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URGENCE ISRAËL-GAZA

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Un membre des forces de police française © AFP/Getty Images

Un membre des forces de police française © AFP/Getty Images

Liberté d'expression

5 idées fausses sur l'état d'urgence

L’Assemblée nationale et le Sénat s’apprêtent à prolonger une 5ème fois l’état d’urgence jusqu’à juillet 2017. Alors que les dérives de l’Etat d’urgence sont de plus en plus évidentes, et son utilité contestée, retour sur certains des arguments utilisés pour prolonger ce régime d’exception.

Mise à jour du 16/12/2016 : comme l'Assemblée nationale, le Sénat a voté la cinquième prolongation de l'état d'urgence

« Les spécialistes disent que l’état d’urgence est nécessaire: laissons les travailler »

Des dizaines de responsables de l’anti-terrorisme et de la sécurité en France ont été auditionnés par une commission d’enquête parlementaire dédiée à la lutte antiterroriste depuis janvier 2015. : celle-ci s’accorde pour dire que les mesures de l’état d’urgence ont eu un effet réellement déstabilisateur … dans les jours qui ont suivi les attentats de novembre 2015.

S’il a été réel, cet effet déstabilisateur, lié à la surprise des opérations menées, semble s’être rapidement amenuisé, comme l’ont noté les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) également entendus par la commission des Lois le 11 janvier dernier. Votre rapporteur garde ainsi en mémoire cette anecdote rapportée par M. Patrick Mairesse, directeur départemental de la sécurité publique dans l’Isère : « Dès le deuxième jour suivant l’instauration de l’état d’urgence, il est arrivé que nous soyons accueillis d’un : " Enfin ! Je vous attendais "… C’est pour certains une question de standing ! Nous avons d’ailleurs trouvé chez un individu radicalisé un ordinateur dont l’entier contenu avait été vidé… à l’exception, dans l’historique, d’une recherche sur l’état d’urgence ! Et ce dès le dimanche soir ! » (extrait du rapport de la commission, page 262 )

Plus d’un an après, il semble que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence se soient surtout substituées aux procédures antiterroristes, préventives et répressives, déjà existantes. En revanche, les conséquences dramatiques des mesures de l’état d’urgence sur les vies de très nombreuses personnes et notamment d’enfants, ont été très largement dénoncées et documentées par le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Comité des droits de l’homme de l’ONU et de nombreux rapporteurs spéciaux, entre autres.

Un certain nombre de parlementaires expriment leurs doutes, voire leur opposition à un état d’urgence s’installant durablement en France. Pourtant, lorsque les mêmes doivent voter la prorogation de l’état d’urgence, beaucoup votent pour sa reconduction … Ils sont aussi nombreux à s’abstenir d’apparaitre dans l’hémicycle le jour du vote. Peut-on espérer un sursaut en décembre 2016 ?

Lire aussi : pourquoi nous observons les manifestations en France

« L’état d’urgence ne s’en prend qu’aux personnes suspectées de terrorisme »

Les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence visent bien plus largement que les seules personnes soupçonnées de préparer un acte terroriste. Les mesures administratives d’assignation à résidence, perquisitions administratives, fouilles de véhicule etc sont autorisées contre toute personne « pour laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».

C’est ce qui a permis « d’assigner à résidence » des militants écologistes dès novembre 2015, ou d’interdire à de nombreuses personnes de manifester, alors même que la plupart n’ont pas été inculpées ni condamnées par la justice, et sans que leur soit reproché aucun lien avec des actes terroristes. C’est ce qui permet aux préfets d’interdire des manifestations sans autre justification que « les moyens dont la police dispose ».

« À situation d’exception, moyens d’exception : il faut bien donner aux autorités les moyens de travailler, d’enquêter et de prévenir les attaques »

Le cadre légal anti-terroriste français, renforcé par une vingtaine de lois ces trente dernières années, permet de prévenir, d’enquêter, de renseigner, de perquisitionner, d’interpeller, d’arrêter, de sanctionner, de manière préventive, bien avant le passage à l’acte.

L’état d’urgence permet à l’autorité administrative de prendre des mesures restrictives sans le contrôle indépendant du juge. L’état d’urgence supprime donc des garanties fondamentales de tout Etat de droit : le droit à la présomption d’innocence, le droit à une procédure équitable. Ces garanties servent, entre autres, à s’assurer que l’on s’en prend à des personnes à qui l’on a réellement des choses à reprocher ; Elles permettent que les forces de l’ordre focalisent leur travail sur ces personnes.

Lire aussi : la tribune de Camille Blanc, présidente d'Amnesty International France et Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch sur Libération

« Il n’y a que ceux qui ont quelque chose à se reprocher qui ont quelque chose à craindre »

C’est la fonction de la justice, après enquête, d’évaluer si une personne a quelque chose à se reprocher, ou si elle représente un danger. Or les mesures de l’état d’urgence sont prises sans recours au juge, sur la base d’informations essentiellement issues du renseignement : des notes blanches non sourcées, non datées et non traçables.

La défense est donc empêchée car il est difficile, voire impossible, de contester ces éléments de « preuve ». L’état d’urgence permet de cibler des personnes de manière préventive, et ce, sans quasiment avoir à justifier du pourquoi. L’état d’urgence a des conséquences graves sur l’exercice des libertés de personnes, sans que celles-ci soient à même de pouvoir se défendre des intentions qui leur sont reprochées.

« Parler de libertés en ce moment, c’est vraiment une attitude irresponsable. »

Progressivement, de nombreux responsables politiques nous ont habitués à croire que la défense des libertés et de l’Etat de droit serait incompatible avec la recherche légitime de sécurité. C’est tout le contraire. Il ne peut y avoir de sécurité pour tou-te-s sans respect des droits fondamentaux de chacun.

Saper progressivement les garanties offertes par l’Etat de droit (présomption d’innocence, contrôle du juge, accès à une procédure équitable), n’apporte pas plus de sécurité : cela favorise l’arbitraire et les discriminations. Elle en enlève aux personnes et groupes visés arbitrairement, et n’apporte aucune sécurité supplémentaire à la population dans son ensemble.. Affirmer qu’on défend l’état de droit en y renonçant, est-ce responsable? Faire croire que l’arbitraire fait reculer la menace d’attaques, est-ce responsable ?