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© Sabah Arar/AFP/Getty Images

© Sabah Arar/AFP/Getty Images

Irak

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Irak en 2024.

L’impunité était la règle pour les violations commises dans le contexte des opérations militaires contre le groupe armé État islamique. On ignorait toujours le sort réservé à des milliers de personnes victimes de disparition forcée depuis 2014. L’administration de la justice et l’octroi de réparations suffisantes étaient lents dans les affaires de disparitions forcées et d’homicides illégaux commis par les forces de sécurité et des milices pendant et après les manifestations d’octobre 2019. Les autorités ont arrêté et poursuivi en justice des personnes pour « contenu indécent » et étouffé la société civile. Des journalistes ont été harcelés, poursuivis en justice et arrêtés en raison de leurs activités professionnelles dans la région du Kurdistan irakien. Les autorités ont eu recours à une force excessive et injustifiée lors de manifestations dans le centre et le sud du pays. Une proposition de texte visant à modifier la Loi relative au statut personnel risquait de restreindre encore plus les droits des femmes et d’autoriser le mariage des fillettes dès l’âge de neuf ans. Les violences faites aux femmes et aux filles demeuraient souvent impunies, notamment dans la région du Kurdistan. Les personnes déplacées avaient difficilement accès à un logement, à l’eau et à des soins médicaux et risquaient toujours d’être détenues arbitrairement. Des condamnations à mort ont été prononcées, souvent à l’issue de procès inéquitables, et des exécutions collectives ont eu lieu. Dans les prisons, la surpopulation était endémique et les mauvaises conditions d’hygiène persistaient. Les autorités irakiennes n’ont pas endigué la crise environnementale, qui ne faisait que s’aggraver.

CONTEXTE

Tout au long de l’année, la Turquie a lancé des frappes aériennes et de drones sur ce qui était, selon elle, des positions tenues par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans la région du Kurdistan irakien, ainsi que des attaques de drones visant à assassiner des personnes qu’elle accusait d’appartenir au PKK.

En janvier, des tirs de missiles qui, selon les pasdaran (gardiens de la révolution) iraniens, avaient pour cible des opérations israéliennes, ont touché des habitations à Erbil (Kurdistan irakien), tuant au moins quatre civil·e·s, dont un bébé, et en blessant au moins six autres, d’après le Conseil de sécurité de la région du Kurdistan irakien. Pendant toute l’année, d’autres attaques ont été menées au Kurdistan irakien par les pasdaran contre des groupes d’opposition kurdes hostiles à l’Iran.

En mars et en mai, l’Irak et la région du Kurdistan irakien ont connu d’importantes inondations dans plusieurs provinces, principalement imputables à de fortes précipitations, qui ont entraîné le déplacement de centaines de personnes. Au moins huit morts et 11 blessés ont été enregistrés au Kurdistan irakien.

Le 20 octobre, des élections législatives qui étaient prévues pour 2022 ont eu lieu au Kurdistan irakien.

Au cours de l’année, la Résistance islamique en Irak, une coalition de factions armées sous la houlette des Unités de mobilisation populaire, a intensifié ses opérations contre Israël en réaction aux campagnes militaires de ce pays à Gaza et au Liban, tirant des missiles qui, selon ses dires, visaient des objectifs militaires en Israël et sur le plateau du Golan occupé.

En août, une attaque à la roquette non revendiquée contre une base des États-Unis dans l’ouest de l’Irak a blessé au moins cinq membres du personnel américain et deux prestataires. Une attaque similaire a été lancée en octobre contre une autre base américaine à Bagdad, la capitale, mais aucune victime n’était à déplorer.

Durant toute l’année, le groupe armé État islamique a mené des attaques qui ont visé et tué des membres des forces de sécurité irakiennes et des civils, principalement dans les provinces d’Al Anbar, de Diyala et de Salahuddin.

IMPUNITÉ

Les autorités n’ont pas pris de mesures pour faire la lumière sur le sort de milliers d’hommes et de garçons victimes de disparition forcée pendant et après les campagnes militaires visant à reprendre le contrôle de territoires occupés par l’État islamique, ni pour amener les auteurs présumés de ces faits et d’autres crimes commis lors d’opérations contre l’État islamique à rendre des comptes.

Les autorités n’ont toujours pas véritablement rendu justice à la mesure des graves violations des droits humains (y compris des crimes de droit international) perpétrées dans le contexte des manifestations du mouvement Tishreen, qui s’étaient heurtées à une répression meurtrière en octobre 2019. Parmi ces actes figuraient des disparitions forcées et le recours excessif et illégal à la force meurtrière par la police antiémeute, les forces antiterroristes et des membres des Unités de mobilisation populaire.

Quelque 2 700 enquêtes pénales ont été ouvertes dans cette affaire, mais, en août, seulement 10 mandats d’arrêt avaient été délivrés contre des responsables présumés et seules sept déclarations de culpabilité avaient été prononcées, d’après le Conseil supérieur de la magistrature irakien. Six dossiers de premier plan qu’Amnesty International a examinés ont révélé de graves failles dans le système judiciaire, une ingérence politique dans le travail de la justice, un manque de détermination à amener les membres influents des forces de sécurité et des milices affiliées à rendre des comptes, et une absence totale de transparence concernant les procédures.

Les personnes blessées ou mutilées lors des manifestations se heurtaient encore à d’importantes difficultés pour obtenir une indemnisation financière ou d’autres formes de réparation.

LIBERTÉ D'EXPRESSION

Les autorités ont continué à réprimer la liberté d’expression, en particulier les propos critiques à leur égard, au nom de la stabilité et de la « morale publique ».

Les pouvoirs publics ont continué à procéder à des arrestations pour ce qu’ils qualifiaient de « contenu indécent », sans toutefois définir cette expression, et ont engagé des poursuites sur la base d’une disposition excessivement générale et floue du Code pénal qui condamnait la publication de contenus « portant atteinte à l’intégrité ou la décence publiques ».

Les dispositions relatives à la diffamation servaient également à dissuader toute critique visant des personnalités politiques ou religieuses influentes. Les employé·e·s d’ONG, notamment d’organisations de défense des droits des femmes, faisaient l’objet d’un harcèlement judiciaire du fait de leur travail, et, lors d’une réunion avec des représentants de l’État, il a été ordonné à certain·e·s de ne pas collaborer avec les mécanismes d’établissement de rapports des Nations unies.

Au Kurdistan irakien, les forces de sécurité et des personnes affiliées à de puissants partis politiques ont, cette année encore, harcelé, menacé et tenté d’intimider des journalistes et des militant·e·s en raison de leurs activités. Plusieurs journalistes ont été arrêtés ou convoqués par les forces de sécurité et au moins un journaliste du Kurdistan irakien a été condamné à une peine d’emprisonnement pour son travail.

En février, le Parlement irakien a examiné en première lecture un projet de loi sur le droit à l’information, qui imposerait des restrictions excessives entravant l’accès à l’information.

Le Département des organisations non gouvernementales (DNGO), un organe étatique, n’a cessé de s’ingérer dans la programmation et les activités des ONG locales, ainsi que dans le choix du nom des nouvelles ONG. Le DNGO a imposé la vérification des antécédents des directeurs et directrices et dicté leur participation aux mécanismes d’examen des Nations unies.

LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE

Les forces de sécurité ont fréquemment utilisé des canons à eau, du gaz lacrymogène et des munitions réelles pour disperser des manifestations ou des sit-in majoritairement pacifiques dans le centre et le sud de l’Irak. Ces rassemblements étaient motivés par la frustration générale découlant du non-respect de l’obligation de rendre des comptes, de la corruption de l’État, des difficultés économiques et de la mauvaise qualité des services publics.

En août et en septembre, à Bagdad, les forces de sécurité ont dispersé des manifestant·e·s pacifiques, principalement de jeunes diplômé·e·s de la faculté de médecine, au moyen de canons à eau, et ont parfois traîné avec brutalité des manifestant·e·s à l’écart de bâtiments publics.

En octobre, la police a utilisé des balles réelles et du gaz lacrymogène pour disperser des manifestations majoritairement pacifiques à Nassiriyah, dans la province de Dhi Qar, ce qui a poussé des manifestant·e·s à bloquer des routes et à jeter des pierres. Ces manifestations avaient été déclenchées par des arrestations de militant·e·s locaux et, plus généralement, par la répression de la dissidence. Les manifestant·e·s s’étaient rassemblés sur la place Al Haboubi pour réclamer la libération des militant·e·s détenus et la démission du chef de la police de la ville. À Nassiriyah, les autorités ont continué de procéder sporadiquement à des arrestations et des détentions de militant·e·s en novembre, les libérant sous caution au bout de plusieurs jours.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

En août, des parlementaires ont présenté une proposition de texte visant à modifier la Loi relative au statut personnel. Si elles étaient adoptées, ces modifications accorderaient aux conseils religieux sunnite et chiite le pouvoir d’établir un « code des règles de la charia sur les questions de statut personnel », ce qui menacerait les droits des femmes et des filles ainsi que l’égalité des genres devant la loi. Ce texte pourrait aussi permettre de marier des filles dès l’âge de neuf ans, de légaliser les mariages non enregistrés et d’exempter de toute peine les hommes contractant un mariage avec une enfant ainsi que les religieux célébrant ce type d’union. Il priverait également les femmes divorcées du droit de continuer d’habiter au domicile conjugal ou de recevoir une aide financière. Des manifestations d’opposition à cette proposition de loi menées par la Coalition 188, un réseau d’ONG et de militant·e·s, ont eu lieu à Bagdad, Bassora, Dhi Qar, Babil, Kirkouk, Diwaniyah et Najaf.

Le 2 décembre, une version modifiée de la proposition de loi a été rendue publique. Elle contenait plusieurs améliorations par rapport à la version précédente, notamment le maintien de l’âge légal du consentement au mariage à 18 ans (ou 15 ans sur autorisation d’un juge) et l’interdiction pour les tribunaux chargés des questions de statut personnel d’enregistrer des mariages ne satisfaisant pas aux critères fixés par la loi. En revanche, les dispositions relatives à l’établissement de codes par différentes branches de l’islam ont été conservées. Le vote concernant ce texte a été reporté à 2025.

VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE

Aux termes du droit irakien, l’« honneur » était toujours une circonstance atténuante en cas de meurtre ou d’autre crime grave perpétrés à l’encontre de femmes. En outre, les hommes avaient encore le droit d’infliger des châtiments corporels à leur épouse et les parents à leurs enfants. Dans le centre du pays, aucune mesure n’a été prise pour ériger en infractions le viol conjugal et les autres formes de violence domestique, ni pour créer des centres d’accueil destinés aux victimes ou aux femmes et aux filles risquant de subir des violences fondées sur le genre.

Région du Kurdistan irakien

Au Kurdistan irakien, en dépit de quelques mesures positives, les autorités n’ont pas fait en sorte que les auteurs présumés de violence domestique, y compris de meurtre, de viol, de coups et de brûlures, soient amenés à rendre des comptes. Par ailleurs, elles restreignaient arbitrairement les libertés des victimes qui se réfugiaient dans des centres d’accueil, lesquels souffraient d’un déficit de financement et n’étaient pas considérés comme une priorité.

Les lois érigeant en infraction les violences faites aux femmes et aux filles au Kurdistan irakien étaient toujours absolument insuffisantes, quand elles étaient appliquées. Dans les tribunaux, la lenteur des procédures, la faible capacité de l’appareil judiciaire et les pouvoirs discrétionnaires accordés aux juges entraînaient, au mieux, des sanctions qui n’étaient pas à la hauteur de la gravité des crimes commis.

Le gouvernement régional du Kurdistan n’a pas suffisamment financé ni soutenu les mécanismes étatiques de signalement établis et reconnus par la Loi relative à la violence domestique du Kurdistan irakien. Cette négligence a sapé la capacité de ces mécanismes à fournir des services de protection efficaces (signalement, conseils juridiques, centres de conseil familial, thérapies et soins psychosociaux) et à mettre à disposition des victimes des espaces sûrs leur permettant de prendre des décisions éclairées au sujet de leur sécurité et de leur bien-être.

DROITS DES PERSONNES LGBTI

En avril, le Parlement irakien a adopté une loi érigeant en infraction les relations sexuelles librement consenties entre adultes de même sexe, passibles de peines d’emprisonnement allant de 10 à 15 ans. Ce texte sanctionnait aussi la « promotion » des relations entre personnes de même sexe, l’expression de l’identité transgenre et les comportements « efféminés ». Il a porté un coup supplémentaire aux personnes LGBTI, qui étaient persécutées par des milices agissant en toute impunité.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

Environ 1,1 million d’Irakien·ne·s étaient toujours déplacés et avaient des difficultés à exercer leurs droits au logement, à l’eau et à des soins médicaux. Parmi eux, 134 369 personnes vivaient encore dans des camps officiels, principalement au Kurdistan irakien. En janvier, les autorités irakiennes ont donné à celles du Kurdistan jusqu’au 30 juillet pour fermer les derniers camps de personnes déplacées et mettre fin à l’aide apportée. Cependant, à la fin de l’année, ces camps étaient toujours ouverts.

Les personnes déplacées qui cherchaient à obtenir des documents d’état civil se heurtaient encore à des obstacles importants, ce qui entravait leur accès aux services publics, dont la santé et l’éducation.

Au Centre de réinsertion d’Al Jedah, dernier camp en activité à l’extérieur du Kurdistan irakien, les forces de sécurité irakiennes ont fait subir à des personnes déplacées des arrestations arbitraires, des actes de torture et des disparitions forcées. Elles leur ont infligé des coups, des décharges électriques et des simulacres de noyade, et ont caché à leur famille où elles se trouvaient pendant des périodes allant de quelques jours à plusieurs mois. Les forces de sécurité arrêtaient fréquemment des personnes sur la base de liens familiaux ou pour des différends personnels, et les détenu·e·s ne bénéficiaient pas d’un procès équitable, beaucoup étant amenés à faire des « aveux » sous la contrainte.

PEINE DE MORT

Les autorités irakiennes ont continué de prononcer des condamnations à mort et de procéder à des exécutions de personnes déclarées coupables de terrorisme, de meurtre et d’infractions liées aux stupéfiants. Les tribunaux prononçaient souvent des sentences capitales à l’issue de procès non conformes aux normes d’équité, en particulier dans les affaires de « terrorisme ».

Les autorités ont procédé à plusieurs exécutions collectives, sous le sceau du secret.

Les autorités pénitentiaires ont procédé à des exécutions sans en informer les avocat·e·s ni les proches des personnes concernées et ont humilié verbalement des familles venues récupérer le corps d’un proche. Au moins une fois, des milices ont empêché une famille d’organiser des obsèques, en raison de l’appartenance supposée de la personne exécutée à l’État islamique.

CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES

Les conditions carcérales restaient déplorables, et les prisonniers et prisonnières étaient privés des soins médicaux dont ils avaient besoin. Les conditions de détention étaient caractérisées par la surpopulation et l’insalubrité ; il a même été signalé que de l’eau sale avait été fournie à des personnes détenues, ainsi que de la nourriture infestée de vers. Aucune enquête efficace n’a été menée au sujet des décès en détention.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

Les autorités irakiennes n’ont rien fait face à l’intensification de la crise environnementale, qui se caractérisait par de graves pénuries d’eau, la pollution de l’air et de l’eau, et les effets destructeurs du changement climatique.

La mauvaise gouvernance et l’insuffisance des politiques publiques ont abouti à une piètre gestion des ressources en eau, accentuée par des litiges non résolus avec les pays voisins au sujet des droits relatifs à l’eau. Échappant pratiquement à tout contrôle faute de législation solide, la pollution urbaine et industrielle, à laquelle s’ajoutaient les dégradations de l’environnement imputables à des années de conflit, n’a fait que compromettre encore davantage la santé publique. La gestion inefficace des déchets et la déforestation ont intensifié les tempêtes de sable et favorisé la propagation de maladies véhiculées par l’eau, qui touchaient de manière disproportionnée les populations en situation précaire, en particulier les personnes déplacées.

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