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Manifestations durant la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux travailleuses et travailleurs du sexe à Paris, 17 décembre 2020. © Christophe Archambault / AFP
8 choses à savoir sur les droits des travailleuses et travailleurs du sexe
Garantir les droits des travailleuses et travailleurs du sexe est indispensable pour lutter efficacement contre les discriminations et les violences systémiques qui les ciblent. Que recouvre le travail du sexe ? Pourquoi nous défendons sa dépénalisation ? Et pourquoi parler de droits humains est-il essentiel quand on évoque leur situation ? À travers huit questions clés, nous vous proposons de mieux comprendre les réalités vécues par les travailleur·euses du sexe, les violations de leurs droits et les conséquences des législations actuelles sur leurs conditions de vie.
1. Que désigne-t-on par travail du sexe ?
Sous les termes « travailleur·euse du sexe » ou « personne vendant des services sexuels », nous désignons des adultes (de 18 ans et plus) qui reçoivent de l'argent ou des biens en échange de services sexuels consentis, sur une base régulière ou ponctuelle. Afin de simplifier la lecture, nous utiliserons parfois l’acronyme « TDS » au sein de cet article pour désigner les « travailleur·euses du sexe ».
Par le terme « travail du sexe », nous entendons l'échange de services sexuels, dont des relations sexuelles, entre adultes consentants contre une rémunération, selon des conditions convenues entre le vendeur et l'acheteur.
Nous reconnaissons que les termes employés pour désigner le travail du sexe et les travailleur·euses du sexe varient en fonction des continents et des préférences personnelles, et que toutes les personnes qui vendent des services sexuels ne se considèrent pas comme des « travailleuses ou travailleurs du sexe ».
En l'absence de consentement, par exemple du fait de l'usage de la menace ou de la force, d'une tromperie, d'un abus de pouvoir ou de l'implication d'un·e mineur·e, ce type d'activité ne constitue en rien un travail du sexe mais une atteinte grave aux droits humains et doit être traité comme une infraction. Les termes « travailleuses et travailleurs du sexe » et « travail du sexe » ne s'appliquent ni aux mineur·es, ni aux victimes de la traite.
2. Quelles sont les violations des droits des travailleur·euses du sexe ?
Les personnes qui exercent le travail du sexe sont confrontées à de nombreuses violations de leurs droits fondamentaux. La violence physique, psychique et sexuelle, les arrestations arbitraires, le chantage et le harcèlement, l’exploitation et les tests VIH involontaires n’en sont que quelques exemples. Les droits sociaux fondamentaux tels que l’accès non discriminatoire aux soins ou au logement sont également souvent refusés aux personnes TDS.
Depuis 2016, nos recherches menées en Argentine, en République dominicaine, à Hong Kong, en Norvège, en Papouasie-Nouvelle-Guinée en Irlande et récemment en France ont révélé que les travailleuses et travailleurs du sexe sont victimes d’attaques violentes, de discriminations et d’injustices. Nos enquêtes montrent que dans la majeure partie des cas, ces violences et atteintes ne sont pas signalées, ne font pas l’objet d’enquêtes sérieuses et restent impunies.
Il [un client] m’a payée et j’étais sur le point de sortir de la voiture quand il m’a saisie par le cou et m’a coupée avec un couteau. Je lui ai donné tout l’argent que j’avais et mon mobile, et il m’a laissée partir
Laura, travailleuse du sexe exerçant en Argentine
En outre, nos enquêtes montrent que les personnes TDS subissent souvent des discriminations croisées liées à leur origine ethnique, leur genre, leur handicap, leur situation socio-économique, leur statut migratoire ou leur usage de drogues, renforçant ainsi la stigmatisation déjà liée à leur activité.
Lire aussi : L’intersectionnalité, c’est quoi ?
3. En quoi la législation française porte atteinte aux droits des travailleur·euses du sexe ?
En France, la vente de services sexuels n'est pas interdite, mais elle est strictement encadrée par la législation :
Le Code pénal (articles 225-5 à 225-12) interdit le proxénétisme sous toutes ses formes, y compris le fait d’aider, de tirer profit ou de loger une personne se livrant à la prostitution.
La loi du 13 avril 2016 a instauré la pénalisation des clients, via l’article L. 611-1 du Code de la sécurité intérieure, qui punit l’achat d’actes sexuels. Le racolage passif, auparavant interdit, a été dépénalisé en 2016.
Cette approche dite « abolitionniste » oriente l’ensemble du cadre légal français. Bien que la vente de services sexuels ne soit pas interdite, les conditions d’exercice sont fortement restreintes par ces législations, ce qui précarise les travailleuses et travailleurs du sexe.
Une législation trop vague qui précarise les personnes TDS
La loi sur le proxénétisme englobe toute forme d’aide, de soutien ou de bénéfice tiré de la prostitution d’une autre personne — même si cette aide est consentie ou non lucrative.
Par exemple, le cadre légal interdit toute forme de collaboration entre personnes exerçant le travail du sexe. Partager un logement ou travailler ensemble pour des raisons de sécurité peut être considéré comme du proxénétisme, un délit sévèrement puni. Il en va de même dans les cas où des travailleur·euses du sexe emploient une personne pour assurer leur sécurité.
De plus, certaines dispositions de la loi peuvent représenter des obstacles au droit au logement : les propriétaires des logements loués par des personnes TDS peuvent être considérés comme des proxénètes. Ainsi certains propriétaires adoptent des pratiques parfois illégales et font payer leur loyer plus cher aux personnes TDS en échange des risques pris au regard de la loi.
4. Pourquoi nous défendons la dépénalisation du travail du sexe ?
Nos nombreuses recherches réalisées dans plusieurs pays tendent à prouver que le fait d’ériger cette activité en infraction réduit la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe et augmente leur vulnérabilité :
En criminalisant l’achat de services sexuels, les travailleur·euses peuvent être poussé·es à exercer dans des conditions clandestines et précaires, les exposant davantage aux violences. Cette situation peut entraîner des prises de risques, comme renoncer à l’utilisation du préservatif pour ne pas perdre de clients.
L’absence de statut légal empêche l’accès à la protection sociale, à l’assurance maladie ou à la retraite. Lorsque le travail du sexe est érigé en infraction, les travailleur·euses sont également exclu·es des protections liées au droit du travail susceptibles de renforcer les contrôles et de faciliter la détection et la prévention de la traite d’êtres humains.
La criminalisation empêche également les personnes TDS de rechercher la protection de la police ou d’accéder à la justice et offre l’impunité aux individus qui les maltraitent.
C’est pourquoi la dépénalisation du travail du sexe est l’une des conditions centrales pour que les travailleur·euses du sexe puissent être mieux protégé·es et faire valoir leurs droits. En dépénalisant l’activité et l’environnement de travail, les personnes souvent marginalisées ont davantage de possibilités de travailler de manière indépendante, de s’organiser et de défendre elles-mêmes leurs droits.
Qu'en est-il de la légalisation ?
Les différentes approches juridiques de la réglementation du travail du sexe n'ont pas les mêmes conséquences sur les droits humains. En effet, la légalisation implique l’introduction de lois et de politiques spécifiquement conçues pour le travail du sexe afin de le réglementer formellement. Si nous n'y sommes pas opposés, les gouvernements doivent cependant veiller à ce que leur système respecte les droits fondamentaux des travailleur·euses du sexe.
En 2022, la Belgique est devenue le premier pays européen à décriminaliser le travail du sexe. Une nouvelle loi a notamment permis aux travailleuses et travailleurs du sexe d'exercer leur activité légalement en tant que travailleur·euses indépendant·es et acquérir des droits sociaux.
Elle autorise en outre ces personnes à signer des contrats de travail avec des établissements agréés, ce qui leur donne accès à l’assurance santé, à des aides en cas de chômage, à des congés payés, à des congés parentaux et à des pensions de retraite.
La loi consacre par ailleurs des droits spécifiques pour les personnes TDS sous contrat et impose des normes strictes aux employeurs. Les travailleur·euses peuvent refuser des clients, cesser leurs services à tout moment et imposer des conditions sur la manière d’effectuer leurs services.
Lire aussi : Lettre ouverte : pour la décriminalisation du travail du sexe en Europe
5. Quels obstacles rencontrent les travailleuses du sexe qui portent plainte pour violences en France ?
Dans notre rapport “Rentrez chez vous, ça va passer. Porter plainte pour violences sexuelles : l'épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France”, nous démontrons que les personnes victimes de violences sexuelles subissent de nombreuses violations de leurs droits lors d’un dépôt de plainte en France.
En plus des violences qu’elles ont subies, les victimes qui portent plainte doivent se confronter à une nouvelle forme de violence : celle exercée par les institutions policières ou judiciaires. C’est ce qu’on appelle la victimisation secondaire ou la double victimisation.
Les personnes TDS se heurtent à des stéréotypes profondément ancrés dans les services de police. Ces dernières présupposent souvent, sur la base de préjugés, que les travailleuses et travailleurs du sexe consentent toujours à des activités sexuelles.
On est encore dans une société qui considère qu’être violée, ça fait partie du métier de travailleuse du sexe, et qu’à partir du moment où il y a de l’argent, c’est comme si on avait implicitement accepté toute forme d’atteinte à nos corps.
Service juridique de l’association Le Strass
Lorsque les travailleuses et travailleurs du sexe cumulent d’autres facteurs de discriminations, comme le fait d’être racisé·es, d’appartenir à la communauté LGBTI+ ou le statut migratoire, les stéréotypes dont elles et ils font l’objet sont d’autant plus prégnants.
Ces préjugés conduisent souvent à la négation de leur expérience de violence, voire à des refus de plainte et affectent les droits de ces personnes à la sécurité, à la justice et à une protection juridique. Les victimes se retrouvent prises dans un système où la violence et la discrimination se superposent et s’alimentent.
Partout ailleurs dans le monde, nos constats sont les mêmes. Au lieu de protéger, la police est à l’origine de nombreuses violences à l’égard des personnes TDS :
Au Brésil, nos recherches font état de cas de viols et autres manœuvres de harcèlement et d’extorsion pratiqués par la police sur des personnes TDS.
Au Nigéria, nos enquêtes ont révélé des cas de torture et usage de la violence par les forces de police ciblant particulièrement les personnes TDS.
En Papouasie-Nouvelle Guinée, les lois pénales sont utilisées par la police pour menacer, soumettre à des actes d’extorsion et détenir arbitrairement les personnes TDS.
A Hong-Kong encore, les personnes TDS transgenres sont souvent victimes de procédés particulièrement abusifs de la part de la police, notamment de fouilles au corps complètes, humiliantes et intrusives, pratiquées par des policiers sur des femmes transgenres.
En Argentine et en Norvège, les travailleuses et travailleurs du sexe ne signalent les violences et viols commis par des clients à la police que dans les cas les plus graves.
Une personne vendant des services sexuels en Norvège explique ainsi : « Lorsqu’un client est méchant, il faut le gérer soi-même jusqu’au bout. On n’appelle la police que si on pense qu’on va mourir. Si vous appelez la police, vous perdez tout. ».
6. La dépénalisation risque-t-elle d’encourager la traite des êtres humains ?
Il convient de distinguer clairement la traite des êtres humains et le travail du sexe. La traite des êtres humains est le processus par lequel des personnes sont placées ou maintenues en situation d'exploitation à des fins économiques. C’est un crime qui est aujourd’hui clairement défini dans le droit international.
La dépénalisation du travail du sexe ne signifie donc pas que les trafiquants ne doivent plus être poursuivis et que la traite des êtres humains ne doit plus être combattue. Depuis longtemps, nous nous opposons fermement à toute forme de traite des êtres humains et nous nous engageons avec véhémence en faveur de normes internationales plus strictes dans ce domaine.
Il n’est pas prouvé qu’une dépénalisation de l’industrie du sexe entraînerait une augmentation de la traite des êtres humains. Au contraire, la traite des êtres humains peut être mieux combattue à l’échelle mondiale lorsque le travail du sexe est décriminalisé.
Le fait de considérer le travail du sexe comme une infraction peut entraver la lutte contre la traite : par exemple, les victimes ou témoins de traite des êtres humains à des fins d'exploitations sexuelles hésiteront à se faire connaître à la police si une partie de leur activité est interdite et criminalisée.
7. La dépénalisation du travail du sexe peut-elle mettre à mal les droits des femmes et les luttes féministes ?
Notre position relative au travail du sexe est entièrement centrée sur la protection des droits des travailleuses et travailleurs du sexe. Elle vise à assurer aux personnes qui choisissent cette activité, de le faire dans des conditions respectueuses de leurs droits.
Notre position se veut inclusive et attentive à la diversité des expériences vécues, en plaçant au cœur de notre démarche la reconnaissance et l’écoute des premières personnes concernées. Nous visons à prendre en compte la pluralité des besoins, sans exclure ni marginaliser.
Nous nous engageons fermement contre les inégalités de genre et contre les normes patriarcales et hétérosexuelles, qui sont à la fois la cause et la conséquence de violations des droits humains. Aujourd’hui, les inégalités de genres peuvent grandement influencer la décision d’une femme d’offrir des services sexuels. Mais la criminalisation ne résout pas ce problème : tout ce qu’elle fait, c’est réduire leur sécurité quotidienne.
Pour protéger les droits des travailleur·euses du sexe, il faut lutter contre les discriminations fondées sur le genre, donner les moyens aux personnes qui exercent le travail du sexe de prendre leur propre vie en main, et veiller à ce que toute personne ait d’autres choix viables pour gagner sa vie. Ces mesures sont inséparables les unes des autres et les États en ont la responsabilité.
8. Que faisons-nous pour les droits des travailleur·euses du sexe ?
Nous recherchons et documentons les violations des droits humains des personnes TDS, rendons visibles leurs expériences et sensibilisons le public aux discriminations et aux différentes formes de violence auxquelles les travailleur·euses du sexe sont confrontées.
Notre position est issue de l’aboutissement de larges consultations menées dans le monde entier, d’études comparant minutieusement les éléments probants aux normes internationales relatives aux droits humains, et de recherches de terrain.
Nous nous employons par ailleurs à soutenir les organisations communautaires de défense des droits des personnes exerçant le travail du sexe. Cela, notamment en garantissant qu’elles soient véritablement associées et consultées lors de l’élaboration des lois et politiques relatives au travail du sexe, y compris pour celles issues de groupes marginalisés.
Nous veillons en outre à ce que les personnes concernées puissent participer de façon anonyme et qu’elles bénéficient de mesures de protection contre la criminalisation, les représailles et tout autre type de préjudice.
Nos recommandations :
Les autorités françaises doivent protéger et respecter les droits des travailleuses et travailleurs du sexe et faire en sorte que les personnes TDS puissent exercer ces droits. Des mesures proactives sont indispensables pour protéger les travailleur·euses du sexe comme des mesures contre l’exploitation, la coercition, la violence, le chantage et contre l’exploitation sexuelle des mineurs et la traite des êtres humains. Ainsi, nous appelons les autorités françaises à :
Les protéger des préjudices, de l’exploitation et de la contrainte
Veiller à ce qu’elles puissent participer à l’élaboration des lois et des politiques qui concernent directement leur vie et leur sécurité
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