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©Sebnem Coskun/Anadolu Agency/Getty Images
Tchad
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Tchad en 2024.
Cette année encore, les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été restreints, les autorités ayant interdit plusieurs manifestations sous prétexte de maintenir l’ordre public. Un journaliste a été tué et d’autres ont été menacés. Aucune enquête n’a été ouverte sur la mort d’un dirigeant de l’opposition lors d’une opération lancée par les forces de sécurité au siège de son parti ; 25 de ses proches ont ensuite été détenus, sans pouvoir contacter un·e avocat·e. Les conditions de détention n’étaient toujours pas conformes aux normes internationales relatives aux droits humains. Les violences fondées sur le genre demeuraient courantes.
CONTEXTE
Le 6 mai, Mahamat Déby, alias « Kaka », a été déclaré officiellement vainqueur de l’élection présidentielle, ce qui a mis fin à la période de transition qui avait débuté en avril 2021 après la mort du président Idriss Déby.
Des inondations ont touché plusieurs villes du pays, entraînant la mort de centaines de personnes et le déplacement de milliers d’autres.
Les conflits entre éleveurs et agriculteurs se sont poursuivis, dans un contexte où la pénurie de pâturages dans le nord et la croissance de la population dans le sud n’ont fait qu’accentuer la pression sur les ressources naturelles.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE RÉUNION
Les pouvoirs publics ont interdit à maintes reprises des manifestations, au motif qu’il n’était pas autorisé de protester contre la hausse du coût de la vie. En juin, ils ont interdit une manifestation de jeunes diplômé·e·s dénonçant le fait que la promesse de leur trouver un emploi dans le secteur public n’avait pas été tenue.
L’Union des journalistes du Tchad a publié en mars une déclaration mettant en lumière les menaces grandissantes contre cette profession et a exhorté les autorités à prendre des mesures pour assurer la sécurité des journalistes et de leurs familles. Cette déclaration faisait suite à l’assassinat du journaliste Idriss Yaya, de sa femme et de leur fils de quatre ans, perpétré le 1er mars dans le village de Djondjol, près de Mangalmé. Cet homme, qui travaillait dans une station de radio à Mongo, avait reçu de multiples menaces avant d’être tué, probablement en rapport avec le fait qu’il avait rendu compte de l’escalade des conflits intercommunautaires dans la région. Le 2 mars, neuf personnes ont été arrêtées pour leur implication présumée dans ce triple homicide.
Le 7 août, Badour Oumar Ali, rédacteur en chef du principal site internet d’actualités du Tchad, Tchadinfos.com, a été arrêté par des hommes armés et encagoulés qui l’ont emmené au siège de l’Agence nationale de sécurité. Il a été remis en liberté sans inculpation au bout de 24 heures. Ces faits relevaient d’une tendance plus générale marquée par des manœuvres de harcèlement et d’intimidation contre les médias, et avaient été précédés d’une suspension temporaire du site internet fin juillet.
Reed Brody, un défenseur des droits humains américano-hongrois connu pour son travail en faveur des personnes victimes de la répression sous la présidence d’Hissène Habré, a été arrêté et expulsé du Tchad en septembre. Il a été renvoyé du pays juste avant d’assister à une conférence dont l’objectif était d’appeler l’État à indemniser pleinement les victimes de l’ancien régime, conférence lors de laquelle il devait présenter son livre retraçant la façon dont Hissène Habré a été amené à rendre des comptes devant la justice.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
En février, le dirigeant de l’opposition Yaya Dillo a été abattu lors d’une opération lancée par les forces de sécurité au siège de son parti, le Parti socialiste sans frontières (PSF). Avant cela, ses sympathisant·e·s avaient été accusés d’avoir attaqué l’Agence nationale de sécurité et tenté d’assassiner le président de la Cour suprême. Le Premier ministre du gouvernement de transition, Succès Masra, a annoncé la mise en place d’une commission d’enquête internationale chargée de déterminer les différentes responsabilités dans la mort de Yaya Dillo. Cependant, les investigations n’avaient pas progressé à la fin de l’année.
DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Après la mort de Yaya Dillo (voir ci-dessus), 25 de ses proches, ainsi que des militants du PSF, dont trois âgés de moins de 18 ans, ont été détenus pendant cinq mois sans être déférés à la justice. Incarcérés à la prison de haute sécurité de Koro Toro, à 600 kilomètres de N’Djamena, où ils vivaient jusqu’alors, ils ont été privés de l’assistance d’un avocat et de soins médicaux.
À l’issue des audiences du tribunal mobile qui se sont tenues à la prison du 2 au 4 juillet, 10 de ces personnes ont été relaxées faute de preuves et 14 ont été condamnées à 10 ans d’emprisonnement. Une a été maintenue en détention à N’Djamena, sans inculpation. Le 23 septembre, le secrétaire général du parti a lui aussi été arrêté à N’Djamena. Toutes les personnes détenues, à l’exception du secrétaire général, ont été remises en liberté en novembre et en décembre, sans qu’aucune explication ne soit donnée.
DROITS DES PERSONNES DÉTENUES
En août, Human Rights Watch a publié un rapport mettant en lumière les graves violations des droits humains découlant de la détention des personnes arrêtées pendant les manifestations qui ont eu lieu à N’Djamena en octobre 2022. Des personnes anciennement détenues ont décrit leur trajet éprouvant jusqu’à la prison de Koro Toro, entassées dans des véhicules et privées d’eau, puis les traitements inhumains, notamment les coups et la privation de soins médicaux, subis après leur arrivée en prison.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Selon l’édition 2024 du Rapport sur les inégalités femmes-hommes dans le monde du Forum économique mondial, le Tchad se classait 144e sur 146 pays en matière d’égalité des genres. La Cellule de liaison et d’information des associations féminines a indiqué en juin que les difficultés rencontrées par les femmes dans l’accès aux terres, en particulier en cas de succession, contribuaient à enraciner les inégalités.
Le Fonds des Nations unies pour la population a recensé 1 310 cas de violences fondées sur le genre au Tchad entre janvier et juin, et 794 entre juillet et septembre. Il s’agissait le plus souvent de violences physiques ou psychologiques, mais on comptait aussi un grand nombre de cas de privation de ressources, d’agression sexuelle, de viol et de mariage forcé. Des organisations travaillant sur le terrain ont souligné que ces chiffres étaient probablement en dessous de la réalité car un certain nombre de cas n’étaient pas signalés.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
La hausse du coût de la vie a suscité un mécontentement généralisé. Face à cette situation, les autorités ont pris des mesures pour aider les plus vulnérables. Le 11 mars, soit deux mois avant l’élection présidentielle et alors que débutait le ramadan, l’État a annoncé que l’eau et l’électricité seraient gratuites jusqu’à la fin de l’année, dans la limite de 300 kilowattheures par foyer et par mois. Cette annonce, sur fond de pénurie d’électricité dans de nombreux quartiers, a été complétée par une réduction de 50 % des taxes sur les transports.
En septembre, Action contre la faim a signalé qu’au moins 3,4 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire critique au Tchad. Parmi elles figuraient quelque 620 000 hommes, femmes et enfants réfugiés qui avaient fui le conflit au Soudan. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU a constaté que seuls 50 % de l’objectif de financement fixé à 1,12 milliard de dollars des États-Unis pour l’aide humanitaire avaient été atteints.

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