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Kenya

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Kenya en 2024.

Soixante personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées lorsque la police a usé d’une force excessive et inutile contre des manifestant·e·s mobilisés contre le projet de loi de finances. Une proposition de loi contenait des dispositions imposant de nouvelles restrictions des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Plus de 600 manifestants et manifestantes ont été arrêtés arbitrairement et placés en détention, et des dizaines ont été soumis à une disparition forcée. Cette année encore, des exécutions extrajudiciaires ont été signalées. Le gouvernement a expulsé de force des milliers d’habitant·e·s des quartiers de Mathare et de Mukuru Kwa Njenga, dans un contexte de pluies torrentielles et d’inondations. Selon des statistiques officielles, au moins 97 femmes ont été tuées entre août et octobre, la plupart à la suite de violences liées au genre. Des problèmes de mise en œuvre du nouveau Fonds social d’assurance santé ont entravé l’accès de certaines personnes aux soins de santé. Le projet gouvernemental d’identification numérique menaçait le droit au respect de la vie privée.

CONTEXTE

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer la corruption, la mauvaise gouvernance et le projet de loi de finances 2024. Selon ses opposant·e·s, ce texte prévoyait une hausse des taxes trop importante à supporter, y compris sur le pain et d’autres produits de première nécessité, sans accorder de mesures de protection sociale suffisantes, et se traduirait par une aggravation de la crise de la dette. La jeune génération, ou « génération Z », a pris la tête du mouvement de protestation et utilisé les réseaux sociaux pour réclamer la justice politique et sociale. Le 25 juin, le président William Ruto a déclaré que les manifestations avaient été « infiltrées par des personnes recrutées pour provoquer le chaos et [...] la guerre civile ». Il a appuyé la décision du gouvernement d’envoyer l’armée pour « aider » au maintien de l’ordre lors des manifestations, alors que la Constitution n’autorise un tel déploiement – sous réserve de l’approbation du Parlement – que dans les cas d’urgence ou de catastrophe, ou lorsqu’il s’agit de restaurer la paix dans des zones en proie à des troubles ou à l’instabilité. Le 26 juin, le lendemain de l’adoption du projet de loi de finances par le Parlement, le chef de l’État a choisi de ne pas avaliser le texte.

Le 8 octobre, l’Assemblée nationale a voté à une écrasante majorité en faveur de la destitution du vice-président Rigathi Gachagua, mis en cause pour faute grave, tribalisme et corruption. Le 18 octobre, le Sénat a destitué cet homme en retenant cinq des 11 chefs portés contre lui, dont l’incitation aux divisions ethniques.

RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE

Selon la Commission nationale kenyane des droits humains (KNCHR), 60 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été blessées en juin et juillet par la police, qui a eu recours à une force excessive et inutile lors des manifestations contre le projet de loi de finances. La plus jeune victime était Kennedy Onyango, un garçon de 12 ans qui a succombé aux blessures par balles reçues le 27 juin dans le comté de Kajiado. L’Autorité indépendante de surveillance de la police (IPOA) a ouvert des enquêtes sur certains de ces faits, mais aucune information sur leur avancée n’a été rendue publique.

Des milliers de manifestants et manifestantes se sont rassemblés le 25 juin dans tout le pays alors que le projet de loi était sur le point d’être adopté par le Parlement. À Nairobi, la capitale, plusieurs centaines de manifestant·e·s pacifiques ont pénétré dans l’enceinte du Parlement. Les fonctionnaires de police, dont beaucoup portaient des cagoules et des masques, les ont dispersés en tirant des balles réelles et du gaz lacrymogène, une utilisation interdite par plusieurs décisions de justice, et les ont frappés à coups de matraque. Six manifestants au moins ont été tués, par balle selon toute apparence. Des centaines d’autres ont été blessés par des tirs et ont subi des lésions des tissus mous dues aux coups de matraque et aux grenades lacrymogènes, a indiqué la KNCHR. Touché par une grenade lacrymogène, un manifestant a perdu trois doigts.

Toujours le 25 juin, vers 21 heures, le ministre de la Défense a donné l’ordre à l’armée de protéger les « infrastructures essentielles ». Les militaires ont alors été déployés pour aider la police nationale à réprimer les manifestations. Le 27 juin, la Haute Cour du Kenya a validé ce déploiement, en ordonnant toutefois aux pouvoirs publics de fixer la durée des opérations et d’en informer la population, ce que le gouvernement n’a pas fait.

L’Association juridique du Kenya a qualifié ce déploiement de tactique d’intimidation. Le 28 juin, la Haute Cour siégeant à Malindi a émis des ordonnances provisoires interdisant aux services de sécurité d’utiliser des munitions létales et des munitions à létalité réduite (notamment des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc) contre des manifestant·e·s pacifiques.

LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Le gouvernement a appuyé des propositions de loi visant à réprimer la dissidence qui, si elles étaient adoptées, menaceraient les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Parmi ces textes figurait la proposition de loi de 2024 relative aux rassemblements et aux manifestations, soumise par le député de la circonscription de Mbeere Nord. Si elle était adoptée, la police disposerait de pouvoirs plus amples en matière de restriction et de répression des manifestations, notamment pour la dispersion des manifestant·e·s ; les dispositions modifieraient les conditions de notification prévues dans la Loi relative à l’ordre public et rendraient obligatoire l’obtention d’une autorisation de la police avant toute manifestation. Le texte prévoyait une peine d’un an d’emprisonnement pour les personnes organisant des manifestations « illégales », mais ne définissait pas ce qui constitue un rassemblement illégal.

En ce qui concerne la répression violente des manifestations organisées contre le projet de loi de finances (voir plus haut), des observateurs·trices des droits humains ont recueilli des informations montrant que la police avait dispersé illégalement des personnes qui participaient à des rassemblements pacifiques, procédé à des arrestations arbitraires et infligé des mauvais traitements à des manifestant·e·s. Des journalistes qui couvraient ces rassemblements ont été frappés, certains ont été arrêtés et plusieurs se sont vu confisquer leur matériel. D’autres personnes ont été arrêtées parce qu’elles avaient pris des photos ou des vidéos de ces événements, ou ont été empêchées de capturer de telles images.

Selon les recherches du groupe de presse Nation Media Group, les autorités se sont livrées à une surveillance numérique de grande ampleur ciblant plusieurs militant·e·s en ligne, et ont interrompu l’accès à Internet.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Selon la KNCHR, entre juin et août, plus de 600 personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations pacifiques. Certaines ont été maintenues en détention au-delà du délai légal de 24 heures. D’autres ont été déférées à la justice sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Les forces de sécurité ont arrêté des membres du personnel soignant qui avaient pris en charge des manifestant·e·s blessés. Il est arrivé fréquemment que les avocat·e·s se voient refuser l’accès à leurs client·e·s ; certains ont fait l’objet d’arrestations et d’autres manœuvres d’intimidation visant à ce qu’ils renoncent à leurs dossiers.

DISPARITIONS FORCÉES

Selon l’Association juridique du Kenya, au moins 72 personnes, dont des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains, ont été soumises à une disparition forcée en lien avec leur participation aux manifestations contre le projet de loi de finances. On était toujours sans nouvelles de certains d’entre eux à la fin de l’année. Le 30 août, le président William Ruto a nié avoir connaissance de ces disparitions.

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

Pas moins de 104 exécutions judiciaires ont été recensées au cours de l’année. Missing Voices, une coalition nationale d’organisations de défense des droits humains, et d’autres groupes ont appelé le gouvernement à prendre des mesures pour mettre un terme à ces homicides.

Denzel Omondi, étudiant à l’Université d’agriculture et de technologie Jomo Kenyatta, a été retrouvé mort le 6 juillet dans un marais à Juja, dans le comté de Kiambu. Il avait pris part au mouvement de protestation contre le projet de loi de finances. Une enquête de l’IPOA sur les circonstances de sa mort était en cours à la fin de l’année.

Le procès de l’ancien policier Ahmed Rashid, accusé d’avoir procédé à deux exécutions extrajudiciaires au moins, s’est poursuivi devant le tribunal de Kibera. Les proches des victimes présumées de cet homme faisaient partie des témoins présentés par l’accusation.

EXPULSIONS FORCÉES

Entre mars et avril, le gouvernement a expulsé de force au moins 6 000 familles et démoli leurs maisons dans les quartiers de Mathare et de Mukuru Kwa Njenga, à Nairobi, dans un contexte de pluies torrentielles et d’inondations. La raison invoquée était que les habitant·e·s avaient construit leurs maisons sur des terres inondables proches d’une rivière. Cependant, les autorités n’ont pas recueilli le consentement des habitant·e·s avant l’expulsion, ne leur ont pas notifié celle-ci dans un délai adéquat et ne leur ont pas proposé un plan de relogement clair et approprié. Ces personnes se sont retrouvées à la rue et exposées au risque de contracter des maladies, en ayant cruellement besoin de nourriture et d’autres produits de première nécessité. En novembre, la Haute Cour siégeant à Nairobi a ordonné que des représentant·e·s du gouvernement et des habitant·e·s déterminent ensemble le montant des pertes subies avant avril 2025, à la suite de quoi le gouvernement devrait indemniser les personnes expulsées.

VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE

Selon la Direction de la police judiciaire, 97 femmes au moins ont été tuées entre août et octobre, la plupart à la suite de violences liées au genre. Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour protéger les femmes et les filles contre de telles violences généralisées, commises par des partenaires intimes, des membres de la famille ou d’autres personnes, notamment des hommes de l’entourage des victimes. Les homicides perpétrés contre deux femmes, Rita Waeni et Starlet Wahu, ont poussé des centaines de femmes dans tout le pays à descendre dans la rue pour demander au gouvernement de renforcer les garanties contre les violences fondées sur le genre, de mener des investigations et d’engager des poursuites pénales contre les auteurs présumés.

DROIT À LA SANTÉ

Le 1er octobre, le gouvernement a remplacé le Fonds national d’assurance santé par le Fonds social d’assurance santé, qui prévoyait une contribution des Kenyans et Kenyanes à hauteur de 2,75 % de leur revenu brut mensuel, entraînant une hausse de la contribution de la plupart des personnes salariées. Les personnes n’exerçant pas d’emploi devaient elles aussi verser une contribution, d’un montant de 300 shillings kenyans (soit environ 2,32 dollars des États-Unis) par mois, pour accéder aux soins de santé. Le système a été présenté comme un moyen d’offrir une couverture santé à l’ensemble de la population, mais du fait des retards de mise en place, la plupart des hôpitaux n’ont pas reçu les financements publics suffisants pour prendre en charge les patient·e·s dans le cadre du Fonds social. Certaines personnes, notamment celles souffrant d’affections chroniques, ont par conséquent rencontré plus de difficultés pour se faire soigner.

DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Plusieurs organisations de la société civile ont exprimé leurs inquiétudes et leur mécontentement quant au projet gouvernemental d’identification numérique, qui prévoyait d’intégrer les données personnelles des citoyen·ne·s sur toutes les plateformes numériques afin de faciliter l’accès aux services publics. Elles ont fait valoir que la consultation publique du gouvernement sur ce projet n’était pas valable car la plupart des Kenyan·e·s n’avaient pas compris les conséquences qu’aurait celui-ci sur la sécurité de leurs données.

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