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© Mohamed Abdiwahab/AFP/Getty Images

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Somalie

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Somalie en 2023.

Le conflit entre le gouvernement et le groupe armé Al Shabab s’est poursuivi et toutes les parties ont commis des violations graves du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, en toute impunité. Insécurité, sécheresse, inondations et insécurité alimentaire ont provoqué une grave crise humanitaire et contraint plus de 2,9 millions de personnes à quitter leur foyer. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient en butte à des violations des droits humains ; les femmes et les filles étaient particulièrement exposées à la violence fondée sur le genre et aux violences sexuelles liées aux conflits. Le droit à la liberté d’expression a fait l’objet de restrictions et des journalistes ont été la cible d’agressions et de coups, ainsi que d’arrestations et de poursuites arbitraires. Un nouveau conflit a éclaté au Somaliland, dans la ville de Las Anod (région de Sool), causant des pertes civiles, la destruction de biens de caractère civil et des déplacements massifs de population. Les autorités du Somaliland ont elles aussi restreint le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique.

CONTEXTE

Le gouvernement a annoncé en février son intention d’engager une opération militaire globale contre Al Shabab et a lancé une initiative au niveau des États de la « ligne de front », impliquant des militaires djiboutiens, éthiopiens et kenyans.

Les élections des conseils de district qui se sont tenues en mai au Puntland ont pour la première fois eu lieu selon le principe d’« une personne, une voix ».

La Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) a achevé la première phase du plan de transfert à l’armée et aux forces de police somaliennes des responsabilités en matière de sécurité, et a mis en œuvre le retrait de 2 000 soldat·e·s en juin, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la protection des civil·e·s. Après une suspension du processus faisant suite à une demande du gouvernement sollicitant une pause de trois mois, le retrait des troupes de l’ATMIS a repris avec le départ de 3 000 de ses membres en décembre.

Les tensions politiques se sont intensifiées au Somaliland en raison des élections prévues en 2024 et du nouveau conflit dans la région de Sool.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

La population civile était toujours très durement touchée par le conflit persistant entre le gouvernement et ses alliés internationaux d’une part, et le groupe armé Al Shabab d’autre part. De très nombreuses pertes civiles ont été signalées tout au long de l’année. Personne n’a été amené à rendre de comptes pour les violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains.

En mars, le président a annoncé le déclenchement de la deuxième phase de l’offensive contre Al Shabab, baptisée « opération Lion noir », dont l’objectif était de libérer tous les territoires du pays encore contrôlés par le groupe armé.

Al Shabab a multiplié les attaques ciblées contre les forces gouvernementales et leurs alliés et mené également des attaques aveugles contre la population civile. Les Nations unies ont recensé 945 victimes civiles (342 tuées et 603 blessées) entre février et octobre. Al Shabab était responsable de 312 de ces victimes, les autres étant imputées aux forces de sécurité, aux milices claniques ou aux forces internationales et régionales.

L’explosion d’un camion piégé le 23 septembre à Beledweyne, dans le centre du pays, a fait 18 morts et 40 blessés.

Sept personnes au moins ont été tuées le 29 septembre à Mogadiscio lors d’un attentat-suicide à la bombe perpétré dans un établissement de thé appelé Bar Bulsho, situé à proximité du palais présidentiel. Cet attentat a été revendiqué par Al Shabab.

DROIT À L’ALIMENTATION

La sécheresse, les inondations et les répercussions de la guerre en Ukraine sur les importations de denrées alimentaires étaient à l’origine d’une grave crise humanitaire. Selon les Nations unies, près de 8,25 millions de personnes, soit pratiquement la moitié de la population, avaient besoin de recevoir immédiatement une aide humanitaire vitale et une protection. Le secteur agricole, à l’origine de jusqu’à 90 % des exportations de la Somalie, était dévasté par la sécheresse, qui a accru les déplacements de population et les pertes de moyens de subsistance. Un tiers du cheptel du pays a été perdu dans les zones les plus touchées. On estimait que cinq millions de personnes étaient en situation de crise alimentaire ou pire : 96 000 étaient par exemple en situation de famine catastrophique. Selon les estimations, 1,8 million d’enfants, parmi lesquels des nourrissons, souffraient de malnutrition aigüe, dont 478 000 de malnutrition aigüe sévère. Or, Al Shabab restreignait l’accès à l’aide humanitaire dans les zones sous son contrôle, aggravant encore la crise.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

Les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient toujours en butte à de nombreuses atteintes aux droits humains. Le pays comptait plus de 2,9 millions de personnes déplacées du fait des inondations, de la sécheresse, du conflit ou de l’insécurité alimentaire. Selon des chiffres des Nations unies, plus de 105 000 personnes dans tout le pays, qui pour la plupart étaient déjà déplacées, ont été expulsées de force durant l’année.

La plupart des personnes déplacées étaient des personnes âgées, des enfants et des femmes, dont des femmes enceintes ou allaitantes. Le manque d’abris satisfaisants et d’intimité dans les camps surpeuplés de personnes déplacées exposait les femmes et les enfants à un risque accru de violations telles que les violences liées au genre, notamment le viol et d’autres agressions physiques.

VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE

Les violences fondées sur le genre, notamment les violences sexuelles commises contre des femmes et des filles dans le cadre du conflit, se sont poursuivies. Les Nations unies ont recensé quatre affaires de violences sexuelles liées au conflit entre février et juin, concernant au total neuf femmes, dont une femme enceinte en situation de handicap et quatre jeunes filles. Cinq des victimes étaient des personnes déplacées du fait de la sécheresse.

En raison de la sécheresse persistante, les personnes déplacées étaient encore plus exposées aux violences liées au genre. En effet, les femmes et les filles risquaient davantage de subir des violences et sévices sexuels quand elles parcouraient de longues distances pour aller chercher de l’eau pour leur famille.

En août, l’experte indépendante des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Somalie a indiqué que les violences sexuelles et les violences fondées sur le genre étaient très répandues, prenant notamment la forme de viols, viols en réunion, mutilations génitales féminines et violences domestiques.

Le Parlement fédéral n’avait toujours pas adopté les projets de lois relatives aux infractions sexuelles et aux mutilations génitales féminines.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse étaient soumis à des restrictions. Des journalistes ont été attaqués par les forces de sécurité et ont subi des menaces, des actes de harcèlement, des intimidations, des coups ainsi que des arrestations et des poursuites arbitraires.

Le 13 février, le tribunal régional de Benadir, siégeant à Mogadiscio, a condamné à deux mois d’emprisonnement le journaliste Abdalle Ahmed Mumin, secrétaire général du Syndicat des journalistes somaliens (SJS), qui a été déclaré coupable d’avoir « désobéi aux ordres des autorités » (article 505 du Code pénal). Il a été conduit à la prison centrale de Mogadiscio, mais les responsables de l’établissement ont refusé de l’incarcérer au motif qu’il avait déjà purgé plus de deux mois d’emprisonnement depuis son arrestation, en octobre 2022. Abdalle Ahmed Mumin a été de nouveau arrêté le 23 février alors qu’il assistait à une réunion publique organisée par une commission sénatoriale. Il a été placé en détention à la prison centrale de Mogadiscio, où il est resté jusqu’à sa remise en liberté le 26 mars. Le tribunal a levé le lendemain l’interdiction de sortir du pays dont il faisait l’objet.

Le président a promulgué en mars la Loi sur l’Agence nationale du renseignement et de la sécurité (NISA). Ce texte contenait des dispositions excessivement générales, notamment l’interdiction faite à quiconque de diffuser des informations sur les activités de renseignement et les agent·e·s de la NISA. De telles dispositions risquaient d’être utilisées pour engager des poursuites pénales contre des journalistes, des membres de l’opposition politique et des défenseur·e·s et militant·e·s des droits humains publiant des informations sur les atteintes aux droits humains perpétrées par les pouvoirs publics.

Les pouvoirs de surveillance de masse accordés à l’agence, notamment la possibilité de surveiller les communications, y compris les communications postales et sur Internet, pouvaient aussi entraîner des violations des droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée.

Le 16 avril, la police de Mogadiscio a arrêté arbitrairement quatre journalistes qui étaient en reportage dans le quartier d’Hamar Jajab, où une bombe venait d’exploser. Deux d’entre eux, Mohamed Said Nur et Qasim Ibrahim Adan, travaillaient pour le groupe de médias Risaala, et les deux autres, Mohamud Abdirashid Sofeysane et Isaq Rashid, pour 5TV. Les quatre hommes ont été remis en liberté sans inculpation le jour même.

Le 17 août, des agents des forces de sécurité en civil ont arrêté Mohamed Ibrahim Osman Bulbul, journaliste à Kaab TV et secrétaire à l’information et aux droits humains du SJS. Son arrestation est intervenue le lendemain de la diffusion d’un sujet qu’il avait tourné sur le détournement présumé de fonds de l’UE destinés à former la police somalienne. Le journaliste a comparu le 19 août devant le tribunal régional de Benadir, qui a fait droit à la requête de la police de le maintenir en détention pendant sept jours dans l’attente d’un complément d’enquête. Pendant sa détention, des agents du Département des enquêtes criminelles ont saisi ses téléphones et examiné leur contenu afin d’accéder aux sources de son reportage. Le 25 septembre, il a été inculpé de plusieurs infractions pénales, notamment d’outrage à l’État et de diffusion d’informations fausses et tendancieuses. Il a été transféré à la prison centrale de Mogadiscio le 28 septembre, mais le tribunal a prononcé un non-lieu et ordonné sa remise en liberté le 11 octobre.

Le directeur de la chaîne de télévision Somali Cable TV, Abdifatah Moalim Nur, a été tué le 16 octobre dans un attentat-suicide perpétré par Al Shabab au restaurant Blue Sky de Mogadiscio. Quatre autres personnes au moins ont été blessées dans cet attentat.

SOMALILAND

LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE

L’assassinat le 26 décembre 2022, à Las Anod (région de Sool), d’Abdifatah Abdullahi Abdi, responsable politique du clan Dulbahante, a déclenché des manifestations de grande ampleur. Les forces de sécurité du Somaliland sont intervenues en faisant un usage excessif de la force. La Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM) a indiqué que 12 personnes avaient été tuées et 59 autres blessées lors des manifestations tenues fin décembre 2022 et début janvier 2023. Face à la colère persistante et aux nombreuses protestations soulevées par ces homicides, les autorités du Somaliland ont retiré les forces de sécurité de Las Anod au début du mois de janvier, ce qui a ouvert la voie à l’arrivée dans la ville de personnalités de premier plan du clan Dulbahante, dont ses chefs. Ceux-ci ont tenu des consultations entre le 28 janvier et le 5 février et publié une déclaration rejetant l’appartenance au Somaliland des régions de Sool et de Sanag.

ATTAQUES MENÉES SANS DISCERNEMENT

À la suite de la déclaration publiée par les chefs du clan Dulbahante, des affrontements ont éclaté le 6 février entre les forces de sécurité du Somaliland et des combattants armés alliés au clan, et ont dégénéré en un conflit armé non international.

Les forces de sécurité du Somaliland ont procédé à des bombardements aveugles sur Las Anod, tuant et blessant des civil·e·s, y compris des femmes, des enfants, des personnes âgées ayant des problèmes de santé et des membres du personnel médical. La plupart des victimes ont trouvé la mort lors d’attaques aveugles menées au moyen de roquettes, d’obus de mortier et d’autres armes explosives à large rayon d’impact. La MANUSOM a indiqué que 36 civil·e·s avaient été tués et 270 autres blessés.

Le 6 février, une fillette de sept ans, Rayan Abdullahi Ahmed, a été tuée par des munitions alors qu’elle se trouvait dans la maison de sa tante, située dans le quartier de Samalay, dans le sud de Las Anod. Le même jour, Amina Jama Ibrahim a perdu elle aussi la vie après avoir été touchée par des munitions à l’intérieur de sa maison du quartier Ex-Control, dans l’est de Las Anod. Le 11 février, un infirmier bénévole auprès du Croissant-Rouge somalien, Abdisalam Saed Muse, a été tué par une balle perdue à l’hôpital de Gargaar. Le 21 février, Saynab Yusuf Dheeg a été mortellement touchée par des munitions alors qu’elle était assise avec quatre autres femmes près de sa maison.

VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Les forces du Somaliland ont mené des attaques terrestres aveugles qui ont endommagé ou détruit des infrastructures civiles.

L’hôpital général de Las Anod a été touché à plusieurs reprises entre février et août. Selon Médecins sans frontières, l’établissement a subi pendant les combats du 28 février une frappe qui a partiellement endommagé sa structure et mis à l’arrêt les activités du service pédiatrique et de la banque de sang. Des centaines d’autres bâtiments civils, dont deux mosquées et trois écoles, ont eux aussi été endommagés.

Les attaques aveugles et les combats ont contraint entre 154 000 et 203 000 personnes à quitter leur foyer pour aller se réfugier dans les villes et villages avoisinants ou bien en Éthiopie. La plupart des personnes déplacées ont mis à profit une pause dans les hostilités à la fin du mois d’août pour prendre le chemin du retour.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les autorités du Somaliland ont continué de restreindre le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse en soumettant les journalistes et les personnes qui exprimaient des critiques à l’égard des autorités à des arrestations, des détentions et des poursuites arbitraires.

Elles ont en particulier imposé des restrictions au travail d’information sur le conflit à Las Anod. Le 30 janvier, le ministère de l’Information a publié une directive mettant en garde contre « la diffusion de nouvelles, d’informations et d’opinions susceptibles d’entretenir la situation à Las Anod ».

Le 15 mai, les autorités ont arrêté arbitrairement la journaliste Busharo Ali Mohamed (également connue sous le nom de Busharo Baanday) dans la ville de Wajaale, à la frontière avec l’Éthiopie, et l’ont placée en détention. Cette femme a été transférée à Hargeisa, où elle est restée détenue pendant trois mois. Le 16 juillet, elle a été inculpée de plusieurs infractions prévues par le Code pénal somalien, notamment de diffusion d’informations fausses et tendancieuses et de non-respect de la loi. Le tribunal régional de Maroodi Jeex, siégeant à Hargeisa, l’a déclarée coupable et condamnée à un an d’emprisonnement, mais elle a été remise en liberté le 15 août après s’être acquittée d’une amende de 123 788 shillings somaliens (environ 217 dollars des États-Unis).

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