Comme beaucoup d’adolescents, Maëlle cherchait juste du divertissement sur TikTok. Mais elle s’est vite retrouvée prise au piège d’une spirale infernale de contenus délétères. Après plusieurs tentatives de suicide, la jeune fille de 18 ans mène aujourd’hui un combat pour alerter sur les dangers de la plateforme et sensibiliser sur les questions de santé mentale. Sa mère, Morgane, a rejoint le collectif de familles nommé « Algos Victima » qui a porté plainte contre TikTok. Maëlle et Morgane nous ont livré leurs témoignages.
Un perroquet rose. Un perroquet bleu. Deux peluches en crochet, créés des mains de Maëlle, qui l’ont accompagnée dans ses moments les plus difficiles. Elle les a appelés « Les Chuchoteurs ». Lorsqu’elle entre à l’hôpital, elle emporte l’un d’eux avec elle. Sa mère garde le deuxième, qu’elle amène dans différents endroits et prend en photo, comme le nain d’Amélie Poulain. Une façon de chuchoter à Maëlle qu’elle n’est pas seule.

Compte Instagram @les_chuchoteurs_ de Maëlle et et de sa mère Morgane
Car derrière ces peluches, se cache une descente aux enfers : une plongée dans une spirale infernale de contenus banalisant l’automutilation et le suicide ; des contenus qui aggravent le mal-être de Maëlle. Victime de harcèlement à l’école, la jeune fille traversait une période difficile. Son mal être s’est vu amplifié par les contenus recommandés par la plateforme.
« Au début, j’avais des vidéos de musiques »
Maëlle utilise TikTok pour la première fois en 2021. Une amie est chez elle pendant les vacances scolaires, elles passent du temps sur la plateforme. « Installe TikTok ! » lui demande son amie, enthousiaste, pour qu’elles puissent continuer à s’envoyer des vidéos. « Je ne voulais pas au début » raconte Maëlle. « J’avais déjà eu écho que c’était énergivore et chronophage, mais j’ai cédé et j’ai installé l’application » Au début, les vidéos qui lui sont proposées par Tiktok correspondent aux images qu’on se fait de l’application. « J’avais surtout des vidéos de musiques et loisirs créatifs en lien avec le crochet ».
« C’est devenu de plus en plus sombre »
Puis un jour, elle regarde une vidéo où un chanteur parle de son mal-être. Elle s’intéresse aux paroles, elle est touchée par la musique. « Je n’étais pas bien dans ma vie à ce moment-là » confie Maëlle. Elle regarde la vidéo jusqu’au bout, plusieurs fois : « Des gens parlaient de leur mal être avec cette musique en fond (…) c’est devenu de plus en plus sombre. » L’algorithme l’entraîne alors dans une spirale de contenus toxique : « TikTok me recommandait des vidéos avec des phrases comme ‘La mort, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée’ » avec la même musique en fond sonore ».
« Ça t’incite à avoir des comportements délétères »
Rapidement, son fil de recommandations devient « très trash [...] Je dirais qu’un quart ou un tiers des vidéos étaient normales, le reste dérangeant. » confie-t-elle. Maëlle précise qu’il n’y avait aucune vidéo qui l’encourageait à chercher de l’aide « comme ‘allez consulter si vous vous sentez mal’ ».
Sur son fil, elle a vu des pratiques de scarifications, des « conseils » pour en finir avec des médicaments et des commentaires culpabilisants du type : « Si tu fais une tentative de suicide mais que tu ne te retrouves pas en réanimation ou à l'hôpital, ça ne compte pas. Si tu n’as pas de points de suture, c'est que ça ne compte pas. »
« Il y a des vidéos qui sont encore imprimées dans ma rétine (…) il suffit d'une vidéo pour avoir des comportements irréparables. » Ces contenus l’ont notamment poussée à des actes autodestructeurs. Maëlle a été hospitalisée. À ce moment-là, sa mère, Morgane, ne soupçonne pas que le mal-être de sa fille a été accentué par Tiktok.
« À la radio, on entend parler d’Algos Victima »
C’est en écoutant un jour la radio que Morgane entend parler du collectif Algos Victima qui rassemble plusieurs familles mobilisées pour établir la responsabilité de TikTok dans la détérioration de la santé mentale et physique de leurs enfants. Elle demande alors à sa fille si elle avait entendu parler de ces contenus délétères sur TikTok. Il s’avère que le fil de Maëlle en est envahi. Et là, c’est la stupéfaction.
« Je ne pouvais même pas imaginer que ça puisse exister (…) » raconte la mère de l’adolescente. « Je n'avais pas compris que les contenus venaient à elle sans qu'elle les sollicite ». Elle décide de faire des tests avec son téléphone en effectuant des recherches typiques d’adolescent.es qui ne vont pas bien : « J"ai commencé à avoir des vidéos d'adolescents en hospitalisation. Je n'ai plus que ça, maintenant, sur mon fil TikTok »
De son côté, Maëlle explique qu’entre amis, ils ne « parlaient jamais de ces contenus sur TikTok ». C’est la découverte du collectif Algos Victima qui va lui permettre, enfin, d’oser en parler et d’alerter. Ensemble, mère et fille rejoignent le collectif et s’engagent dans la bataille judiciaire.
Depuis, la jeune fille parle sur ses réseaux du combat qu’elle mène. « Beaucoup de personnes m'ont demandé des liens d'interviews que j'ai pu faire (…) À chaque fois, je demandais si la personne avait été aussi confrontée à ce genre de contenu. 99% des adolescents, quasiment tout le monde m'a dit 'oui je vois exactement ce que tu veux dire’. » Et pourtant, pas de campagne de sensibilisation. « Aucun affichage nulle part, ni au lycée, ni au centre hospitalier » dénonce Morgane.
« Il faut nous écouter »
Aujourd’hui, Maëlle va mieux. Elle est toujours suivie par des professionnels de santé mais elle trouve maintenant la force de poursuivre son combat.
La mère de Maëlle, elle, continue d’être très active dans le collectif Algos Victima, pour obliger Tiktok à prendre ses responsabilités. « Pourquoi est-ce qu'on n’arriverait pas à rendre le cercle vertueux plutôt que de le laisser vicieux ? » interroge-t-elle.
Lorsqu’on demande à Maëlle ce qu’elle aimerait dire aux responsables de Tiktok, elle réfléchit un moment et reprend avec un ton calme mais déterminé : « Il faut nous écouter ». Elle marque un temps : « On mène ce combat car des personnes ont perdu la vie. Il faut leur rendre hommage et continuer à se battre pour elles. »
C’est ce qui caractérise Maëlle : sa résilience, son courage et sa combativité. À sa sortie de l’hôpital, elle a lancé une auto-entreprise de crochet et une page instagram @les_chuchoteurs_ pour sensibiliser sur la santé mentale des jeunes.
Les Chuchoteurs de Maëlle sont passés dans nos bureaux. Leur présence nous rappelle que derrière les algorithmes des plateformes numériques, il y a des vies qui peuvent être en danger. Mais ils rappellent surtout l’importance du lien à tisser pour mener ensemble des combats collectifs.

Nous remercions Maëlle et sa mère Morgane, de nous avoir confié leurs témoignages, recueillis dans le cadre de notre rapport « Entraîné·e·s dans le ‘rabbit hole’ : de nouvelles preuves montrent les risques de Tiktok pour la santé mentale des enfants. » Pour que TikTok protège enfin les jeunes et les enfants, vous pouvez commencer à mener le combat, dès maintenant, en signant notre pétition.
loading ...