La Pologne a l’une des lois sur l’avortement les plus restrictives d’Europe. Avec Malte, c’est l’un des deux seuls États membres de l’Union européenne (UE) qui n’a pas légalisé l’avortement sur demande ou pour des motifs sociaux élargis. Pourtant au XXème siècle, ce pays a été l’un des premiers à alléger les restrictions d’accès à l’avortement sur le continent.
Jusqu’en 1956 en Pologne, l’avortement n’était autorisé que dans trois cas : s’il existait un danger de vie pour la mère, en cas de viol ou d’inceste et en cas de malformation du fœtus.
A partir du 27 avril 1956, des motifs sociaux sont ajoutés aux raisons légales pour avorter : les femmes qui justifient de conditions socio-économiques difficiles (famille monoparentale, pas ou peu de revenus, une situation de pauvreté générale) peuvent désormais y avoir accès. Une avancée très importante puisqu’elle intègre la notion de choix pour les femmes et les personnes enceintes.
Dans les années 60 et 70, des femmes et personnes souhaitant avoir recours à l’avortement provenant d’autres pays européens se rendaient en Pologne afin d’interrompre leur grossesse. Mais alors, comment ce pays qui a été à l’avant-garde en Europe de la protection de ce droit essentiel s’est-il retrouvé avec l’une des lois les plus restrictives en matière d’avortement ?
Un droit fragilisé depuis de nombreuses années
De 1956 à 1993, l’avortement est légal et gratuit en Pologne. Le premier coup porté pour en restreindre l’accès a lieu en 1993, peu après la chute du régime communiste dans le pays. Un bond de 40 ans en arrière : les conditions socio-économiques sont retirées des raisons légales pour avorter. Il reste seulement trois raisons pour lesquelles les femmes peuvent avorter : en cas de danger de vie pour la mère, de viol ou d’inceste et de malformation du fœtus. En dehors de ces trois cas, il est interdit à toute personne de pratiquer un avortement et/ou d'aider une personne enceinte à avorter sous peine d'une sanction pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ferme.
En 2011, les attaques contre le droit à l’avortement reprennent. Une série de projets et propositions de lois sont faites pour restreindre le droit à l’avortement (en 2011, 2013, 2015, 2016 et 2018). Elles échouent toutes grâce à des mobilisations massives telles que les « Black Protests », largement relayées et soutenues par des mouvements dans plusieurs pays d’Europe et plus de 200 ONG à l’international.
Après des années de diabolisation du droit à l’avortement, le tribunal constitutionnel polonais interdit l’avortement en cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus », le 22 octobre 2020. Cette décision donne lieu à de fortes mobilisations en 2020 et 2021, violemment réprimées par les autorités polonaises, notamment celles connues sous le nom de Grève des femmes (Strajk Kobiet en polonais).
Malgré ces mobilisations, la décision entre en vigueur le 27 janvier 2021. Pourtant, 96% des avortement légaux pratiqués en Pologne l’étaient pour un motif d’anomalies fœtale grave ou mortelle diagnostiquée. Cette décision met en danger la vie de milliers de femmes, de filles et de personnes pouvant être enceintes contraintes désormais d’avorter dans des conditions dangereuses.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la Pologne a l’une des législations sur l’avortement les plus restrictives d’Europe. L’avortement n’y est légal que lorsque la santé ou la vie de la personne enceinte est en danger ou lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste. Dans la pratique, cependant, il est quasi impossible pour les personnes éligibles à un avortement légal de l’obtenir. Par ailleurs, tout médecin ou autre personne qui aide une femme enceinte à avorter en dehors des deux motifs autorisés par la loi encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Le 22 septembre 2021, une femme décède après s’être vu refuser l’accès à des services d’avortement alors qu’une malformation du fœtus était avérée. Elle s’appelait Izabel, elle avait 30 ans et une petite fille de 9 ans. D’autres femmes sont mortes depuis Izabel, comme Dorota Lalik, le 24 mai 2023.
En 2024, quatre propositions de loi visant à dépénaliser l’avortement ou à en étendre son accès ont été soumises au parlement, mais aucune n’a été adoptée jusqu’à aujourd’hui. Le ministère de la Santé et le bureau du procureur général ont tous deux publié des lignes directrices censées faciliter l’accès à un avortement légal, mais celles-ci n’ont entraîné aucun changement majeur. Ces dernières ont par ailleurs été vivement critiquées par le Conseil suprême des médecins, qui estimait qu’elles reportaient la responsabilité du choix sur les médecins et leur faisaient courir le risque d’être poursuivis pour leurs décisions.
Du fait de cette législation extrêmement restrictive, des milliers de femmes et personnes enceintes quittent la Pologne pour interrompre leur grossesse dans d’autres pays européens, tandis que certaines importent des pilules abortives ou cherchent des moyens non légaux d’avorter en Pologne. Les femmes et autres personnes polonaises souhaitant avorter, particulièrement celles qui se trouvent dans des situations précaires, dépendent de l’aide cruciale des organisations de la société civile, qui disposent souvent de ressources limitées.
Les défenseur·es du droit à l’avortement persécuté·es
En Pologne, tout médecin ou autre personne qui aide une femme enceinte à avorter en dehors des deux motifs autorisés par la loi encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement. Les défenseurs du droit à l’avortement sont systématiquement harcelées par les autorités. Le but est clair : museler toutes les voix qui critiquent leur politique anti-avortement.
Justyna Wydrzyńska en a subi les conséquences. Elle est l’une des fondatrice du Collectif Abortion Dream Team, qui fait campagne en faveur de ce droit et propose des conseils et des informations pour accompagner les personnes qui souhaitent avorter. Justyna a dédié plusieurs années de sa vie à ce combat.
Pour avoir facilité un avortement, elle a été poursuivie par la justice polonaise et condamnée à huit mois de service d’intérêt général en 2023. Finalement, en février 2025, la Cour d’appel a statué que Justyna n’avait pas bénéficié d’un procès équitable, laissant espérer l’abandon des charges retenues contre elles lors d’un futur procès.
La mobilisation continue
Des manifestations ont eu lieu en octobre et novembre 2021 dans le pays pour réclamer justice pour la famille d’Izabel et, plus largement, l’adoption de réformes.
En 2021 plus de 1 000 femmes se sont tournées vers la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir leurs droits et contester la loi sur l’avortement en Pologne.
En juin 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé des explications à la Pologne sur cinq nouvelles affaires concernant des refus d’accès aux services d’avortement.
Aujourd’hui encore, des membres de la société civile et des associations continuent de se mobiliser pour que l’accès à l’avortement soit de nouveau sûr et légal en Pologne.
Dépénaliser l'avortement est essentiel pour garantir que toutes les personnes qui ont besoin d'avorter, celles et ceux qui pratiquent des avortements et les défenseur·es de ce droit, ne s’exposent pas à des poursuites pénales. Les responsables politiques doivent écouter les voix de la société civile qui se battent pour le droit à l’avortement, et mettre fin aux restrictions cruelles et dangereuses de ce droit.
Nous sommes aux côtés de toutes les personnes qui défendent le droit à l’avortement en Pologne et partout dans le monde.
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