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© Mohamed Abdiwahab/AFP/Getty Images
Somalie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Somalie en 2024.
Cette année encore, ce sont les civil·e·s qui ont payé le plus lourd tribut au conflit qui dévastait le pays. Toutes les parties aux hostilités ont continué à commettre de graves violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Des inondations, des pluies imprévisibles, des maladies et la persistance du conflit ont causé des déplacements de grande ampleur à l’intérieur du pays et une terrible crise humanitaire, qui s’est manifestée notamment par une insécurité alimentaire aiguë. Les personnes déplacées étaient en butte à des atteintes aux droits humains ; les femmes et les filles étaient particulièrement exposées aux violences fondées sur le genre et aux violences sexuelles liées au conflit. Le droit à la liberté d’expression était fortement restreint et deux journalistes ont été tués. Le Parlement a adopté une loi interdisant la discrimination à l’égard des personnes en situation de handicap. Au Somaliland, les autorités ont limité le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse avant l’élection présidentielle, qui avait été reportée.
CONTEXTE
Les tensions avec l’Éthiopie se sont intensifiées à la suite de la conclusion, en janvier, d’un protocole d’accord entre ce pays et le Somaliland, en vertu duquel le Somaliland a, semble-t-il, loué des terres à l’Éthiopie sur la côte pour qu’elle y implante des installations navales en échange de la reconnaissance de son statut d’État par celle-ci. La Somalie, qui considérait le Somaliland comme une partie de son territoire, a accusé l’Éthiopie d’empiéter sur sa souveraineté.
En mars, le président, Hassan Sheikh Mohamud, a promulgué des modifications apportées à la Constitution provisoire.
La poursuite du retrait des troupes de la Mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS) a suscité des inquiétudes quant à la protection des civil·e·s. Le 1er août, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a adopté une stratégie relative à la Mission d’appui et de stabilisation de l’UA en Somalie, destinée à remplacer l’ATMIS. Le Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé ce remplacement le 27 décembre.
La Somalie a été élue en juin membre non permanent du Conseil de sécurité, pour un mandat de deux ans qui devait débuter en janvier 2025.
À la suite des élections de novembre, Abdirahman Mohamed Abdullahi a remplacé Muse Bihi Abdi aux fonctions de président du Somaliland.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
La population civile était toujours la plus durement touchée par le conflit armé qui continuait d’opposer le gouvernement somalien, soutenu par ses alliés internationaux, et le groupe armé Al Shabab. Bien qu’un grand nombre de victimes civiles ait été signalé, personne n’a été amené à rendre de comptes pour les violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains qui ont été commises.
La Mission d’assistance des Nations unies en Somalie a recensé 854 victimes civiles (295 tuées et 559 blessées) entre janvier et septembre. Al Shabab était responsable de 65 % (560) de ces victimes, les autres étant imputées aux forces de sécurité nationales, aux milices claniques et aux forces internationales et régionales.
Le 18 mars, deux frappes de drones de fabrication turque, lancées en appui aux opérations de l’armée somalienne, ont tué 14 enfants, cinq femmes et quatre hommes – tous civils – et blessé 11 enfants, deux femmes et quatre hommes à la ferme de Jaffey, près du village de Bagdad (région du Bas-Shabelle). Ils appartenaient tous au clan marginalisé Gorgaarte. L’analyse de photographies des restes de munitions a révélé que les frappes avaient été menées au moyen de bombes guidées MAM-L, larguées par des drones TB2. Ni la Somalie ni la Turquie n’ont enquêté sur ces faits, et les civil·e·s concernés n’ont pas pu connaître la vérité, obtenir justice, ni recevoir de réparations.
Le 14 mars, Al Shabab a attaqué l’hôtel SYL à Mogadiscio, la capitale, au moyen de deux engins explosifs improvisés installés dans des véhicules. Quatre personnes ont été tuées et 20 autres blessées.
Le 2 août, une autre attaque complexe revendiquée par Al Shabab, incluant un attentat-suicide, a tué plus de 30 personnes sur la plage du Lido, à Mogadiscio. Près de 250 civil·e·s ont été blessés, dont deux membres du personnel national des Nations unies.
DROIT À L'ALIMENTATION
Des inondations, des pluies imprévisibles, des maladies et la persistance du conflit ont provoqué une terrible crise humanitaire. Selon le Plan de réponse aux besoins humanitaires 2024 pour la Somalie lancé par les Nations unies, 6,9 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire. L’insécurité alimentaire aiguë persistait : d’après une analyse du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, au moins 4 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire à un niveau de crise ou d’urgence, et on estimait que 1,6 million d’enfants âgés de six à 59 mois souffraient de malnutrition aiguë. Les Nations unies ont classé la Somalie parmi les pays les moins avancés. Cette année encore, Al Shabab a restreint l’accès à l’aide humanitaire dans les zones sous son contrôle, aggravant toujours plus la crise.
DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES
Les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient toujours en butte à de nombreuses atteintes aux droits humains. Le pays comptait plus de 552 000 personnes déplacées du fait des inondations, de la sécheresse, du conflit ou de l’insécurité alimentaire. Les Nations unies ont recensé sur l’ensemble du territoire près de 200 000 personnes expulsées de force au cours de l’année. La plupart avaient déjà été déplacées auparavant. Les femmes et les enfants, qui risquaient d’être victimes de violences fondées sur le genre, d’exploitation sexuelle et d’expulsions, représentaient plus de 80 % des personnes déplacées.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Les violences fondées sur le genre, notamment les violences sexuelles commises contre des femmes et des filles dans le cadre du conflit, se sont poursuivies. Entre janvier et septembre, les Nations unies ont recensé 13 cas de violences sexuelles perpétrées contre 32 femmes et filles dans le contexte du conflit. Dans une de ces affaires, deux membres de l’armée nationale somalienne servant au sein de la police militaire auraient violé, le 26 février, deux sœurs âgées de 15 et 16 ans. Deux autres cas étaient liés à des mariages forcés présumés dans l’État du Jubaland, l’un orchestré par un membre d’Al Shabab et l’autre par un militaire. Sur les 32 victimes, 16 étaient des femmes déplacées.
Le Parlement fédéral n’avait toujours pas adopté les projets de lois relatives aux infractions sexuelles et aux mutilations génitales féminines.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les autorités ont restreint le droit à la liberté d’expression, et en particulier la liberté de la presse. Deux journalistes ont été tués, dont l’un, Amun Abdullahi Mohamed, par des hommes armés qui avaient, semble-t-il, des liens avec Al Shabab. D’autres journalistes ont été attaqués par les forces de sécurité et ont subi des menaces, des actes de harcèlement, des manœuvres d’intimidation, des coups, des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires.
Des organisations de défense des médias et de la liberté de la presse se sont opposées à la nomination de neuf personnes au Conseil national des médias, nouvellement créé, au motif que le processus de sélection et la composition de cet organe n’étaient pas conformes à la Loi de 2020 sur les médias, et que le Conseil n’était pas indépendant des pouvoirs publics. La nomination de ses membres, sur proposition du ministère de l’Information, a été approuvée par le cabinet fédéral le 14 mars. La création de ce Conseil, dont l’une des missions consistait à contrôler la conformité des médias avec la loi, était attendue depuis 2016.
Le 22 juillet, des policiers ont arrêté AliNur Salad, fondateur et directeur général de l’entreprise privée Dawan Media. Il a été détenu une nuit au poste de police du district de Waberi, à Mogadiscio, avant d’être transféré à la prison centrale de la ville. Son arrestation était en rapport avec des publications sur les réseaux sociaux dans lesquelles il avait insinué que les forces de sécurité étaient à la merci des attaques d’Al Shabab parce que leurs membres se droguaient au khat. Le 23 juillet, AliNur Salad a été inculpé, en l’absence d’avocat·e, par le tribunal régional de Benadir. Il a obtenu sa libération sous caution le 27 juillet, mais faisait l’objet de plusieurs chefs d’inculpation aux termes du Code pénal (« atteinte à l’honneur ou au prestige du chef de l’État », « commission d’actes obscènes », « diffusion de publications et de spectacles obscènes », « outrage » et « diffamation »), ainsi que de restrictions portant sur son droit de circuler librement et son droit de communiquer avec les médias.
DROITS DES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
Le 31 juillet, le Parlement fédéral a adopté une loi interdisant la discrimination à l’encontre des personnes en situation de handicap dans toutes les sphères de la vie publique ou privée et éliminant les obstacles qui empêchaient le plein exercice de leurs droits et leur inclusion dans la société.
SOMALILAND
Liberté d’expression
Cette année encore, les autorités du Somaliland ont restreint la liberté d’expression, en particulier pendant la période précédant l’élection présidentielle, qui avait été retardée. Elles ont arrêté et poursuivi des journalistes, des personnalités politiques ainsi que des détracteurs et détractrices du régime.
Le 6 janvier, des agent·e·s du renseignement du Somaliland ont fait irruption dans les locaux de MM Somali TV à Hargeisa, la capitale du Somaliland, interrompant un débat en direct sur le protocole d’accord controversé entre l’Éthiopie et le Somaliland (voir Contexte). Ils ont arrêté Mohamed Abdi Sheikh (alias « Ilig »), président de MM Somali TV, Ilyas Abdinasir, technicien, et Mohamed Abdi Abdullahi, journaliste. Ils ont aussi saisi du matériel, dont des ordinateurs, des caméras et des appareils de diffusion en direct. Mohamed Abdi Abdullahi et Ilyas Abdinasir ont été libérés sans inculpation le 9 janvier, mais Mohamed Abdi Sheikh a été maintenu en détention jusqu’au 20 février, date à laquelle le tribunal régional de Maroodi Jeex, siégeant à Hargeisa, a ordonné sa remise en liberté.
Le 2 septembre, la police du Somaliland a arrêté Mohamed Abiib, député de l’opposition connu pour son franc-parler, et l’a placé en détention à la prison de Mandera. Avant cette arrestation, le procureur général du Somaliland avait demandé à la Chambre des représentant·e·s du Somaliland de lever l’immunité parlementaire de Mohamed Abiib, requête que le Parlement a rejetée. Le procureur général accusait le député d’avoir rencontré des représentant·e·s de la Somalie et de Djibouti et d’avoir critiqué la participation du Somaliland au conflit de Las Anod, une ville de la région de Sool (Somaliland), en 2023. Mohamed Abiib a été remis en liberté le 29 septembre, en application d’une décision de la Cour suprême et constitutionnelle du Somaliland, qui a jugé sa détention illégale.

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