Chacun de vos dons rend possible nos enquêtes sur le terrain dans plus de 150 pays

© Press Association/Peter Leonard/AP
Tadjikistan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Tadjikistan en 2024.
Les autorités ont continué de réprimer toutes les formes de dissidence : des militant·e·s, des personnes critiquant le gouvernement et des journalistes indépendants, y compris en exil, ont cette année encore fait l’objet de manœuvres d’intimidation et de poursuites à caractère politique. Les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique ont été réprimés. La discrimination contre les femmes et la minorité pamirie persistait, et la violence domestique demeurait généralisée. La torture et les autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante. La majorité des enfants étaient touchés par la pauvreté alimentaire. Les châtiments corporels sur les enfants ont été expressément interdits. La circulation routière, la combustion de charbon et les travaux de construction provoquaient une forte pollution atmosphérique.
CONTEXTE
Les difficultés économiques se sont accentuées et ont été aggravées par la campagne des autorités russes visant à réduire le nombre de travailleuses et travailleurs migrants tadjiks, qui représentaient une importante source de transferts de fonds.
Après les tensions frontalières des années précédentes avec le Kirghizistan, les relations bilatérales entre les deux pays se sont visiblement améliorées, ce qui a permis des négociations fructueuses et un accord sur la démarcation de la frontière.
Le recueil d’informations sur la situation des droits humains, notamment par les organisations internationales, restait extrêmement difficile.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET PROCÈS INÉQUITABLES
Des informations ont cette année encore fait état d’arrestations et de procès tenus à huis clos, notamment sur la base d’accusations de terrorisme et d’extrémisme motivées par des considérations politiques visant des membres du mouvement d’opposition arbitrairement interdit Groupe 24. Bilol Kourbonaliev, qui avait été expulsé d’Allemagne en 2023, s’est vu infliger en février une peine de 10 ans d’emprisonnement pour son appartenance présumée au Groupe 24. Soulaïmon Jobirov a été renvoyé de force dans le pays par la Russie en avril, et on a appris en août qu’il avait été déclaré coupable d’accusations similaires et condamné à six ans d’emprisonnement.
En juin et en juillet, plusieurs hauts responsables politiques et anciens fonctionnaires ont été arrêtés pour complot présumé en vue de « prendre le pouvoir par la violence ». Parmi eux figuraient Saïdjafar Ousmonzoda, ancien dirigeant du Parti démocratique du Tadjikistan (une formation progouvernementale), Khamrokhon Zarifi, ancien ministre des Affaires étrangères, Akbarcho Iskandarov, ancien président du Parlement, Akhmadchokh Komilzoda, journaliste et homme politique, et Chokirjon Khakimov, homme politique. À la fin de l’année, les autorités n’avaient fourni aucune preuve de complot et encore moins d’une quelconque implication de ces personnes dans un tel complot.
En janvier, dans son rapport sur sa visite effectuée en 2022, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains a appelé les autorités à garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire et à protéger les avocat·e·s contre les représailles et le harcèlement.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Dans son rapport du mois de janvier, la rapporteuse spéciale sur les défenseurs et défenseuses des droits humains a appelé les autorités à abandonner les accusations et les poursuites pénales dont faisaient l’objet des personnes n’ayant fait qu’exercer leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Cependant, des militant·e·s civils et politiques, des avocats, des personnes ayant critiqué le gouvernement et des journalistes indépendants, y compris en exil, ainsi que leurs proches, ont cette année encore été la cible de manœuvres d’intimidation et de poursuites infondées.
En janvier, un tribunal a condamné Chakhboz Charifbek à cinq ans de prison parce qu’il avait publié en ligne une vidéo dans laquelle il se plaignait des militaires qui avaient enrôlé son frère et frappé des membres de sa famille.
En août, les autorités ont arrêté Akhmad Ibrohim, rédacteur en chef de Paik, l’accusant d’avoir proposé un pot-de-vin à un fonctionnaire pour que son magazine ne soit pas fermé. Le Comité pour la protection des journalistes, organisation de défense des médias, a demandé sa libération et l’abandon des charges retenues contre lui.
Les autorités ont poursuivi leurs représailles contre les personnes en exil qui les critiquaient, dont des militant·e·s de l’opposition, en s’en prenant à leurs familles. En février, les autorités ont convoqué la mère de la journaliste pamirie en exil Anora Sarkorova pour lui annoncer que sa fille et son gendre Roustam Joni, également journaliste, faisaient l’objet d’une enquête pour des infractions liées à l’extrémisme, mais qu’ils avaient la possibilité d’être amnistiés à condition de revenir dans le pays et de demander pardon.
En mars, l’Alliance nationale du Tadjikistan, formation d’opposition en exil, a signalé que les autorités avaient fait pression sur des familles afin qu’elles demandent à leurs proches exilés de ne pas participer à des manifestations à l’étranger.
En juin, une nouvelle loi a interdit de porter et de promouvoir les tenues vestimentaires « étrangères à la culture nationale », sans plus de précisions. Cette loi interdisait également la célébration de l’Idgardak, une fête traditionnelle pour les enfants que les autorités jugeaient non conforme à l’islam.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
En février, un groupe de rapporteurs et rapporteuses spéciaux des Nations unies a adressé aux autorités une communication exprimant leur inquiétude au sujet de la dissolution de 700 ONG dans le pays ces dernières années. Le gouvernement n’a pas rendu publique sa réponse et a continué de fermer des ONG.
DISCRIMINATION
Les persécutions et la discrimination systémique exercées contre la minorité pamirie se sont poursuivies dans un contexte de répression et de déclin économique et démographique dans la région autonome du Haut-Badakhchan, où vivait cette minorité.
En février, au moins 222 Pamiris avaient été condamnés dans des procès inéquitables et tenus à huis clos en lien avec la dispersion violente de manifestations dans cette région en 2021.
En mars, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a appelé le Tadjikistan à libérer immédiatement les défenseurs pamiris des droits humains Faromouz Irgachev, Manoutchehr Kholiknazarov et Khoursand Mamadchoïev, considérant qu’ils étaient détenus de façon arbitraire.
DROITS DES FEMMES
La liste officielle des professions interdites aux femmes a été réduite en janvier, leur nombre passant de 334 à 194, prétendument en raison de l’« amélioration des conditions de travail ». En février, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a appelé une nouvelle fois les autorités à supprimer totalement cette liste.
Un rapport publié conjointement par l’ONG International Partnership for Human Rights et trois ONG tadjikes en mars a posé le constat que la violence domestique restait endémique et qu’elle était de plus en plus tolérée par la société.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et d’autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante, sur fond d’impunité généralisée.
Dans son rapport annuel publié en juin, le commissaire aux droits humains du Tadjikistan a mis l’accent sur la surpopulation carcérale persistante, indiquant notamment que l’obligation, inscrite dans la législation nationale, de garantir un espace de quatre mètres carrés par détenu·e n’était pas respectée, et soulignant la forte prévalence du VIH et de la tuberculose.
Il restait rare que des détenu·e·s portent officiellement plainte en cas de torture, et ce en raison du manque de confiance dans le système et des représailles couramment constatées.
En août, la police a affirmé que Damir Obidov s’était suicidé, deux jours après son arrestation sur la base d’accusations de houliganisme. Sa famille n’a pas pu le voir pendant sa détention, et elle n’a pas été autorisée à examiner son corps lors des funérailles organisées par les autorités. Une enquête a été ouverte mais aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.
L’état de santé de Manoutchehr Kholiqnazarov, défenseur des droits humains pamiri emprisonné à tort qui purgeait une peine de 16 ans de réclusion, se serait fortement dégradé. Cependant, les autorités n’ont pas tenu compte des appels internationaux demandant qu’il soit libéré et qu’il reçoive des soins médicaux appropriés.
DROITS DES ENFANTS
La nouvelle loi sur l’éducation des enfants, promulguée en juin, interdisait expressément les châtiments corporels.
Selon un rapport de l’UNICEF publié le même mois, 78 % des enfants tadjiks se trouvaient en situation de pauvreté alimentaire entre 2016 et 2022 (34 % en situation de pauvreté alimentaire sévère), et la situation s’était très peu améliorée depuis 2012. Des apports nutritionnels insuffisants étaient susceptibles de nuire au développement des enfants et de mettre leur vie en danger.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
En mai, le Tadjikistan a signé la Déclaration des Nations unies sur les enfants, les jeunes et l’action climatique. Les autorités n’ont cependant pas encouragé la participation du grand public à la réflexion sur les questions climatiques et les autres problèmes environnementaux. Les politiques climatiques ne répondaient donc pas nécessairement aux besoins des pans les plus vulnérables de la population. Le manque de participation publique a également entravé les efforts déployés par le Tadjikistan pour s’adapter au changement climatique.
Selon la plateforme IQAir sur la qualité de l’air, la pollution atmosphérique due à la circulation routière, à la combustion de charbon et aux travaux de construction à Douchanbé, la capitale du pays, a régulièrement et dangereusement dépassé le seuil de sécurité recommandé par l’OMS.