respecté.

En France, les enfants intersexes, soit 1,7 % des naissances, subissent encore trop souvent des opérations chirurgicales sur leurs organes sexuels, puis sont soumis à des traitements hormonaux lourds. Autant d’interventions visant à effacer leurs variations corporelles, à leur donner une apparence conforme à l’idée que la société a d’un être, garçon ou fille, masculin ou féminin. Le rapport parlementaire sur la révision de la loi bioéthique, présentée au gouvernement l’été prochain, recommande fermement d’ « interdire toute intervention médicale non nécessaire jusqu’à ce que la personne directement concernée puisse donner un consentement éclairé ». Un enjeu éthique, médical, mais aussi sociétal. Il s’agit ni plus ni moins d’accepter qu’un enfant soit libre de se penser tel qu’il est, puisse vivre sa vie sans être assigné à un genre.  

Lil fait partie des intersexes qui se battent pour que ce droit soit  appliqué et respecté. En tant que personne trans non-binaire, « iel » est le pronom que Lil souhaite que l’on utilise. Ses yeux verts font ressortir les mèches bleues qui parsèment ses cheveux châtains. À 28 ans, Lil parle avec une grande douceur, mais est en colère. À sa naissance,  Lil a des organes génitaux atypiques qui ne  correspondent pas aux définitions anatomiques du masculin et du féminin. Seulement, les médecins ne vont pas parler à sa mère de sa variation intersexe. Ils vont proposer une opération pour une « hernie abdominale », sans consentement parental. Ni Lil ni sa mère n’ont eu connaissance des actes pratiqués pendant cette opération, malgré leurs questions aux médecins :

Enfant, en lisant mon carnet de santé dans la salle d’attente du docteur, j’ai vu un gribouillis illisible et j’ai su que j’avais été opéré.e de quelque chose de mystérieux. Je faisais alors beaucoup de cauchemars, dans lesquels je n’avais pas peur que le loup me mange, mais que l’on me découpe. J’ai laissé ça en sommeil jusqu’à l’adolescence.

Lil, 28 ans, personne trans non-binaire

La vérité Lil rattrape quand, en 2008, à l’âge de 17 ans, Lil n’a pas de puberté et demande à un autre médecin des examens. « Il m’a dit : Vous devez vous sentir monstrueux.se ? ». Lil est désarçonné.e. Un autre médecin va jusqu’à exposer son corps à des étudiants : « C’est rare, approchez plus près ! Ça a l’air normal hein ? Pourtant, c’est une aberration ! ». Après les examens, un gynécologue qui ne peut pas faire un diagnostic définitif, propose de réaliser une chirurgie exploratoire.

Il nous a dit : "On va profiter de l’opération pour enlever ce qui n’est pas normal". Ma mère et moi avons refusé.

Lil, 28 ans, personne trans non-binaire

Le médecin insiste, sépare Lil et sa mère. « Elle a été virée alors que je voulais qu’elle reste. Ça m’a fait perdre de la force. J’ai consenti à la chirurgie exploratoire ». Après l’opération vient le diagnostic : « Ils m’ont dit : "Vous êtes XY, ce n’est pas normal" et quand j’ai insisté pour en savoir plus, le médecin m’a parlé d’un syndrome au nom obscur ». Lil lui faudra attendre onze ans pour connaître le détail de son opération. En mars 2019, suite à de nombreuses demandes, Lil obtient son dossier médical. « Sur le compte-rendu il est écrit "chirurgie exploratoire", mais, en fait, les médecins n’ont pas fait qu’explorer puisqu’ils ont retiré mes testicules internes et mon utérus. Je ne savais pas si j’avais eu un jour un utérus. On nous a menti ». Lil n’a plus d’imprégnation hormonale, suit un traitement, fait de l’ostéopénie (une dématérialisation osseuse, ndlr) et a ressenti, dès 18 ans, les mêmes symptômes que ceux engendrés par une ménopause.

En plus des difficultés physiques, la violence des mots des soignants a été une source de  souffrances psychologiques pour Lil, avec comme conséquence, « une volonté d’autodestruction et de nombreuses conduites à risques... ». Lil signale un autre danger dans les comportements des médecins : « Ils cassent notre sens du consentement, nous apprennent qu’on n’a pas notre mot à dire sur notre corps. Donc on est plus vulnérables aux violences sexuelles ».  

La France rappelée à l’ordre 

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme demande l’interdiction de ces opérations chirurgicales « portant sur les caractères sexuels des enfants intersexes qui ne répondent pas à une nécessité médicale; à protéger leur intégrité physique et à respecter leur autonomie ».

L’Onu souligne les conséquences possibles des interventions: stérilité, douleurs, incontinence, détresse psychologique et appelle les gouvernements et les parents du monde entier à protéger les enfants intersexes contre ces « sévices ».   

En 2016, alors que la France vient d’être rappelée à l’ordre par trois instances onusiennes, dont le Comité des droits de l’enfant et celui contre la torture, Lil cofonde le Collectif Intersexes et Allié.e.s – OII France. Il a pour objet de lutter pour le droit à l'auto-détermination et contre les mutilations et traitements forcés : « Si on se tait, ce sont les médecins qui ont le monopole de la parole et peuvent perpétuer leur vision biaisée de nos corps. Les monstres, les aberrations, ce sont nos tortionnaires. C’est à eux d’avoir honte. Nous n’avons pas à avoir honte d’être intersexe. Nous avons le droit d’être fier.e.s, le droit de lutter. Avec le collectif, on produit du savoir sur nos variations. On a aussi créé le Pevi, un réseau pour les parents d’enfants intersexes. Se retrouver entre personnes intersexes donne de la force, mais cela met aussi en colère quand on voit que d’autres ont subi des mutilations », conclut Lil. Selon un questionnaire sur la santé, publié en avril 2019 par son Collectif, plus de 60 % des 69 personnes intersexes intérrogé.e.s. affirmaient n’avoir pu consentir à aucun acte chirurgical, traitement hormonal ou examen invasif.

Mathieu Le Mentec, 39 ans, a été opéré sept fois, sans son consentement, de sa naissance à ses 8 ans. En 2016, il a déposé plainte pour violences volontaires sur mineur. Une instruction est en cours au tribunal de Clermont-Ferrand. « L’hôpital, censé être le lieu de la protection, devient le lieu du traumatisme », déplore-t-il, derrière ses lunettes en losanges vert fluo. Installé sur son canapé, Mathieu confie n’avoir aucun souvenir de son corps petit. « Je suis né en situation d’intersexuation. Ça faisait chier la médecine qui a décidé d’intervenir, alors que je n’étais pas malade. On m’a dépossédé de la possibilité de choisir ». À cause d’injections de testostérone de un à 3 ans, Mathieu s’est retrouvé avec un âge osseux trop avancé. Devenu infirmier, il exerce un temps en pédiatrie. « J’ai fait des soins pour des enfants. Certains étaient attachés, et j’ai eu des flash-back de ce que j’avais vécu, attaché, comme eux, après des opérations pour m’empêcher de toucher les sondes urinaires ».

Ce n’est qu’en 2005 que Mathieu entend parler d’intersexe, une vraie « libération ».

Il y a un tabou. Quand on prend la parole, c’est qu’on s’est déjà extrait d’un carcan, que l’on a un toit, que l’on n’est pas suicidaire

Mathieu Le Mentec, 39 ans, opéré sept fois, sans son consentement

Aujourd’hui président de l’association Alter Corpus, il se mobilise sur le terrain juridique pour défendre les personnes intersexes. Son conseil, Mila Petkova, avocate en droit de la santé, explique leur démarche : « Les opérations mutilantes sans nécessité vitale sont interdites, pourtant, cela continue. Il faut que le gouvernement impose une pratique collective dans les hôpitaux ». Benjamin Moron-Puech, membre d’Alter Corpus, maître de conférences à l’université Panthéon-Assas, va plus loin : « Le ministère de la Santé pourrait publier une circulaire pour les centres dits de référence sur les variations intersexes, imposant un moratoire sur les opérations. L’État a une responsabilité puisqu’il finance et exonère de TVA ces actes médicaux ». 

An Inter* Pride flag is presented in front of the New City Hall. The city of Hanover launches a poster campaign to increase the visibility of intersex people in Hanover and Lower Saxony.

Drapeau intersexe © Moritz Frankenberg/dpa

Une communauté médicale divisée 

Une partie de ces revendications ont été entendues au plus haut niveau de l’État, sans pour autant être appliquées. En mars 2017, François Hollande, alors président de la République, a reconnu qu’il restait « de nombreux combats » comme « l’interdiction des opérations chirurgicales subies par les enfants intersexes considérées comme des mutilations ». Cette même année, le nouveau Premier ministre, Édouard Philippe, sollicitait l’expertise du conseil d’État au sujet des enfants intersexes. Le Conseil a estimé que, hors motif médical très sérieux :

Il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui-même la balance avantages-risques de l’acte envisagé.

Il conclut en affirmant que « l’acte médical ayant pour seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant ne devrait pas pouvoir être effectué tant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et de participer à la prise de décision. »  Interrogé à ce sujet, le ministère de la Santé rappelle que  : « Le cadre juridique actuel est clair et sans ambiguïté : les opérations chirurgicales de manière précoce ne répondant à aucune nécessité médicale sont interdites ». Si elles sont interdites, comment les praticiens se justifient-ils de les pratiquer ?  

Le professeur Yves Aigrain, chirurgien pédiatrique à l'hôpital Necker-Enfants malades – un des quatre centres dits « de référence » pour les variations du développement sexuel où l’on pratique ces chirurgies –, le reconnaît. Il opère toujours des enfants intersexes, bien que dans la majeure partie des cas, « la chirurgie n’a aucun caractère obligatoire en terme de vie de l’enfant sur le plan organique. Il peut être favorable d’attendre que l’enfant puisse comprendre les interventions. Il m’est arrivé de refuser d’enlever les gonades alors que les parents le demandaient, car on ne peut le faire s’il n’y a pas de risques ». Mais pourquoi réalise-t-il encore des opérations non nécessaires ? « Dans certains cas, l’investissement de la famille n’est possible que si l’enfant est opéré », explique-t-il. Cet argument ulcère Martin Winckler. Médecin et écrivain, il est le cosignataire d’une tribune parue dans Libération en 2018 appelant à l’arrêt des mutilations sur les enfants intersexes : « La justification n’est pas tenable sur le plan moral. Si un parent me dit qu’il ne peut pas "investir" sa fille sans qu’elle soit excisée, je ne vais pas le faire. Les médecins n’ont pas à être complices de la violence. Il faut accompagner les parents, les aider à tolérer la variation. Leur enfant ne peut être considéré comme un objet ».

Quand on interroge le professeur Aigrain sur les dilatations dans le cadre de vaginoplastie sur des enfants intersexes, il est catégorique : « J’ai 67 ans et je n’ai jamais vu de dilatation vaginale avant la puberté. La dilatation par les médecins est un viol. En cas de vaginoplastie, on apprend à la patiente à 16 ans à les faire elle-même ». Et pourtant, le site Slate publiait en avril 2019 le témoignage de M. 41 ans, intersexe, qui a déposé plainte pour « violences sexuelles » contre X en 2015 suite à « des séances de bougirage », lors desquelles des médecins lui enfonçaient des instruments censés élargir son vagin dès l’âge de 4 ans. 

Quand il est urgent d’attendre 

Des spécialistes français, encore minoritaires, se questionnent sur le fait de stopper les opérations. Certains médecins, comme à Bicêtre, en Île-de-France, autre centre de « référence », considèrent qu'il vaut mieux attendre que l'enfant grandisse pour discuter d'une éventuelle chirurgie. Ils prônent l’accompagnement des parents, depuis la période prénatale, pour leur expliquer les choses clairement sur les organes génitaux atypiques de leur enfant et leur proposer son accompagnement sans intervention chirurgicale. Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Éthique et Déontologie du Conseil de l’Ordre, affirme lui aussi que lorsqu’il n’y a pas de danger vital :

il est urgent d’attendre que l’enfant puisse s’exprimer.

Christophe, 29 ans, et Pauline, 26 ans, parents de Sasha, 2 ans ont décidé d’attendre, soutenus par leur chirurgien en urologie pédiatrique à Montpellier. « Nous laissons Sasha libre de son choix, plus tard, pour son bien-être. Sasha est un enfant intersexe. Il a un vagin, un utérus, une trompe, deux gonades. Sasha fait pipi assis. Si ces organes avaient été retirés, ils auraient été impossibles à recréer, donc Sasha vit avec et il vit très bien». 

Être encadré par un soignant bienveillant peut ainsi aider les parents à accepter la variation de leur enfant. Pour qu’ils/elles soient plus nombreux.ses, Elo, membre du CIA, personne trans féminine intersexe de 25 ans, va animer une formation sur l’intersexuation pour des professionnel.le.s de santé de l’association « Pour une médecine engagée unie et féministe ». Elo leur racontera comment les non-dits du corps médical sur sa variation intersexe l’ont laissée dans l’incompréhension. « À 13 ans, mon généraliste m’a dit : Un garçon ça n’a pas de poitrine. Il voulait que l’on coupe mes seins quand ils pousseraient. C’était super violent. A aucun moment, il ne m’a demandé ce qu’il se passait dans mon corps », se souvient Elo regard bleu vif et longue chevelure blonde. Aujourd’hui, j’ai accepté mon vécu d’intersexe et cela me rend plus sereine ».  

Pour faire évoluer la société, Jean-Pierre, 67 ans, intersexe, a saisi en 2015 le tribunal de Tours d’une requête en rectification de son état civil pour passer de « sexe masculin » à « sexe neutre ». Une barbe blanche et grise, il s’appuie sur une béquille pour marcher. À 6 ans, les médecins lui ont ouvert le bas-ventre pour observer ses organes génitaux. Il en conserve une grande cicatrice sur le ventre. « Mes parents m’ont élevé comme un garçon. Je n’ai rien soupçonné jusqu’à 12 ans, quand mon père m’a appris que je faisais partie de la science des monstres, la tératologie ». Jean-Pierre n’a pas eu de puberté. Une raison suffisante selon les médecins pour l’hospitaliser à 16 ans, puis à 21 ans pour effectuer des tests. Les médecins lui disent que « devenir une femme » serait le plus simple.

Pourquoi changer ? Je voulais juste être moi-même. J’étais dans l’impasse. Je ne voyais plus qu’une solution : le suicide. Puis j’ai trouvé la méditation et ça m’a sauvé.

Jean-Pierre, 67 ans, intersexe

Jean-Pierre ne change rien, mais à 35 ans, une autre médecin lui impose un traitement hormonal qui le fera muer, lui fera pousser la barbe et lui causera de l’ostéopénie. Un traitement aux conséquences irréversibles. « Le procès, je l’ai fait pour tous ceux qui n’appartiennent pas au sexe féminin ou masculin, pour qu’il n’y ait plus ce vide dans lequel j’ai vécu ». En 2015, le tribunal de Tours admet le remplacement « sexe masculin » par « sexe neutre » sur son état civil. « Je n’ai pas pu me réjouir longtemps. Le procureur a fait appel. Une sacrée violence, car les juges ont jugé en fonction de la société qui n’était pas prête selon eux. C’est un enjeu sur lequel la Commission européenne des droits de l’homme tranchera. Nous l’avons saisie. La justice française n’a pas reconnu ma réalité physique, celle que je vois tous les jours dans mon miroir ». Peut-être que la justice européenne fera évoluer la France pour que le futur des enfants intersexes s’éclaircisse. 

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