Jean-Louis est originaire du Sénégal. Il est diplômé de deux masters en développement des villes, l’un obtenu au Sénégal, l’autre en France. Pendant ses études, avoir sa carte de séjour était déjà un parcours du combattant. Mais il s’est accroché. En France depuis sept ans, il reste condamné à prendre des emplois très précaires car chaque année, il doit renouveler son titre de séjour. Un cycle sans fin de précarité. Il a accepté de nous ouvrir les portes de son quotidien pour nous raconter sa vie, à la merci d’un papier.
Le récit de Jean-Louis, recueilli en janvier 2025, fait partie des 27 témoignages de notre rapport « À la merci d'un papier ». Son histoire illustre les défaillances du système de carte de séjour en France et nous appelle à l’action pour des changements urgents.
J’ai reçu une OQTF : obligation de quitter le territoire français. Je travaillais pourtant. J’avais deux CDI. Ma ma vie a déraillé plusieurs fois à cause de cette carte de séjour.
Je suis arrivé en France en septembre 2018, avec un visa étudiant. J’étais étudiant à Saint-Louis, au Sénégal. Je suis venu en France pour suivre un master en développement des villes, à Albi. Mon master durait deux ans. Mon visa, lui, ne couvrait qu’un an. Quand j’ai dû faire renouveler mon titre de séjour, la préfecture m’a demandé de “justifier de ressources suffisantes”. Par chance, la tante d’un ami a accepté de me prendre en charge. Grâce à elle, j’ai pu renouveler mon titre. Un répit d’un an.

Jean-Claude à la station de tram St Louis du Sénégal à Toulouse, le 23 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
Mais mon titre expirait en octobre 2020. Il ne me restait qu’un mois pour savoir si j’allais obtenir mon diplôme : trop court pour chercher un travail dans mon domaine ou changer de statut. Il fallait que je trouve n'importe quel autre boulot rapidement. On m’a parlé d’une formation d’agent de sécurité. J’ai eu le diplôme et dans la foulée, j’ai décroché deux CDI ! Un à temps plein, l’autre à temps partiel. Je travaillais beaucoup. Je vivais modestement, mais je m’en sortais.
Les problèmes sont revenus en 2021. Dans la sécurité, on n’est pas traité à égalité : quand je demandais des congés, je ne les obtenais pas, alors que mon collègue [français], lui, les obtenait. On me demandait des missions hors contrat que je ne pouvais pas refuser car j’étais en plein changement de statut. Je devais renouveler ma carte et changer de statut pour passer d’étudiant à salarié. Mes deux employeurs ont demandé une autorisation de travail auprès de la préfecture.

© Camille Millerand pour Amnesty International France
Pendant que j’attendais la réponse, je me suis un jour retrouvé devant la préfecture à participer à une manifestation pour un ami qui avait reçu une OQTF. À cette période, ça distribuait des OQFT à tour de bras. Je suis entré dans la préfecture pour demander des nouvelles de mon dossier. L’agente m’a dit : « Ton dossier est complet, tu auras une réponse dans une semaine ou deux. » Une semaine passe, puis deux. La réponse tombe : je reçois une OQTF. C’est la douche froide. La préfecture m’a refusé le titre car mes études « ne correspondaient pas au travail » et que je « n’avais pas d’attaches en France ».
C’était l’été, en 2022. J'ai perdu mes deux emplois du jour au lendemain. J’ai contesté. Sans succès. J’ai voulu passer le permis de conduire mais sans titre de séjour, impossible. J'étais totalement bloqué, dans une attente permanente. Je faisais des missions payées en espèces, juste de quoi pouvoir payer mes factures.
Un jour, un ami m’a proposé de venir à Toulouse : il avait des contacts dans la sécurité. Je ne connaissais personne là-bas, mais je me suis vite intégré. J’ai vite aimé cette ville, vite appris à la connaître mais psychologiquement, c’était dur : difficile de devoir chercher du travail dans la plonge ou le ménage alors que j’ai deux masters en poche dans un tout autre domaine.

Toulouse, le 23 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International
À Toulouse, j’étais toujours sous OQTF. Mais je continuais à travailler. J’ai accepté plusieurs jobs. Parfois, je me sentais humilié : « Tu vas te marier ou faire des enfants juste pour avoir un titre toi ! » C’était humiliant d’entendre ça de collègues. J’ai aussi bossé sur la Coupe du monde de rugby. Il y avait souvent des contrôles de police dans les stades. J’avais tout le temps peur !
À cette période, j’étais épuisé, j’étais seul. J’ai même eu des pensées suicidaires. Je ne sortais pas. L’argent ne servait qu’au logement et aux courses. La salle de sport, voilà ma seule bouffée d’oxygène.

Jean-Claude partage une chambre étudiante située en périphérie de Toulouse avec deux compatriotes sénégalais, Bassirou et Oumar (noms d’emprunts), 23 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
La CGT m’a finalement aidé à monter un dossier de régularisation. C’était long. Sans revenus, j’ai dû finalement quitter mon logement. J’étais hébergé à droite à gauche. En juillet 2024, j’ai enfin reçu une réponse : un titre de séjour d’un an. J’étais soulagé, mais je devais payer plus de 400 euros pour le timbre fiscal ! Un couple rencontré aux Restos du Cœur m’a aidé.
Muni de ce papier, j’ai enfin pu travailler légalement. J’étais sur le point de signer un nouveau contrat quand mon employeur m’a dit : « Y’a un problème, ta carte a été retirée.» Je ne comprenais plus rien. À la préfecture, on m’a déclaré qu’une nouvelle loi était passée : elle exigeait cinq ans de présence légale, ce que je n’avais pas. Absurde ! Alors que j’avais mon travail et ma carte valable d’un an. J’ai voulu prendre un avocat, mais je n’en avais pas les moyens. J’ai postulé partout : plonge dans la restauration, aide à la personne, nettoyage. Rien. Sans permis de conduire, beaucoup de portes se ferment.
Si tu as un titre de séjour, tu es moins exploité. Dans ma situation, j’acceptais tout : des vacations au noir, la peur au ventre dans les stades. Les seules périodes où je me sentais bien, c’est quand j’avais un titre de séjour. Mais même avec une carte d’un an, trois mois après, je pensais déjà au renouvellement. Les délais sont inhumains. Laisser quelqu’un dans le flou pendant neuf à dix mois, c’est terrible.

Toulouse, le 23 octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International
Aujourd’hui, Jean-Louis a enfin obtenu une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans. Quatre ans pour souffler un peu, après sept années suspendues. Il travaille toujours dans la sécurité. Ce titre de séjour lui offre enfin une certaine stabilité : il va lui permettre de chercher un emploi dans son domaine. À 33 ans, il commence à bâtir sa vie à Toulouse, avec un peu plus de répit. Beaucoup de personnes qui connaissent cette situation de précarité espèrent, comme lui, pouvoir bénéficier de titres de séjour plus stables.
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