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© Daniel Hayduk/AFP/Getty Images
Tanzanie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Tanzanie en 2024.
Quatre détracteurs du gouvernement ont été soumis à une disparition forcée et un autre a été tué. La police a empêché des membres de l’opposition de tenir des rassemblements et d’autres réunions politiques en procédant à des arrestations massives et des placements arbitraires en détention et en faisant usage d’une force illégale. Des journalistes et d’autres personnes ont vu leur droit à la liberté d’expression bafoué. Le gouvernement a continué de violer les droits du peuple autochtone masaï, notamment en le soumettant à des expulsions forcées. La justice a suspendu un projet qui aurait privé les Masaïs de leurs droits à la participation et à la représentation politique. Les autorités ont manqué à leur obligation de protéger les personnes LGBTI contre les violences. Le lancement du deuxième Plan national d’action pour mettre un terme à la violence contre les femmes et les enfants a offert une occasion de renforcer la protection de ces catégories de population. Le projet de construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est (EACOP) compromettait les engagements de la Tanzanie en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
CONTEXTE
Pour la première fois depuis près de huit ans, le Parti pour la démocratie et le développement (CHADEMA, principale formation de l’opposition) a tenu un grand rassemblement dans la capitale, Dar es Salaam, le 24 janvier. Des centaines de sympathisant·e·s et de membres y ont participé et réclamé une révision de la Constitution et une réforme électorale. En 2023, la présidente, Samia Suluhu Hassan, avait levé l’interdiction totale des rassemblements politiques imposée en 2016 par son prédécesseur.
La loi no 2 de 2024 sur la Commission électorale nationale indépendante a été promulguée par la cheffe de l’État le 2 avril, de même que trois autres textes ayant trait aux élections adoptés après les appels lancés par des responsables de l’opposition en faveur de réformes électorales et d’un renforcement de l’efficacité et de la transparence des processus électoraux.
DISPARITIONS FORCÉES
On ignorait à la fin de l’année ce qu’il était advenu de quatre détracteurs du gouvernement soumis à une disparition forcée par de présumés agents de l’État. Dioniz Kipanya, cadre du CHADEMA, a « disparu » le 26 juillet après avoir quitté son domicile à la suite d’une conversation téléphonique avec une personne non identifiée. Deusdedith Soka et Jacob Godwin Mlay, jeunes militants du CHADEMA, et Frank Mbise, chauffeur de moto-taxi, ont été enlevés le 18 août par un groupe d’hommes que l’on pensait être des policiers.
HOMICIDES ILLÉGAUX
Le corps d’Ali Mohamed Kibao a été découvert le 8 septembre. Ce haut responsable du CHADEMA avait été enlevé deux jours plus tôt dans un bus circulant entre Dar es Salaam et Tanga par des hommes signalés comme étant des agents de sécurité. L’autopsie a révélé que son corps avait été plongé dans de l’acide et présentait des traces de coups.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Le 11 août, la police a arrêté des membres du CHADEMA, parmi lesquels Tundu Lissu, vice-président du parti et ancien candidat à l’élection présidentielle, John Mnyika, secrétaire général, Joseph Mblinyi, membre du comité central, plus de 500 jeunes sympathisant·e·s et cinq journalistes. Toutes ces personnes ont été interpellées alors qu’elles se trouvaient – ou se rendaient – à un rassemblement organisé au bureau du CHADEMA du district de Nyasa, à Mbeya (sud-ouest du pays), la veille de la Journée internationale de la jeunesse. On leur reprochait d’avoir enfreint l’interdiction d’organiser une conférence de la jeunesse et de projeter la tenue d’une manifestation violente. Le lendemain, la police a interpellé deux dirigeants du parti, Freeman Mbowe et John Pambalu, qui s’étaient rendus à Mbeya à la suite des arrestations. Tous les responsables de la formation ont été remis en liberté sous caution le 13 août, et les autres personnes les jours suivants.
La police a annoncé le 13 septembre l’interdiction de toutes les manifestations organisées par le CHADEMA. Le 23 septembre, elle a arrêté Freeman Mbowe, Tundu Lissu et six autres responsables du parti à Dar es Salaam, alors qu’un rassemblement de protestation contre les homicides et les enlèvements de détracteurs du gouvernement était prévu. Toutes les personnes interpellées ont été libérées sous caution le jour même. Trois journalistes de Mwananchi Communications Ltd et de East Africa TV ont été arrêtés alors qu’ils couvraient les manifestations. Ils ont été remis en liberté sans condition le jour même.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Le 28 septembre, le Conseil national des arts (BASATA, organisme officiel) a interrogé Emmanuel Elibariki. Ce musicien également connu sous le nom de Nay Wa Mitego s’est vu reprocher d’avoir sorti un disque intitulé Nitasema (« Je parlerai ») sans autorisation du BASATA, d’inciter à la violence en évoquant des enlèvements par des agents de l’État, d’induire la population en erreur en affirmant que la présidente ne remplissait pas ses engagements en matière de développement et de porter atteinte à la réputation d’autres pays en déclarant dans sa chanson que la paix n’existait pas au Rwanda et en République démocratique du Congo.
Le 3 octobre, l’Autorité de régulation des communications de Tanzanie (TCRA) a suspendu pour 30 jours les plateformes numériques du groupe Mwananchi, dont The Citizen. Selon la TCRA, ces médias avaient publié des contenus de nature à troubler « l’unité nationale et la paix sociale ». Il s’agissait d’une vidéo illustrant l’amertume des proches de personnes victimes d’un homicide ou d’une disparition.
Le 6 octobre, le vice-ministre des Ressources minières a mis en garde les ONG internationales qui chercheraient à « s’introduire subrepticement » en Tanzanie pour interroger des personnes sur des questions de droits humains. Il réagissait à une déclaration du HCDH sur un rapport de Human Rights Watch indiquant que six personnes avaient été tuées par la police entre février et juin lors d’affrontements à la mine de Mara-Nord. Cette remarque a été faite lors d’une réunion avec le président-directeur général de la compagnie minière Barrick.
Le 9 octobre, la TCRA a intenté une action en justice contre Jambo Online TV au motif que celle-ci aurait enfreint la réglementation sur les communications en diffusant des propos de Tundu Lissu et du journaliste Erick Kabendera selon lesquels des responsables gouvernementaux, aidés par l’opérateur de téléphonie mobile Tigo Tanzania, avaient été impliqués dans un complot visant à assassiner Tundu Lissu en 2017.
EXPULSIONS FORCÉES
Huit membres du peuple autochtone Masaï ont poursuivi leur bataille juridique contre leur expulsion forcée, en juin 2022, de 1 500 km² de terres (sur un total de 4 000 km²) de la division de Loliondo (district de Ngorongoro). Ajournée en août car l’avocat du gouvernement ne s’était pas présenté à l’audience, l’affaire devait être examinée par la Haute Cour en octobre. Les huit Masaïs contestaient le décret gouvernemental no 604 de 2022 pris par la présidente, qui plaçait leur village dans la zone de chasse contrôlée de Pololeti, une mesure destinée à justifier les expulsions forcées.
Pendant ce temps, dans la division de Ngorongoro (elle aussi dans le district homonyme), l’Administration de la réserve de Ngorongoro (NCAA) a continué d’enfreindre une injonction de la Haute Cour de 2023 lui ordonnant d’autoriser les Masaïs à accéder à une zone faisant l’objet d’un litige dans l’Aire de conservation du Ngorongoro tant qu’il n’aurait pas été statué définitivement sur l’affaire. Les autorités ont notamment saisi du bétail appartenant aux Masaïs qui errait dans l’aire de conservation. Les Masaïs ont accusé la NCAA de recourir à des lois inapplicables dans la zone concernée et de procéder à ces saisies pour les contraindre à s’installer ailleurs. La confiscation par les autorités des bêtes des Masaïs empêchait ces derniers d’exercer leurs droits de participer pleinement à la vie économique, sociale, politique et culturelle.
Ngotieti Kokoyo, un habitant du village d’Endulen (district de Ngorongoro), a saisi la Haute Cour en mai pour contester la confiscation illégale de ses bêtes par les autorités. La NCAA les lui a restituées contre le paiement d’une amende. Les animaux avaient été saisis après avoir franchi la barrière Eyasi/Endamaga, alors que les pâtures dans l’Aire de conservation du Ngorongoro étaient autorisées par le règlement de celle-ci et par l’injonction rendue en 2023 par la Haute Cour (voir ci-dessus).
En juillet, le gouvernement a confisqué plus de 130 bêtes appartenant à une famille masaï d’Endulen.
DISCRIMINATION
Peuples autochtones
Une décision du gouvernement de supprimer plusieurs territoires administratifs, notamment dans le district de Ngorongoro, a été annulée en septembre après avoir été suspendue par la Haute Cour. La mise en œuvre de ce projet aurait privé plus de 100 000 Masaïs de participation et de représentation politiques lors des élections de novembre 2024 et d’octobre 2025.
Personnes LGBTI
Les violences, les discriminations et la répression à l’égard des personnes LGBTI se sont poursuivies. Une femme et militante transgenre, Mauzinde (également connue sous le nom de Hussein Abdala), a été retrouvée le 7 juin dans une forêt de Zanzibar. Elle avait les oreilles sectionnées et présentait des traces de coups. Le HCDH a indiqué qu’elle avait été torturée et agressée sexuellement par 12 hommes et a appelé de ses vœux une action résolue pour combattre la discrimination à l’égard des personnes LGBTI et des autres minorités.
L’Open Observatory of Network Interference (OONI, Observatoire libre des perturbations du réseau) a signalé que les sites LGBTI faisaient souvent l’objet de mesures de blocage, dans un contexte d’augmentation de la discrimination et de la répression contre les personnes LGBTI.
Personnes atteintes d’albinisme
Le 24 avril, le Comité des droits des personnes handicapées [ONU] a déploré le manque de volonté du gouvernement de donner suite à trois communications adressées au Comité concernant la mutilation de personnes atteintes d’albinisme et le fait que les responsables de tels actes ne soient pas amenés à rendre de comptes.
Femmes et filles
La Tanzanie a lancé en mai son deuxième Plan national d’action pour mettre un terme à la violence contre les femmes et les enfants (2024/2025-2028/2029), qui offrait au gouvernement l’occasion de se réengager en faveur de ces catégories de population.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Un recours déposé par quatre ONG d’Afrique de l’Est concernant la construction par EACOP Ltd d’un oléoduc souterrain de 1 443 kilomètres de long a été examiné en février par la Cour de justice d’Afrique de l’Est (EACJ). L’EACJ avait considéré en première instance que l’affaire portée par les ONG était irrecevable.
EACOP Ltd, financée par le « géant du carbone » français Total Énergies, a conclu un bail foncier avec la Société tanzanienne de développement pétrolier à l’issue d’un processus d’acquisition de terres et d’indemnisation des populations locales concernées. L’oléoduc, qui risquait de provoquer de graves dégradations de l’environnement, visait à transporter du pétrole de l’Ouganda jusqu’au port de Tanga, en Tanzanie, pour le vendre sur les marchés internationaux (voir Ouganda). Sa construction a entraîné des déplacements de population. Le projet d’oléoduc était contraire aux engagements pris par la Tanzanie dans le cadre de sa CDN et de sa stratégie à long terme de développement à faible émission, qui était en cours d’élaboration.