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© AFP/Getty Images
Ouganda
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Ouganda en 2024.
Des agents de l’Autorité de la faune et de la flore sauvages d’Ouganda ont eu recours à une force excessive et injustifiée contre des membres du peuple autochtone benet et tué deux enfants. Les autorités ont arrêté et détenu arbitrairement des personnes qui avaient critiqué le gouvernement. Des modifications de la loi relative aux ONG risquaient de soumettre les activités des ONG à un contrôle gouvernemental excessif. La justice a validé des dispositions législatives discriminatoires envers les personnes LGBTI et qui prévoyaient la peine de mort et d’autres sanctions excessives pour certains actes. Les pouvoirs publics n’ont pas expliqué ce qu’il était advenu d’au moins 500 enfants du bidonville de Katwe qui avaient été emmenés par des agent·e·s de l’Autorité municipale de Kampala Capitale. L’Ouganda manquait cruellement de fonds pour aider les près de 1,8 million de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile présentes dans le pays. La construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est allait à l’encontre de la réduction des émissions de carbone dans le monde.
CONTEXTE
Les États-Unis ont exclu l’Ouganda de la liste des bénéficiaires de la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique en raison de « violations flagrantes des droits humains reconnus internationalement ». En avril et en juin, respectivement, le Royaume-Uni et les États-Unis ont pris des mesures de sanction contre la présidente du Parlement, son mari et plusieurs autres fonctionnaires pour des faits allégués de corruption et des violations graves des droits humains. Le 21 septembre, Muhoozi Kainerugaba, fils du président Yoweri Museveni et chef des Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF), a annoncé qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle de 2026.
RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE
L’Autorité de la faune et de la flore sauvages d’Ouganda (UWA) a cette année encore employé une force excessive et injustifiée pour empêcher le peuple autochtone benet d’accéder à ses terres ancestrales du mont Elgon.
Des gardes de l’UWA ont tiré sur au moins trois Benets dans le district de Bukwo, provoquant la mort de deux mineurs. Kibet Silas Rukut a reçu une balle dans la jambe chez lui le 28 mai car, d’après ses dires, il avait refusé de faire sortir ses vaches de leur enclos. L’agent de l’UWA prétendait quant à lui que le bétail se trouvait dans le parc national du mont Elgon, territoire faisant l’objet d’un litige. Kibet Silas Rukut a signalé les faits au poste de police de Bukwo.
Selon des dirigeants benets, Marko Kipsang, 16 ans, aurait été tué le 4 juin alors qu’il récoltait de l’herbe dans la forêt. Des Benets ont manifesté jusque devant le bureau du commissaire résident du district, mais il leur a été répondu d’attendre les résultats de l’enquête.
Le 6 septembre, Sukuku Emmanuel Joshua, 13 ans, a été abattu par un agent de l’UWA. Des dirigeants locaux ont indiqué que le garçon avait été tué dans son village, et non dans la forêt comme l’affirmait l’UWA. La balle a été extraite du corps lors de l’autopsie réalisée à l’hôpital général de Bukwo et l’UWA a versé 5 millions de shillings ougandais (environ 1 350 dollars des États-Unis) à la famille du défunt pour les frais d’enterrement.
Les autorités n’ont publié aucune information sur d’éventuelles enquêtes dans le cadre de ces affaires.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Kizza Besigye, opposant politique ougandais et ancien candidat à l’élection présidentielle pour le Forum pour un changement démocratique (FDC), a été enlevé le 16 novembre à Nairobi (Kenya) par des agents de l’État ougandais. Inculpé d’infractions liées à la sécurité et de détention illégale d’armes à feu et de munitions, il a été traduit en justice le 20 novembre devant un tribunal militaire de Kampala. La Cour constitutionnelle avait pourtant statué en 2022 que les juridictions militaires n’avaient pas compétence pour juger des civil·e·s. Le 23 juillet, 36 membres du FDC avaient été arrêtés à Kisumu (Kenya) et expulsés de force en Ouganda, où ils avaient été inculpés d’infractions liées au terrorisme, alors qu’ils étaient entrés légalement au Kenya avec l’autorisation des services de l’immigration.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Ibrahim Musana, un militant actif sur les réseaux sociaux sous le nom de « Pressure Pressure », a été arrêté le 19 février par la police et inculpé de diffamation, de promotion de discours haineux et d’incitation à la violence. Il était accusé de diffuser des informations malveillantes et d’utiliser les réseaux sociaux pour attaquer le Kabaka (le souverain du royaume du Buganda, monarchie constitutionnelle ougandaise) et d’autres hauts responsables du Buganda, dont son Premier ministre. Ibrahim Musana a été libéré le 29 avril sur décision du tribunal, moyennant une caution de deux millions de shillings ougandais (environ 542 dollars des États-Unis). Il lui a été interdit de mentionner le Kabaka, le président de la République, la présidente du Parlement et la ministre Joyce Sebugwawo sur les réseaux sociaux jusqu’à ce que l’affaire soit jugée.
Le 6 avril, le Commandement des forces spéciales (composante des UPDF chargée des interventions militaires d’urgence) a arrêté huit musiciens qui avaient été surpris à se plaindre que le discours prononcé par le président de la République lors d’un événement public était trop long. Conduits au commissariat central de Kampala et inculpés d’outrage au chef de l’État, les musiciens ont été remis en liberté sous caution deux jours plus tard.
Le 10 juillet, un tribunal de Mukono (centre de l’Ouganda) a condamné Edward Awebwa à six ans de prison au titre de la Loi de 2011 relative à l’utilisation abusive de l’informatique pour avoir diffusé des « informations malveillantes » et des « discours haineux » envers le président de la République, son épouse et leur fils, Muhoozi Kainerugaba. D’après le porte-parole adjoint de la police de Kampala, Edward Awebwa avait diffusé entre février et mars des vidéos raillant le président. Les propos figurant dans ses publications ne semblaient pourtant pas constituer un discours de haine.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Le 20 février, les militants écologistes Bintomkwanga Raymond, Kibuuka Azilu, Katiti Noah, Namara Hosea et Ndyamwesiga Desire ont manifesté près du Parlement contre la construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est (EACOP), qui devait traverser la forêt de Bugoma, zone pourtant protégée (voir Droit à un environnement sain). Ils portaient une banderole sur laquelle on pouvait lire « Sauvez la forêt de Bugoma. Le Parlement doit demander au gouvernement de publier le rapport de délimitation de Bugoma. Les forêts sont les poumons de la planète. » La police les a arrêtés pour « nuisance publique » et pour avoir causé « un chaos inutile » et « troublé la paix en dérangeant » les député·e·s et le personnel du Parlement.
Le président, Yoweri Museveni, a annoncé le 23 juillet que les manifestations contre le gouvernement ne seraient pas tolérées. Le lendemain, la police a fait irruption au siège de la Plateforme de l’unité nationale « par précaution » car le parti d’opposition prévoyait des manifestations.
Entre le 22 et le 25 juillet, la police a arrêté et placé en détention 104 jeunes manifestant·e·s lors de mouvements de protestation contre la corruption à Kampala et dans d’autres villes. Des allégations de plus en plus nombreuses, visant notamment des député·e·s (dont la présidente du Parlement), laissaient entrevoir une corruption généralisée au sein des pouvoirs publics. Les personnes interpellées ont été libérées sous caution à différentes dates.
Le 2 septembre, la police a arrêté Norah Kobusingye, Praise Aloikin Opoloje et Kemitoma Kyenzibo alors qu’elles se dirigeaient, nues, vers le Parlement pour protester contre la corruption. Elles ont été traduites devant le tribunal de Buganda Road pour « nuisance publique contraire à l’article 148(1) du Code pénal » et placées en détention provisoire. Le tribunal a ordonné leur remise en liberté conditionnelle le 12 septembre.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
Le chef de l’État a promulgué le 15 juillet la Loi de 2024 portant modification de la Loi sur les ONG. Ce texte a ouvert la voie à la dissolution du Bureau des ONG, un organe semi-autonome relevant du ministère des Affaires intérieures qui était chargé de réglementer et de superviser les activités des ONG. Ce Bureau a pris la forme d’un département au sein du même ministère, signal d’une centralisation des décisions, d’une reprise de contrôle et d’une plus grande surveillance des affaires relatives aux ONG de la part du gouvernement.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Appelée à se prononcer sur la Loi de 2023 contre l’homosexualité, la Cour constitutionnelle a choisi, le 3 avril, de ne pas abroger le texte et de supprimer uniquement les dispositions contraires à la Constitution de 1995. Elle a annulé l’article 3(2)(c), qui imposait la peine capitale pour les personnes déclarées coupables d’une infraction sexuelle « lorsque la victime a contracté une maladie incurable à cause de l’acte sexuel » en question ; l’article 9, qui établissait qu’une personne « reconnue coupable d’avoir [autorisé] en connaissance de cause l’utilisation de locaux […] pour y accomplir des actes homosexuels ou commettre une infraction au titre de cette Loi […] est passible d’une peine d’emprisonnement de sept ans maximum » ; l’article 11(2)(d), qui prévoyait une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour la personne qui « en toute connaissance de cause, loue ou sous-loue, utilise ou autorise une autre personne à utiliser une maison, un bâtiment ou un établissement pour y mener des activités incitant à l’homosexualité » ; et l’article 14, qui obligeait à « dénoncer les actes homosexuels ». Elle a en revanche maintenu des dispositions discriminatoires envers les personnes LGBTI et qui prévoyaient des sanctions très sévères, notamment la peine de mort en cas d’« homosexualité avec circonstances aggravantes » et jusqu’à 20 ans de prison pour la « promotion de l’homosexualité ». À la fin de l’année, 22 personnes avaient fait appel de cette décision devant la Cour Suprême.
DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT
Dans la nuit du 12 janvier, des agents de l’Autorité municipale de Kampala Capitale (KCCA) ont, avec l’accord du ministère du Genre, du Travail et des Affaires sociales et le soutien de la police, fait une incursion armée dans le bidonville de Katwe, à Kampala. Ils ont arrêté 773 enfants et 142 femmes du peuple autochtone karamojong. Les mineur·e·s ont été emmenés au Village d’enfants de Masulita, un foyer dirigé par l’organisation Uganda Women’s Effort to Save Orphans installé dans le district de Wakiso. La KCCA a déclaré avoir mené cette intervention pour éloigner les personnes sans abri des rues de Kampala en vue du Sommet du Groupe des 77 et d’un autre événement international, la conférence du Mouvement des non-alignés. Aucune solution de relogement n’a été proposée aux familles.
DROITS DES ENFANTS
Des parents karamojongs ont déclaré à une organisation locale de défense des droits des enfants que l’incursion de la KCCA et les arrestations menées dans le bidonville de Katwe en janvier (voir Droits en matière de logement) avaient provoqué des souffrances physiques et mentales chez leurs enfants. Parmi les centaines de mineur·e·s emmenés au Village d’enfants de Masulita, l’organisation a relevé les noms d’au moins 500 jeunes qui étaient introuvables et dont on était toujours sans nouvelles à la fin de l’année. Elle soupçonnait ces disparitions d’être liées à un réseau de traite des enfants soutenu par l’État.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Fin 2024, l’Ouganda accueillait, selon le décompte du HCR, 1 796 609 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile. Les arrivées se sont poursuivies pendant l’année, principalement depuis la République démocratique du Congo, le Soudan et le Soudan du Sud. Au 30 septembre, le HCR n’avait reçu qu’environ 42 % des 363,4 millions de dollars des États-Unis de financements nécessaires pour le pays et enregistrait donc un déficit de plus de 212 millions de dollars.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
EACOP Ltd a poursuivi la construction d’un oléoduc souterrain de 1 443 kilomètres de long, qui devait servir à transporter du pétrole brut de Kabale, dans le district d’Hoima (ouest de l’Ouganda) vers le port de Tanga, en Tanzanie. Sa construction a entraîné des déplacements de population et risquait de dégrader gravement l’environnement. Le projet allait à l’encontre des efforts visant à réduire les émissions de carbone dans le monde (voir Tanzanie). Le tracé de l’oléoduc traversait des zones d’habitat humain, des réserves naturelles, des terres agricoles et des sources d’eau.

LA CHRONIQUE D’AMNESTY I NOV. 22 – TOTAL : LA LOI DU PLUS FORT

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