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Sebastian Silva/AFP/Getty Images
Chili
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Chili en 2024.
Malgré la condamnation sans précédent de deux carabineros pour des atteintes aux droits humains commises durant le soulèvement social de 2019, l’impunité restait la règle et aucune proposition de loi relative aux réparations n’était en vue. L’avortement demeurait difficile d’accès. Les conditions de vie des détenues enceintes restaient très difficiles. Le cadre réglementaire relatif à l’usage de la force a été modifié. Le Congrès a continué à débattre de propositions de loi visant à criminaliser l’immigration. Des femmes autochtones ont encore été placées en détention pour avoir vendu des produits dans l’espace public. Une technologie de reconnaissance faciale a été mise en place sans cadre législatif bien défini.
CONTEXTE
En février, le Chili a signé la Convention de Ljubljana-La Haye pour la coopération internationale en matière d’enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et autres crimes internationaux, établie en 2023.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
En août, pour la première fois, deux carabineros (policiers nationaux en uniforme) ont été condamnés pour des actes de torture commis contre un manifestant durant le soulèvement social de 2019. La procédure pénale relative aux lésions oculaires subies par Gustavo Gatica était toujours en cours. Des inculpations ont été prononcées en octobre à l’encontre de trois membres de l’ancien haut commandement des carabineros, pour ne pas avoir empêché les violations des droits humains commises par leurs subordonné·e·s au cours des manifestations. Malgré ces avancées, l’impunité prévalait pour les atteintes aux droits humains et les crimes de droit international perpétrés durant cette période, et plusieurs autorités politiques ont indûment remis en cause les actions du parquet, notamment l’enquête visant les membres de l’ancien haut commandement des carabineros.
Le gouvernement a annulé les pensions accordées à des personnes qui avaient été victimes de violations des droits humains durant les manifestations, mais qui avaient été reconnues coupables d’infractions avant cette période. Aucun texte de loi ne proposait d’accorder des réparations aux victimes des violations commises durant les manifestations, malgré les conclusions détaillées remises au gouvernement par la Commission pour des réparations exhaustives.
En août, des plaintes se sont fait entendre au sujet de graves irrégularités potentielles dans la mise en œuvre du Plan national de recherche des personnes victimes de disparition forcée sous le régime d’Augusto Pinochet (1973-1990). Les irrégularités évoquées étaient liées au logiciel utilisé pour la recherche de ces « détenu·e·s disparus ». L’un des principaux experts a démissionné et des proches de personnes disparues ont fait part de leurs craintes quant à cette situation. Aucune mesure n’a par ailleurs été adoptée pour garantir les activités permanentes du plan. Il était préoccupant de voir que les sites mémoriels liés à cette période ne recevaient toujours pas de soutien suffisant de la part du gouvernement, ce qui laissait craindre que celui-ci ne s’en désengage.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
Dans les établissements de santé publics, il était toujours difficile d’avoir accès à un avortement, même dans les cas où cette intervention était autorisée par la loi. Des établissements et professionnel·le·s de la santé ont refusé de pratiquer des avortements en raison de leurs opinions morales ou religieuses, au mépris du droit des personnes enceintes d’avoir accès à ce service. Dans cinq hôpitaux publics, la totalité des gynécologues refusait de pratiquer des avortements pour des grossesses résultant d’un viol, ce qui pouvait s’apparenter à de la torture ou d’autres formes de mauvais traitements.
En mai, le gouvernement a proposé de modifier la réglementation relative aux services d’avortement. Les modifications proposées visaient à obliger les établissements de santé à dresser une liste des professionnel·le·s refusant de pratiquer des avortements, même légaux, en raison de leurs opinions morales ou religieuses, et de spécifier les circonstances dans lesquelles ces personnes refusaient de participer à ces opérations. Le texte proposait également d’obliger les établissements de santé à informer les patientes de ce refus. En décembre, la contrôleuse générale de la République n’avait toujours pas approuvé ces modifications.
Le président s’est engagé en juin à présenter au Congrès un projet de loi relatif à l’avortement légal avant la fin de l’année, mais il n’a pas tenu sa promesse.
En janvier, une femme détenue au centre pénitentiaire d’Iquique a accouché dans une cellule. Le Comité chilien pour la prévention de la torture a affirmé que cet événement mettait en lumière des problèmes profonds et urgents réclamant une attention immédiate. Il a notamment souligné la nécessité d’améliorer les soins prénataux pour les personnes enceintes en détention, de leur garantir une nutrition adéquate durant la grossesse, et de faire en sorte qu’un·e professionnel·le qualifié assiste à l’accouchement.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE RÉUNION
Les rassemblements publics dans des lieux publics devaient toujours être déclarés et autorisés au préalable par les autorités, et les manifestant·e·s se heurtaient à des obstacles à l’exercice de leur droit à la liberté de réunion. À aucun moment de l’année le Congrès n’a débattu d’une éventuelle suppression de cette obligation d’autorisation.
RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE
Le Congrès a poursuivi l’examen d’un texte visant à réglementer l’usage de la force par les services de sécurité en inscrivant dans la loi les protocoles et réglementations en vigueur édictés par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique et le ministère de la Défense nationale. Le manque de clarté de ce projet et son adoption imminente étaient source d’inquiétude.
Malgré l’achat de pistolets à impulsion électrique pour les carabineros depuis 2019, et pour la gendarmería (police carcérale) en 2024, le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique n’a pas édicté de protocole décrivant leur bon usage. Aucune utilisation autorisée de ces armes n’a été signalée, mais un projet pilote devait être mené vers la fin du premier trimestre 2025.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Tout au long de l’année, le Congrès a débattu de textes proposant la criminalisation de l’immigration. Une proposition visant à prévoir des peines d’emprisonnement pour les personnes déclarées coupables d’entrée ou de séjour irréguliers dans le pays posait tout particulièrement problème.
En septembre, la Direction générale des pensions a affirmé que les travailleuses et travailleurs vénézuéliens au Chili ne pouvaient pas retirer leurs prestations, car il n’était pas possible de vérifier la validité des documents exigés. Les réfugié·e·s vénézuéliens étaient par ailleurs toujours la cible de discours et d’attaques xénophobes, de la part de certaines personnalités comme de membres du grand public.
DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
Les carabineros et autres forces de l’ordre ont encore placé en détention des femmes autochtones pour avoir vendu des marchandises dans l’espace public, les empêchant ainsi d’exercer leurs traditions ancestrales et leurs droits culturels. Le cas d’une femme aymara, menottée et détenue à Pica, ville de la région de Tarapacá dans le nord du pays, pour avoir vendu des feuilles de coca, était particulièrement inquiétant. Elle a fini par être libérée, la défense ayant fait valoir que cette activité était une pratique culturelle traditionnelle du peuple aymara.
SURVEILLANCE DE MASSE
Une technologie de reconnaissance faciale a été mise en place à des fins de maintien de l’ordre, sans qu’un cadre réglementaire clair et explicite soit établi pour définir les limites de son utilisation.
Une proposition de loi visant à réglementer la collecte de données personnelles a été approuvée, mais pas encore mise en œuvre.
En décembre, des modifications de la législation antiterroriste ont été approuvées : elles autorisaient le déploiement d’une technologie permettant d’intercepter des messages, des appels et des métadonnées et de mener un géoréférencement de masse, sans mettre en place de garanties suffisantes.

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