Exil forcé, persécutions, lynchages, homicides : au Ghana, les femmes accusées de sorcellerie subissent de graves violations des droits humains. Les autorités ghanéennes doivent agir de toute urgence pour mettre un terme à ces violences et protéger les victimes.
Au Ghana, les chasses aux sorcières continuent de sévir dans les régions du Nord et du Nord-Est du pays. Dans notre dernier rapport intitulé « Marquées à vie : comment les accusations de sorcellerie entraînent des violations des droits humains de centaines de femmes dans le nord du Ghana », nous documentons, dans plus de 50 pages, le quotidien de dizaines de personnes accusées de sorcellerie. Envoyées dans des “camps de sorcières”, elles sont bien souvent contraintes d’y passer le restant de leurs jours, dans des conditions de misère extrême. Les autorités ghanéennes, censées garantir leur protection, ne leur offrent aucun accompagnement officiel ni aide.
Chasse aux sorcières
Être une femme, être âgée, pauvre, ne pas avoir reçu d’éducation, souffrir de problèmes de santé ou d’un handicap… Au Ghana, cela suffit pour faire l’objet d’accusations de sorcellerie. Les violences auxquelles sont confrontées les victimes de ces accusations, pour la plupart des femmes âgées, sont d’une extrême brutalité : menaces, exil forcé, agressions physiques, persécutions. Notre enquête fait état de cas de lynchages et de persécutions pouvant aller jusqu’au décès des victimes.

Ils ont battu ma mère avec des cannes et du fil de fer. Elle ne savait pas pourquoi, elle n’avait jamais fait de mal à personne. Quelques heures après, ils l’ont ramenée. Elle est décédée de ses blessures
Zeinab
Ce rapport est basé sur des travaux de recherche et de terrain menés de juillet 2023 à janvier 2025. Amnesty international a visité quatre camps, au cours de deux voyages effectués dans le pays durant cette période.
Au cours de l’enquête, nos expert.e.s ont recueilli le témoignage de 93 personnes accusées de sorcellerie (dont 82 femmes pour la plupart âgée de 50 à 90 ans), d’une famille dont la femme a été tuée à la suite d’accusations de sorcellerie, ainsi que de quatre personnes responsables des camps où sont envoyées les femmes accusées de sorcellerie.
Nous avons par ailleurs interrogé 12 organisations nationales et internationales travaillant sur le sujet, un professeur d’étude sur le développement ghanéen, et 22 responsables politiques, dont des autorités locales.
Nos recherches s'appuient par ailleurs sur l'examen et l'analyse de documents juridiques nationaux et internationaux, de sites web officiels du gouvernement, de politiques et de plans gouvernementaux, de rapports d'ONG, d'organismes des Nations unies et d'articles de presse.
Décès, rêves, jalousies… : aux origines des accusations
Au fil de notre rapport, nous avons recueilli la parole de ces personnes, en très grande majorité des femmes âgées, soupçonnées de sorcellerie. Leurs témoignages dévoilent que ces accusations émanent très souvent de leur famille ou de leur communauté. Les raisons évoquées sont diverses.
Certaines accusations sont prononcées à la suite de cauchemars d’un membre de la famille ou de la communauté. Ou à la suite d’un événement tragique tel que la maladie ou le décès d’un proche ou de l’entourage. La jalousie et les rancœurs sont également fréquemment évoqués par les victimes.
Les “camps de sorcières” : des refuges de fortune
L’État, qui devrait pourtant les protéger, ne fournit aucun refuge sécurisé aux victimes d’accusations de sorcellerie contraintes de fuir. Bien souvent, elles n’ont aucun endroit où se réfugier. Aucun, à l’exception de camps, qui existent depuis plus d’un siècle, gérés par des prêtres traditionnels. Elles y finissent généralement leurs vies, à moins qu’un membre de leur famille ou une autre communauté les accepte.

Camp de Kukuo, nord du Ghana © Amnesty International

Camp de Gambaga, nord-est du Ghana © Amnesty International
Dans les camps, les conditions de vie sont délétères. L’accès à une alimentation adéquate, à un logement sûr et à l’eau propre est très limité. Compte-tenu des conditions de vie dans les camps, les personnes sont tout particulièrement exposées aux maladies. Or les services de santé sont inadéquats pour les femmes qui ont des problèmes de santé graves ou chroniques. La santé mentale de nombreuses d’entre elles y est extrêmement préoccupante.
Quand je suis arrivée ici, je pensais à me suicider... parce que l’accusation était trop pour moi. C’était tellement douloureux. On disait que j’étais responsable de la mort de mon fils que j’aimais tant
Témoignage d’une femme accusée de sorcellerie auprès d'Amnesty international.
La majorité des camps visités par nos équipes et dans lesquels résidaient plus de 500 personnes, étaient pour la plupart situées dans le nord et nord-est du Ghana. Dans cette région, le manque de ressources économiques observé par rapport au reste du territoire engendre des tensions au sein des communautés. Cette situation accentue le risque pour des personnes déjà marginalisées, en particulier les femmes âgées, d’être accusées de pratiquer la sorcellerie.
La sorcellerie est un système de croyances qui existe au sein de différentes communautés dans le monde, notamment au Ghana. Si la croyance en la sorcellerie est protégée par le droit international, les pratiques néfastes qui en découlent ne le sont pas et les personnes affectées ont besoin de protection et de réparation.
Les accusations de sorcellerie et les abus qui en découlent portent atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à la non-discrimination. Cette pratique profondément enracinée et répandue est à l’origine de souffrances et de violences indicibles.
L’échec des autorités ghanéennes
Alors que le nombre d’agressions ne fait qu’augmenter, ces violences restent impunies dans la plupart des cas. Les victimes le signalent rarement à la police. Quand c’est le cas, les cas signalés ne font pas systématiquement l’objet d’enquêtes. Pour une part, cela s’explique par le fait que les personnes concernées ne connaissent pas leurs droits. D’autres ont tout simplement peur d’aller voir la police.


D’autre part, les témoignages que nous avons recueillis soulignent l’incapacité des autorités à créer un environnement propice aux enquêtes criminelles par la police et aux poursuites judiciaires. Alors qu’il aurait pu permettre de protéger les victimes, un projet de loi criminalisant les attaques relatives aux accusations de sorcellerie discuté et voté au Parlement en 2023 n’a jamais vu le jour.
Mais la criminalisation des accusations de sorcellerie, à elle-seule, ne suffira pas : les croyances en la sorcellerie sont très profondément ancrées au sein de certaines communautés dans le pays. Pour lutter efficacement contre ces pratiques culturelles et sociales discriminatoires à l’égard des femmes et des personnes âgées, un véritable travail de sensibilisation à l’échelle nationale est nécessaire.
Étant donné que les résident·e·s des camps ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins, les autorités ont le devoir de les protéger et de les soutenir. Or, jusqu’à présent, elles échouent à le faire
Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique central
Nos demandes
Les autorités ghanéennes doivent veiller à ce que la police dispose de ressources suffisantes pour réagir lorsque des cas d’accusation de sorcellerie surviennent, et à ce qu’il y ait suffisamment de postes de police à proximité des zones ou ces affaires sont prédominantes.
Les autorités ghanéennes doivent adopter une législation qui criminalise spécifiquement les accusations de sorcellerie et les attaques rituelles et prévoit des mesures de protection pour les victimes potentielles.
Tant que des personnes restent dans des camps, le gouvernement doit garantir l’accès à des moyens de subsistance, à une alimentation correcte, à de l’eau propre et à un logement adéquat pour toutes les personnes affectées, et sans aucune forme de discrimination.
Répondre de manière holistique à cette situation en s’attaquant aux causes profondes de ces abus, notamment à travers des programmes de réintégration sociale et économique, ainsi que la protection et des réparations pour les personnes qui ont subi des abus à la suite d’accusations.
Mettre en place une campagne nationale de sensibilisation sur le long terme dotée de ressources suffisantes pour lutter contre les pratiques culturelles et sociales discriminatoires à l’égard des femmes et des personnes âgées, y compris les accusations de sorcellerie.