Mourir de faim ou risquer d’être abattus en essayant de nourrir sa famille. C’est le choix impossible auquel sont confrontés les Gazaouis avec le nouveau système israélien de distribution d’aide humanitaire. Il est urgent de revenir aux mécanismes de coordination organisés par l’ONU et de lever le blocus.
Gaza a rarement connu de semaines plus meurtrières et plus violentes que depuis le lancement du nouveau système de distribution israélien. Les forces israéliennes et des groupes armés – certains opérant visiblement avec le soutien des autorités israéliennes – ouvrent désormais régulièrement le feu sur des civils désespérés qui risquent tout pour avoir un peu de nourriture, pour simplement survivre. Les victimes sont chaque semaine plus nombreuses.
Un système de distribution mortel
Les autorités israéliennes ont délibérément et systématiquement démantelé un système humanitaire qui s’avérait pourtant fonctionnel pendant la courte période de trêve, de la mi-janvier jusqu’à l’imposition d’un blocus total le 2 mars 2025.
Alors que des acteurs humanitaires expérimentés ont la capacité de fournir une aide vitale à grande échelle, une alternative militaire se limitant à quatre points de distribution et ne répondant pas aux besoins de base a été imposée.
Des Palestiniens en quête d’aide se dirigent vers un site de distribution géré par la Gaza Humanitarian Foundation, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 mai 2025. © Abdullah Abu Al-Khair / apaimages via Reuters
Dans le cadre du nouveau système israélien, des civils affamés et affaiblis sont contraints de marcher pendant des heures, de traverser des zones de guerre, avant de se lancer dans une course violente et chaotique vers des sites de distribution militarisés, clôturés, avec un seul point d’entrée. Là, des milliers de personnes sont relâchées dans des enclos où ils se battent pour une quantité de vivres limitée.
Quotidiennement et sans raison apparente, l’armée israélienne ouvre le feu sur les personnes rassemblées pour recevoir de l’aide humanitaire. Dans une enquête publiée le 27 juin 2025 par le quotidien israélien Haaretz, des soldats expliquent avoir reçu l’ordre de tirer sur les foules se pressant autour des centres de distribution, pour les disperser, même lorsque celles-ci ne représentaient aucune menace.
De facto, les centres de distribution et leurs abords sont devenus le théâtre de tueries répétées, en violation flagrante du droit international humanitaire. Dans plus de la moitié de ces attaques, des enfants ont été blessés. Des orphelins et leurs aidants figurent parmi les morts.
Dans un contexte de faim extrême et de conditions proches de la famine, de nombreuses familles disent être désormais trop faibles pour se battre pour des rations.
Non seulement la communauté internationale a échoué à stopper ce génocide, mais elle a aussi permis à Israël d’inventer constamment de nouveaux moyens de détruire des vies palestiniennes à Gaza et de piétiner leur dignité humaine.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
La Fondation Humanitaire pour Gaza : monopole et opacité
Les autorités israéliennes ont confié le monopole de l’aide humanitaire à une société privée, la Fondation Humanitaire pour Gaza (Gaza Humanitarian Foundation - GHF), adossée à une entreprise de sécurité américaine, la Safe Reach Solutions (SRS).
Les deux sociétés ont été enregistrées à Genève. La fondation affirme être indépendante, mais l’origine exacte des fonds reste opaque.
Ce nouveau dispositif de distribution d’aide alimentaire a été lancé le 27 mai 2025. Selon des informations du New York Times, ce système de distribution a été pensé dès 2023 par des hommes d’affaires et des responsables israéliens. Son but : contourner les agences de l’ONU, et les organisations humanitaires jugées trop critiques envers Israël.
La GHF gère actuellement quatre sites de distribution principalement installés dans le sud de Gaza, à proximité de Rafah, et un au nord, entre Gaza et Nuseirat. Tous sont situés près de bases de l’armée israélienne. Les habitants du nord doivent parcourir jusqu’à 15 km pour accéder à l’aide.
⚠️L’approche de la GHF ne respecte pas les normes et les principes humanitaires fondamentaux, conclut et alerte l’association Sphere, qui fixe les normes minimales pour une aide humanitaire de qualité.
La famine, une arme de guerre
En continuant d’empêcher l’ONU et d’autres organisations humanitaires clés de distribuer certains articles essentiels — comme des colis alimentaires, du carburant et des abris — à l’intérieur de Gaza, et en maintenant un système militarisé d’“aide” déshumanisant et inefficace, les autorités israéliennes alimentent le chaos et aggravent les souffrances au lieu de les soulager. Les premières victimes de ce système mortel sont les enfants.
*Ce chiffre n’inclut pas les cas d’enfants décédés de maladies aggravées par la malnutrition
**Source : OCHA, données du 15 juin 2025
Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est passé de 13,6 décès pour 1 000 naissances en 2022 à 32,7 décès en 2024 (source : ministère de la Santé à Gaza).
Cette année, la situation a recommencé à se détériorer fortement en avril. Depuis, sur les 200 à 250 enfants que nous examinons chaque jour, près de 15 % présentent des signes de malnutrition modérée ou sévère.
Susan Maarouf, experte en nutrition à l’unité nutritionnelle de l’hôpital Patient Friend Benevolent Society à Gaza-Ville

Des enfants attendent pour recevoir des repas chauds distribués par des organisations caritatives, alors que la crise humanitaire s’aggrave dans le camp de réfugiés de Nuseirat, à Deir al-Balah, Gaza. © Moiz Salhi / Anadolu via AFP
La crise du lait
Les nouveaux-nés sont particulièrement vulnérables en raison de la pénurie aiguë de lait infantile.
De nombreuses mères, « parce qu’elles ne mangent pas correctement ou à cause de la panique, du traumatisme et de l’anxiété, ne peuvent pas allaiter » explique Susan Maarouf. « Obtenir du lait infantile est déjà une lutte. Mais si votre enfant a des allergies, il est presque impossible de trouver une formule spéciale dans les hôpitaux de Gaza. L’absence de lait infantile adapté peut être une condamnation à mort. »
Jinan Iskafi, âgée de quatre mois, est décédée le 3 mai 2025 en raison d’une malnutrition sévère. Selon son dossier médical, examiné par nos équipes, Jinan avait été admise à l’hôpital pédiatrique Rantissi pour une déshydratation sévère et des infections récurrentes. Elle a été diagnostiquée avec un marasme — une forme grave de malnutrition protéino-énergétique —, une diarrhée chronique et un cas suspecté d’immunodéficience. Le pédiatre en charge de son traitement explique qu’elle aurait eu besoin d’une formule spéciale sans lactose, indisponible en raison du blocus.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que des centaines de camions d’aide restent bloqués à l’extérieur de la bande de Gaza.
Seule une infime partie de l’aide autorisée par Israël parvient aux personnes dans le besoin. Quand cette aide n’est pas distribuée via le système militarisé géré par la GHF, elle est parfois récupérée par des civils affamés ou, dans certains cas, par des groupes armés organisés.
Cette réalité est aggravée par la destruction délibérée ou l’interdiction d’accès par les forces armées israéliennes aux terres agricoles ou aux sources de production alimentaire comme les serres et les élevages de volailles.
Provoquer délibérément la famine, notamment en privant une population de nourriture, d’eau ou d’aide humanitaire, constitue une violation grave du droit international humanitaire et peut être poursuivi comme crime de guerre devant la justice internationale.
Ce principe est notamment inscrit ou mentionné dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), ou la Résolution 2417 du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’article II(c) de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide considère comme constitutif de crime de génocide le fait de « Soumettre intentionnellement le groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. » Cela fait référence à des méthodes de destruction qui n’entraînent pas la mort immédiate de membres du groupe, mais qui, au bout du compte, peuvent entraîner, au fil du temps, leur destruction physique ou biologique. L’acte est considéré comme acte de génocide s’il est commis dans l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel.
En savoir plus : Qu'est-ce qu'un génocide ?
Nos demandes
➡️ Les États doivent mettre fin à leur inaction et respecter leurs obligations. Ils doivent exercer toutes les pressions nécessaires pour qu’Israël lève immédiatement et sans condition son blocus et mette fin au génocide à Gaza.
➡️ Les États doivent cesser toute forme de contribution qui pourraient les rendre complices des pires crimes. Cela implique la suspension immédiate de tout soutien militaire à Israël, l’interdiction du commerce et des investissements contribuant au génocide ou à d’autres violations graves du droit international.
➡️ Les États devraient également adopter des sanctions ciblées, via des mécanismes internationaux et régionaux, contre les responsables israéliens les plus impliqués dans les crimes internationaux, et coopérer avec la Cour pénale internationale (CPI), notamment en exécutant ses mandats d’arrêt.
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