Les forces de soutien rapide ont mené un assaut de trois jours contre le camp de déplacé·es de Zamzam en avril 2025. 400 000 personnes ont dû à nouveau fuir leur refuge, n’ayant nulle part où aller. Nos équipes ont enquêté sur les massacres commis qui s’apparentent à des crimes de guerre.
Ce n’est pas la première fois que le camp de déplacé·es de Zamzam était la cible d’attaques des forces de soutien rapide (FSR) au Soudan. Le camp, situé à 10 kilomètres au sud d’El Fasher, représente un lieu stratégique pour les FSR qui voulaient s’emparer de la ville.
El Fasher, dernière enclave à résister aux FSR dans le Darfour, est finalement tombée aux mains du groupe paramilitaire le 26 octobre dernier. Des survivant·es de ces attaques ont témoigné à nos équipes des récits d’horreur. Ceux qui cherchaient à fuir ont été exécutés, et les femmes et les filles ont été victimes de viols.
Lire aussi : Des survivants d’El Fasher témoignent des massacres
Les attaques menées entre le 11 et le 13 avril 2025 dans le camp de Zamzam ont été particulièrement violentes. Elles ont conduit à la fuite de 400 000 personnes hors du camp. Nos équipes ont enquêté sur ces crimes dans un rapport publié le 3 décembre.
Nos équipes ont récolté le témoignage de 29 personnes. Il s’agit de témoins qui ont survécu aux attaques du camp de Zamzam, de proches de victimes mais aussi de journalistes, d’expert·es et de médecins. Tous les noms ont été anonymisés pour protéger l’identité et la sécurité des témoins.
Nos chercheur·es de l’Evidence Lab ont également analysé une cinquantaine de vidéos des attaques publiées sur les réseaux sociaux ou partagées à nos équipes. Les équipes ont également analysé des images satellites et se sont appuyées sur des rapports et publications d’autres organisations internationales et des Nations unies.
Les situations analysées par Amnesty International dans ce rapport ne sont pas exhaustives. Elles illustrent un schéma répétitif d’attaques contre les populations civiles de la part des FSR.
Source : Nations unies, novembre 2025
Des attaques contre les populations civiles : “ça tirait de partout”
Le camp de Zamzam a été créé en 2004, en pleine guerre du Darfour, pour accueillir les nombreuses personn·es déplacées qui fuyaient les massacres. Au moment des attaques d’avril 2025, le camp accueillait entre 500 000 et 1 million de personnes. C’est une véritable ville qui s’est constituée au fil des ans avec l’élaboration de quartiers, la construction de logements en dur, des écoles et des mosquées.
Du 11 au 13 avril 2025, le camp de Zamzam est la cible continue d’obus, de bombes, d’engins explosifs utilisés dans des zones résidentielles. Nos équipes ont pu analyser sur les images satellites l’apparition de cratères près des maisons qui témoignent de l’intensité des bombardements. Elles ont aussi récolté le témoignage de personnes déplacé·es qui ont fui le camp de Zamzam :
On ne pouvait pas identifier d’où venaient les tirs d’obus. Ça tombait de partout, de tous les côtés.
Younis, bénévole aux urgences.
Les combattants [des FSR] ne faisaient que crier et tirer dans tous les sens, c’est comme ça que de nombreuses personnes ont été tuées.
Mamoun, participait bénévolement à la distribution d’aide humanitaire.
Les témoignages racontent le spectacle horrifiant de rues jonchées de cadavres dont de nombreux enfants et de personnes âgées. Des quartiers entiers ont brûlé. Des personnes ont dû se cacher dans des trous qu’ils ont creusés à même le sol.
Nous avons découvert qu'ils avaient tué toute la famille : cinq enfants, le mari et la femme. Ils les ont simplement abattus dans ce trou.
Abbas, un étudiant universitaire de 29 ans.
De multiples vidéos et témoignages confirment que les FSR ont délibérément tué des civil·es en les accusant d’être membres des FAS ou des ethnies des Zaghawa qui combattent aux côtés des FAS. Amnesty International a déjà dénoncé les attaques à motivation ethnique des FSR contre les Masalits et d’autres communautés non arabes dans l’État du Darfour occidental.
Il n’existe pas de décompte officiel des morts. Toutefois, les Nations unies ont recensé la mort de 210 personnes sur ces trois jours. D’autres estimations parlent de 1500 personnes tuées.
La mosquée et l’école de Sheikh Farah pris pour cible
La mosquée et l’école de Sheikh Farah servait à abriter des personnes déplacé·es dans le camp de Zamzam.1800 familles environ avaient trouvé refuge dans ce centre. Nos équipes sont allées à la rencontre de survivant·es. Hafsa était cachée dans l’une des salles de classe ce jour-là. Elle témoigne :
“Les FSR ont fait sortir 20 hommes des pièces et leur ont demandé de s'allonger sous un arbre dans l'enceinte de la Khalwa. Ils les ont ensuite abattus. Seize d'entre eux ont été touchés à la tête et sont morts sur le coup.”
Parmi les morts, son cousin de 42 ans, Omar. Il laisse derrière lui deux femmes et quatre enfants mineurs. Alors qu’Hafsa accourt pour recouvrir le corps de son cousin, elle se fait tirer dessus par les soldats. Les balles ont atteint son pied et sa jambe droite.
Ces attaques délibérées contre les populations civiles dans le camp de Zamzam font partie d’un schéma répétitif des FSR dans la guerre au Soudan. Nous avions préalablement dénoncé ce schéma dans nos enquêtes sur les violences sexuelles contre les femmes et les filles au Soudan mais aussi dans les témoignages des survivants à la prise d’El Fasher.
Prendre pour cible des civil·es qui ne participent pas aux hostilités est interdit par la Convention de Genève de 1949, que le Soudan a ratifié en 2006. Cela constitue un crime de guerre.
Destruction des biens, pillages et prises d’otages
Lors de leurs attaques, les FSR ont méthodiquement incendié les maisons, commerces, écoles, marchés et mosquées. Des quartiers ont été complètement rasés. Les quartiers les plus visés par ces attaques sont ceux situés aux environs de la route menant à El Fasher. De nombreux habitant·es, qui avaient déjà au préalable fuit des atrocités, se sont à nouveau retrouvé·es sans logements et sans accès à la nourriture.
Ils ont tiré sur mon frère et mon fils, et ils les ont tués. … L'un d'eux [soldats] a sorti une boîte d'allumettes et a mis le feu à notre hutte. Ils ont brûlé notre maison alors que les corps de mon frère et de mon fils gisaient là…
Elnor, fermier de 59 ans
De nombreuses infrastructures vitales ont également été détruites par les forces paramilitaires. Les hôpitaux mis en place par Médecins sans frontières ont été endommagés et pillés. La destruction des infrastructures vitales viole le statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. C’est un crime de guerre.
Les organisations internationales de santé ciblées par les FSR
Onze membres de l’organisation Relief International ont été assassinés le 11 avril par les FSR. Leurs provisions alimentaires ont été volées. C’était la dernière organisation à apporter des services humanitaires cruciaux au camp de Zamzam. MSF avait dû se retirer en février 2025 à cause des attaques répétées contre le camp.
De nombreuses personnes ont également été victimes de prises d’otage et de traite de personnes par les FSR. Ces actes violent également le droit international humanitaire.
Nous avons rencontré Hassan, qui a moins de 18 ans. Après que les soldats des FSR aient tué ses deux oncles devant ses yeux à la mosquée Sheikh Farah, les soldats l’ont embarqué. Ils l’ont enchainé toute la nuit et l’ont forcé à surveiller des troupeaux de moutons alors qu’il était menotté. La personne qui le détenait a ensuite demandé une rançon équivalente à 1500 US dollar à sa famille.
Son témoignage rejoint celui de Sadya, 31 ans. Ses parents ont payé 3 millions de livre soudanaise, soit l’équivalent de 900 US dollar pour la libérer. Elle a été détenue pendant trois jours et quotidiennement battue.
La fuite vers Tawila
Les personnes qui ont fui le camp de déplacé·es de Zamzam avaient déjà dû fuir d’autres horreurs vécues lors des guerres successives au Soudan.
Depuis 24 ans, nous passons d'un camp de déplacés à un autre.
Khaltoum
Les femmes et les filles fuyaient pour échapper aux violences sexuelles commises par les FSR. Abbas, qui fuyait avec un groupe de femmes et de filles, a déclaré : « [Les FSR] les ont emmenées loin de nous. Nous avons entendu les filles crier. Quand elles sont revenues, elles nous ont dit que deux d'entre elles avaient été violées. L'une avait 16 ans et l'autre 18 ans.”
Le système de santé dans le nord du Darfour s’est effondré. Les attaques d’avril 2025 contre le camp de Zamzam n’ont fait qu’amplifier une situation déjà intenable. La plupart des personnes se sont enfuit vers la ville de Tawila, située à 45 kilomètres du camp de Zamzam. L’hôpital géré par MSF a été submergé par l’afflux de blessés. Entre le 12 avril et début mai, ils ont soigné 779 personnes, dont 138 enfants, qui comportaient des blessures par balle ou par obus. Ils étaient parfois obligés de placer quatre patients dans un seul lit, faute de moyens.
Au Soudan, les parties au conflit sont armées par des pays tiers. Amnesty International a identifié sur le champ de bataille soudanais des armes en provenance de Chine, des Émirats arabes unis, de Russie, de Serbie, de Turquie et du Yémen. Ces armes sont mises entre les mains de combattants qui sont accusés de violations du droit international. Elles aggravent la crise humanitaire au Soudan.
Les Émirats arabes unis apportent tout particulièrement leur soutien aux FSR en leur fournissant des armes et des munitions. Nous avions enquêté et identifié du matériel de guerre français et chinois sur le champ de bataille au Soudan à travers l’intermédiaire des Émirats arabes unis.
L’utilisation de ces armes sur le tout le territoire soudanais démontre que l’embargo actuel appliqué aux armes dans la région du Darfour est inefficace. Un embargo étendu à l’ensemble du Soudan est primordial pour enrayer les violences envers les populations civiles.
Nos demandes
Les témoins ont rapporté quatre principales demandes à nos chercheur·es :
Une aide humanitaire accessible
La fin des combats pour que les personnes puissent rentrer chez elles
La protection de la population civile
L’accès à la justice pour toutes les victimes
Nous appelons également à :
Les FSR doivent cesser les attaques indiscriminées contre les populations civiles. La communauté internationale doit exercer de toute urgence des pressions sur le commandement des FSR.
La justice doit enquêter sur ces attaques en tant que crimes de guerre
La communauté internationale doit également exiger des Émirats arabes unis qu’ils cessent de soutenir les FSR.
Les Nations unies doivent étendre l’embargo actuel sur le commerce des armes au Darfour à l’ensemble du Soudan.
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