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© Daniel Hayduk/AFP/Getty Images

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Tanzanie : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu'il faut savoir sur les droits humains en Tanzanie en 2022.

Le gouvernement a maintenu l’interdiction totale, instaurée par l’ancien président en 2016, des rassemblements et autres activités organisés par des partis politiques. L’État a continué de s’en prendre aux médias en ligne au moyen de réglementations répressives, malgré ses promesses de réforme de la législation relative aux médias. Dans la division de Loliondo (nord de la région d’Arusha), les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive et intimidé des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes lors de l’expulsion forcée de membres du peuple autochtone masaï. L’engagement de lever l’interdiction discriminatoire pour les filles enceintes et les jeunes mères d’aller à l’école n’a pas été mis en œuvre. Le projet de construction de l’Oléoduc d’Afrique de l’Est s’est poursuivi malgré les menaces qu’il pourrait faire peser sur l’environnement et sur les moyens de subsistance et la santé des populations locales. Les personnes et les organisations à qui le système judiciaire national n’avait pas rendu justice ne pouvaient toujours pas saisir directement la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

CONTEXTE

Au cours de la première année de son mandat, la cheffe de l’État, Samia Suluhu Hassan, s’est rendue à 21 reprises, au moins, à l’étranger, y compris dans des pays de la région, afin d’améliorer les relations internationales du pays et de mobiliser des fonds pour le développement. Elle a ainsi marqué une véritable rupture avec son prédécesseur, John Magufuli, qui décourageait les voyages à l’étranger et isolait la Tanzanie de ses voisins et de la communauté internationale.

En mars, la Tanzanie a participé à l’EPU et a accepté 187 des 252 recommandations formulées par 92 États, dont la mise en œuvre du cadre national de protection des droits humains. Elle a pris note des recommandations lui demandant de cesser d’intimider et de harceler les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s, les acteurs et actrices de la société civile et les journalistes.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Le 10 février, les autorités ont de nouveau octroyé des licences aux journaux Tanzania Daima, Mawio, Mwanahalisi et Mseto, qui avaient été interdits de publication entre 2016 et 2017, ainsi qu’au journal Raia Mwema, suspendu pendant trois mois en 2017 et pendant un mois en 2021.

Malgré cette mesure positive et les engagements pris les années précédentes de réformer la législation concernant les médias, les autorités ont continué d’utiliser la Loi de 2016 relative aux services de l’information, particulièrement répressive, pour restreindre la liberté des médias. Elles se sont aussi appuyées sur la législation relative au cyberespace, notamment la Réglementation de 2020 sur les communications postales et électroniques (contenus en ligne), pour réprimer l’expression en ligne.

Le 1er juillet, l’Autorité de régulation des communications de Tanzanie (TCRA) a temporairement suspendu le média en ligne DarMpya, à la suite de ce qu’elle a qualifié de « plaintes » contre du contenu publié par ce site. Le contenu en question portait sur des manifestations de Masaïs contre le rôle du Kenya dans le projet du gouvernement visant à les expulser de leurs terres. Cependant, le 14 juillet, la TCRA a abandonné les charges liées à cette publication et annoncé qu’elle autoriserait ce média à reprendre ses activités dès qu’il aurait renouvelé son autorisation de publication, qui avait expiré. À la fin de l’année, elle n’avait toujours pas répondu aux demandes de renouvellement de cette autorisation déposées par DarMpya.

Le 9 septembre, la TCRA a infligé à ZamaMpya TV Online une amende de deux millions de shillings tanzaniens (environ 855 dollars des États-Unis) pour avoir publié le point de vue de Seleman Msindi, musicien célèbre, qui avait critiqué la réglementation fiscale et la façon dont les responsables gouvernementaux dépensaient les produits des impôts.

Le pasteur Julius Kuyioni, journaliste kenyan, a été arrêté le 7 juillet alors qu’il se rendait dans la division de Loliondo. Il a été inculpé d’entrée illégale sur le territoire. Son arrestation a coïncidé avec les tentatives des autorités d’empêcher les journalistes de couvrir les manifestations de Masaïs dans cette division (voir Expulsions forcées). La police l’a libéré le 5 août et l’a escorté jusqu’à Namanga, ville située à la frontière avec le Kenya.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Freeman Mbowe, dirigeant du Parti pour la démocratie et le développement (CHADEMA), a été remis en liberté le 4 mars après plus de sept mois de détention. La chambre chargée des faits de corruption et des crimes économiques de la Haute Cour de justice a ordonné la libération de cette figure de l’opposition et celle de trois de ses coaccusés, Halfan Bwire Hassan, Adam Hassan Kasekwa et Mohammed Abdillahi Ling’wenya, après l’abandon par le ministère public des charges de terrorisme retenues contre eux. Freeman Mbowe avait été arrêté en 2021 dans la ville de Mwanza, avant un rassemblement public organisé pour réclamer des réformes constitutionnelles.

Les autorités ont continué de bafouer le droit à la liberté d’association en interdisant aux partis politiques d’organiser des rassemblements et d’autres activités jusqu’à la tenue des élections de 2025. Cette interdiction, instaurée par l’ancien président en 2016, a été utilisée par la police, parallèlement aux lois sur les rassemblements publics, pour empêcher les rassemblements de l’opposition.

EXPULSIONS FORCÉES

Le 7 juin, les forces de sécurité de plusieurs organismes d’État, dont les Forces populaires de défense de Tanzanie, la police tanzanienne et l’Administration de la réserve du Ngorongoro, sont arrivées dans la division de Loliondo (région d’Arusha) pour mettre en œuvre le projet d’expulsion des Masaïs. Les autorités n’avaient pas mené de véritables consultations auprès de ce peuple et ne l’avaient pas prévenu suffisamment à l’avance ni indemnisé correctement avant de lancer leur projet de saisie, à des fins touristiques, de 1 500 km2 de terres ancestrales appartenant à plus de 70 000 Masaïs.

Le 9 juin, des Masaïs des villages d’Ololosokwan, d’Oloirien, de Kirtalo et d’Arash, dans la division de Loliondo, en bordure du parc national du Serengeti, se sont rassemblés pour protester contre les opérations de démarcation. Ils ont enlevé les balises posées par les forces de sécurité pour marquer les limites du territoire revendiqué par les Masaïs. Les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène et des armes à feu contre les manifestant·e·s. Un policier a été tué par une flèche et au moins 32 Masaïs ont été blessés par balle.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi les expulsions forcées, les forces de l’ordre ont aussi saisi du bétail, dont des centaines de vaches et de moutons appartenant aux Masaïs. Il leur aurait été demandé de payer entre 25 000 et 100 000 shillings tanzaniens (11 à 43 dollars des États-Unis) en échange de la restitution de leurs bêtes.

Saisie en 2017 par des Masaïs qui affirmaient être légalement enregistrés comme propriétaires de terres dont ils avaient été violemment expulsés de force par l’État en août 2017, la Cour de justice d’Afrique de l’Est (EACJ) a rendu son arrêt le 30 septembre. Elle a jugé que les plaignant·e·s n’avaient pas apporté suffisamment d’éléments prouvant que l’État les avait expulsés de terres appartenant à leur village, et non au parc national du Serengeti. Des Masaïs et des ONG ont eu le sentiment que cette décision de la Cour avait renforcé le recours par l’État à la violence et aux expulsions forcées.

DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS

Le 16 juin, les autorités ont arrêté et inculpé 20 membres de la communauté masaï de la division de Loliondo pour le meurtre d’un policier tué pendant des expulsions forcées violentes (voir Expulsions forcées). Neuf d’entre eux étaient des chefs de la communauté qui avaient été arrêtés la veille de la mort du policier. Le 22 juin, le ministère public a modifié l’acte d’accusation, y ajoutant cinq autres personnes et une nouvelle charge de « collusion en vue de commettre un meurtre ».

Plus tard, deux autres personnes ont été rajoutées dans l’acte d’accusation. Le 28 juillet, trois des 27 détenu·e·s ont été libérés par le parquet pour raisons humanitaires. Les autres sont restés incarcérés dans la prison de Kisongo, à Arusha, jusqu’au 22 novembre, date à laquelle ils ont tous été remis en liberté après avoir été relaxés sans condition par le tribunal de première instance d’Arusha.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Les autorités ont continué d’interdire aux filles enceintes ou mères de fréquenter les écoles du système scolaire ordinaire, alors que le gouvernement avait annoncé en 2021 la levée de cette interdiction. Toutefois, quelque 3 333 filles enceintes ou ayant des enfants ont pu poursuivre leur scolarité par le biais de programmes d’enseignement informels comme l’Institut pour l’éducation des adultes et le Programme d’amélioration de la qualité de l’enseignement secondaire.

Les autorités appliquaient cette interdiction depuis 2017 en vertu de la Loi de 2002 réglementant l’éducation, qui prévoyait l’exclusion des élèves « ayant commis une atteinte à la moralité ». La Banque mondiale a estimé que près de 8 000 filles avaient ainsi chaque année été forcées d’abandonner leurs études. La levée de l’interdiction n’était donc toujours pas appliquée.

DÉGRADATIONS DE L’ENVIRONNEMENT

La Tanzanie a continué de participer au projet de construction de l’Oléoduc d’Afrique de l’Est (EACOP). Long de 1 443 kilomètres, cet oléoduc devait permettre d’acheminer du pétrole brut des gisements pétroliers du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, jusqu’au port de Tanga, dans le nord de la Tanzanie, à des fins d’exportation.

Les actionnaires de l’EACOP, à savoir TotalEnergies, la Compagnie nationale pétrolière de l’Ouganda (UNOC), la Société tanzanienne de développement pétrolier (TPDC) et la Société nationale chinoise du pétrole offshore (CNOOC), ont annoncé le 1er février la décision finale d’investissement et le lancement du projet d’oléoduc. Ce projet représentait un investissement total de quelque 23 400 milliards de shillings tanzaniens (environ 10 milliards de dollars des États-Unis) (voir Ouganda).

Les gouvernements ougandais et tanzanien ont défendu ce projet, affirmant qu’il était nécessaire pour le développement des deux pays, malgré de multiples contestations de la part de groupes de la société civile et militant·e·s nationaux et internationaux de la justice climatique selon qui l’oléoduc serait dangereux pour l’environnement et porterait atteinte aux moyens de subsistance, à la sécurité alimentaire et à la santé des populations concernées, notamment des peuples autochtones.

Les opposant·e·s au projet ont également fait valoir que celui-ci aurait des répercussions disproportionnées sur les femmes et entraînerait des déplacements de population, car il passerait par des zones d’habitat humain, des réserves naturelles, des terres agricoles, des sources d’eau et des nappes phréatiques.

En 2017, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a réalisé une analyse préliminaire des menaces environnementales et socioéconomiques qui pourraient découler du projet. Il a conclu que celui-ci constituerait « une menace importante voire critique pour […] l’environnement et, par la suite, pour les habitant·e·s de la région ». Des groupes de la société civile kenyans, ougandais et tanzaniens ont saisi la EACJ pour demander une ordonnance provisoire en vue d’empêcher la construction de l’oléoduc, mais l’affaire était en instance depuis deux ans.

DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS

Le gouvernement n’a pas donné suite à son engagement de revenir sur sa décision de 2019 de retirer sa déclaration au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En conséquence, les ONG et les particuliers à qui le système judiciaire national n’avait pas rendu justice ne pouvaient pas saisir directement la Cour.

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