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BOUREIMA HAMA/AFP/Getty Images
Niger
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Niger en 2024.
Des dizaines de responsables politiques, dont le président destitué Mohamed Bazoum, ont été détenus arbitrairement. Les droits à l’information et à la liberté d’expression ont été fréquemment bafoués. Des groupes armés et les forces régulières ont continué de se livrer à des atrocités contre la population civile. Cette année encore, des femmes et des filles ont été victimes de la pratique de la wahaya et de mariages précoces. Des personnes migrantes, dont une fillette de trois ans, sont mortes d’épuisement après avoir été expulsées de force d’Algérie. Les autorités ont pris des mesures pour améliorer l’exercice du droit à la santé, mais n’ont pas mené d’actions préventives pour faire face aux graves inondations imputables aux conditions climatiques.
CONTEXTE
Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, arrivé au pouvoir par un coup d’État en juillet 2023, a dissous tous les conseils municipaux et régionaux élus et les a remplacés par des administrateurs militaires. Les sanctions de la CEDEAO à l’encontre du Niger, notamment la fermeture des frontières, ainsi que les sanctions économiques et financières, ont été levées en février. Un mois plus tôt, le Niger avait annoncé son intention de quitter la CEDEAO dans une déclaration conjointe avec le Mali et le Burkina Faso.
Deux groupes rebelles sont apparus en 2024, le Front patriotique pour la justice et le Front patriotique de libération, qui ont lancé des attaques visant des infrastructures pétrolières.
Les troupes des États-Unis et de l’Allemagne qui étaient stationnées au Niger depuis une décennie ont quitté le pays.
DÉTENTION ARBITRAIRE
Plusieurs personnes ayant critiqué les autorités ont été détenues arbitrairement.
Un ancien ministre de l’Énergie, Ibrahim Yacouba, a été arrêté à l’aéroport à son retour au Niger en janvier. Il a été accusé de « complot contre l’autorité de l’État » et placé en détention à la prison de Ouallam. Un tribunal a ordonné sa remise en liberté à titre provisoire en juillet, mais les autorités nigériennes n’avaient toujours pas appliqué cette décision à la fin de l’année.
En avril, les autorités nigériennes ont lancé la procédure visant à lever l’immunité du président destitué Mohamed Bazoum, alors détenu, afin de le poursuivre pour « haute trahison », comme annoncé en août 2023. Mohamed Bazoum n’a pas été autorisé à entrer en contact avec ses avocat·e·s ni à accéder à des informations sur les charges retenues contre lui. En juin, la Cour d’État du Niger a levé son immunité. L’épouse de Mohamed Bazoum était elle aussi toujours détenue arbitrairement au palais présidentiel à la fin de l’année.
En avril, une juridiction supérieure de Niamey, la capitale, a statué que la détention d’Abdourahmane Ben Hameye et de Mohamed Mbarek – deux agents des forces de sécurité appartenant à la famille de l’ancien président – et de 25 autres personnes, dont des civils, accusées de conspiration en vue de faire libérer Mohamed Bazoum et sa famille, était illégale et a ordonné leur remise en liberté. Deux jours après ce jugement, les personnes concernées ont toutes été déférées à la justice et inculpées de « complot ayant pour but de porter atteinte à la sûreté de l’État ou à l’autorité de l’État ». Les civils ont bénéficié d’une remise en liberté provisoire.
Le 13 avril, Ousmane Toudou, journaliste et ancien conseiller en communication auprès de la présidence, a été arrêté par la gendarmerie. Il a été inculpé en mai de « complot contre la sécurité de l’État » et placé en détention provisoire à la prison de Kollo. Cet homme avait dénoncé le coup d’État de juillet 2023 sur les réseaux sociaux quelques jours après la prise du pouvoir par l’armée.
Le 26 avril, les forces de sécurité ont arrêté Ali Marounfa, un militant de la société civile plus connu sous le nom d’« Ali Tera », à la suite d’une interview qu’il avait accordée aux services de la BBC en langue haoussa. Lors de cet entretien, il avait déclaré que la situation en matière de sécurité dans la région de Tillabéri se dégradait.
L’homme politique Intinicar Alassane a été arrêté en juin et inculpé de « distribution de données de nature à troubler l’ordre public ou portant atteinte à la dignité humaine » après avoir mené un entretien filmé avec des victimes d’une attaque armée dans la région de Tillabéri, dénonçant la résurgence des violences à l’encontre des civil·e·s. Il a été condamné le 9 juillet à un an d’emprisonnement et une amende de 5 millions de francs CFA (8 300 dollars des États-Unis).
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Le 29 janvier, le ministre de l’Intérieur a suspendu les activités de la Maison de la presse, une organisation indépendante regroupant plusieurs associations du secteur des médias, et créé un comité de direction ad hoc placé sous la houlette du secrétaire général du ministère de l’Intérieur.
Le 24 avril, les forces de sécurité ont arrêté Soumana Maïga, directeur de publication de L’Enquêteur, après que ce quotidien eut évoqué un article paru dans un journal français au sujet de l’installation présumée de dispositifs électroniques d’écoute par des agents russes sur des bâtiments officiels. Il a été accusé d’« atteinte à la défense nationale » et remis en liberté le 9 juillet, dans l’attente de son procès.
Le 12 juin, les autorités nigériennes ont révisé les modifications apportées en 2022 à la Loi portant répression de la cybercriminalité (2019) et ont réinstitué des peines d’emprisonnement pour les infractions de diffamation et de « dissémination, production et mise à disposition de données de nature à troubler l’ordre public ou porter atteinte à la dignité humaine via un système d’information », réduisant à néant les progrès accomplis auparavant dans le domaine de la liberté d’expression.
En août, les pouvoirs publics ont créé un fichier national des personnes et groupes associés à des actes terroristes ou à des menaces visant la défense nationale. Les personnes figurant dans ce fichier risquaient d’être déchues de leur nationalité. À la fin de l’année, au moins 21 Nigérien·ne·s avaient été inscrits sur ce fichier et déchus temporairement de leur citoyenneté.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Groupes armés
Le 10 janvier, des membres présumés de l’État islamique au Sahel (EIS) ont attaqué le village de Tongo Tongo, dans la région de Tillabéri, et tué six civil·e·s accusés de collaborer avec l’armée nigérienne. Quelques semaines plus tard, le même groupe aurait pris pour cible le village de Motogatta, dans la même région, faisant 22 morts parmi les habitant·e·s.
Le 15 juillet, des membres présumés de l’EIS ont attaqué le village de Kourégou, toujours dans la région de Tillabéri, tuant sept civil·e·s et détruisant des magasins et d’autres biens privés, selon des sources humanitaires. Deux jours plus tard, une faction de Boko Haram a enlevé 10 civil·e·s, dont six femmes, dans le village de Tourban Guida (région de Diffa) et les a emmenés au Nigeria.
Forces armées
À la suite d’une attaque perpétrée par un groupe armé, l’armée nigérienne a lancé en janvier une frappe de drone sur le village de Tiawa, dans la région de Tillabéri, tuant une cinquantaine de civil·e·s.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Cette année encore, des femmes et des filles ont subi des pratiques coutumières, lois et normes sociales préjudiciables, bien que la Cour de cassation ait rendu une décision en 2019 qualifiant d’illégale la wahaya. Cette pratique, qui consistait à marier de force des filles issues de groupes victimes de discrimination en tant que « cinquième épouse », persistait en milieu rural. Les mariages de filles âgées de moins de 18 ans étaient courants – l’âge légal étant fixé à 15 ans pour les filles, contre 18 ans pour les garçons.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
L’Algérie a continué d’expulser à un rythme effréné des migrant·e·s vers le désert situé dans le nord du Niger. Selon Alarme Phone Sahara, plus de 20 000 personnes ont ainsi été renvoyées par l’Algérie à Assamaka, une ville située dans la région d’Agadez (Niger), entre janvier et août.
Entre le 9 et le 13 mai, cinq hommes sont morts sur la route allant du « point zéro » (à la frontière avec l’Algérie) jusqu’au village d’Assamaka, distant de 15 kilomètres. Trois autres personnes, dont une fillette de trois ans, sont mortes, d’épuisement semble-t-il, au centre de santé d’Assamaka.
DROIT À LA SANTÉ
En août, l’État a annoncé une réduction de 50 % des frais à la charge des patient·e·s pour les soins médicaux, analyses de laboratoire, examens d’imagerie et interventions médicales ou chirurgicales. Les frais d’accouchement et de dialyse ont été supprimés dans les hôpitaux publics.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le Niger a connu des précipitations exceptionnelles et des inondations, qui ont fait au moins 339 morts, selon les données officielles. En octobre, 1 176 528 personnes, soit 158 399 foyers, avaient été touchées par de graves inondations, d’après les pouvoirs publics. Cependant, aucun plan de lutte contre les inondations n’était en place et les chantiers de construction se sont poursuivis le long du fleuve Niger, la zone la plus sujette aux inondations.