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© Inti Ocon/AFP/Getty Images
Nicaragua
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Nicaragua en 2024.
Cette année encore, des dissident·e·s et d’autres personnes ont été expulsés, déchus de leur nationalité et arrêtés arbitrairement. Les victimes se retrouvaient dès lors dans une situation de grande vulnérabilité et exposées à des violations de leurs droits. Les autorités ont appliqué aux médias des restrictions strictes qui menaçaient la liberté d’expression. Des journalistes risquaient d’être tués ou soumis à une disparition forcée. Des populations autochtones étaient toujours en butte à des déplacements, des disparitions forcées et des attaques commises par des groupes armés progouvernementaux.
CONTEXTE
La répression qui a débuté pendant les manifestations de 2018 s’est poursuivie, notamment avec le démantèlement d’organisations de la société civile et l’ouverture de poursuites pénales contre les activités dissidentes. Plus de 5 000 organisations ont été fermées depuis 2018, selon des données datant de septembre 2024, parmi lesquelles des organisations religieuses de diverses confessions.
En 2024, le Groupe d’experts des droits de l’homme des Nations unies sur le Nicaragua a publié quatre rapports thématiques attirant l’attention sur les violations des droits humains et atteintes à ces droits commises contre des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine, des membres de l’Église catholique et d’autres Églises chrétiennes, des communautés rurales et aussi contre des étudiant·e·s, des enseignant·e·s, des gestionnaires d’universités et d’autres membres du personnel universitaire. Malgré les divers appels lancés par la communauté internationale au gouvernement pour qu’il mène des enquêtes sur les violations des droits humains et rende des comptes, l’impunité a prévalu.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
La situation en matière de logement est demeurée critique dans les régions touchées par les ouragans, et les promesses du gouvernement concernant la reconstruction n’ont pas été tenues. Le système de santé était politisé, et les membres de l’opposition comme les prisonnières et prisonniers politiques en subissaient les conséquences de manière disproportionnée. Les services de santé maternelle et juvénile demeuraient insuffisants. La fermeture de 34 universités a perturbé le cursus de 37 000 étudiant·e·s et nombre de celles et ceux qui fuyaient le pays se sont vu refuser l’accès à leur dossier universitaire.
DÉCHÉANCE ARBITRAIRE DE LA NATIONALITÉ
Seize représentants de l’Église catholique ont été expulsés et déchus de leur nationalité en janvier, dont Rolando Álvarez, qui était emprisonné depuis plus d’un an. En septembre, les autorités ont expulsé vers le Guatemala 135 autres personnes incarcérées pour des raisons politiques, certaines depuis plus de deux ans. Depuis le début des expulsions en 2023, plus de 400 personnes ont été privées de leurs biens, soumises à des restrictions de leurs droits et libertés, et confrontées à de graves difficultés pour s’intégrer dans leur pays d’accueil.
Le Groupe d’experts des droits de l’homme des Nations unies sur le Nicaragua a indiqué que l’expulsion sans procédure régulière de ressortissant·e·s nicaraguayens et de résident·e·s étrangers avait non seulement privé les premiers de leur nationalité, mais avait rendu toutes les personnes concernées très vulnérables. Elle avait aussi renforcé le climat de peur pour d’autres personnes qui pouvaient être perçues comme s’opposant au gouvernement.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Le Mécanisme de reconnaissance des prisonniers et prisonnières politiques au Nicaragua a réuni des informations sur les cas d’au moins 151 personnes détenues pour des motifs politiques en 2024. À la fin de l’année, 45 d’entre elles étaient toujours incarcérées.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a accordé des mesures conservatoires à un grand nombre de personnes détenues pour des raisons politiques. Elle a ordonné au Nicaragua de faire le nécessaire pour protéger efficacement leur vie, leur intégrité, leur santé et leur liberté personnelle, et pour leur assurer un accès immédiat à une alimentation adéquate et à l’eau potable. De nombreux cas de violence, de torture et d’autres mauvais traitements dans les prisons ont été signalés, y compris des sévices physiques et psychologiques infligés par les autorités pénitentiaires. La communauté internationale, notamment la Commission interaméricaine des droits de l’homme, a adopté des mesures conservatoires pour protéger des personnes incarcérées, mais les conditions dans les centres de détention sont restées déplorables.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les autorités ont continué à mettre en œuvre des mesures visant à réduire au silence les médias indépendants, créant un déficit d’informations et rendant difficile l’accès des Nicaraguayen·ne·s à des actualités et des données indépendantes. Entre 2018 et 2024, au moins 276 journalistes ont été contraints de fuir le pays, selon un rapport publié en septembre par l’organisation Journalistes et communicants indépendants du Nicaragua. Le gouvernement a confisqué les actifs de médias, ce qui a davantage encore étouffé la dissidence. Plus de 50 médias ont vu leurs actifs saisis entre 2018 et juin 2024. Le gouvernement a également mis en œuvre des dispositions de la législation visant à contrôler les contenus en ligne qui obligeaient les entreprises de télécommunications à fournir des données sur leurs utilisateurs·trices et limitaient les contenus autorisés lors d’événements artistiques.
En juillet, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a soumis à la Cour interaméricaine des droits de l’homme l’affaire no 14.746, relative à l’exécution extrajudiciaire du journaliste Ángel Eduardo Gahona López par des agent·e·s de l’État. L’impunité persistait dans cette affaire.
Des organisations locales ont fait état de la disparition forcée d’au moins une journaliste. Dans sa dernière communication publique, celle-ci dénonçait une intrusion à son domicile.
DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
Les peuples autochtones ont continué d’être en butte à des déplacements forcés et à des attaques menées par des groupes armés progouvernementaux et des colons. Selon l’observatoire permanent de la coalition Nicaragua Lucha, de nombreuses violations commises contre des défenseur·e·s autochtones des droits humains ont été signalées, notamment des détentions arbitraires, des disparitions forcées et des déplacements de populations dans des territoires tels que la réserve de biosphère de Bosawás.
Des élections régionales ont eu lieu sur la côte caribéenne du Nicaragua en mars. Pour la première fois depuis des années, aucun parti politique autochtone n’y a participé. Le parti politique Yapti Tasba Masraka Nanih Asla Takanka (YATAMA, Organisation des Nations de la Terre mère) a été exclu à la suite de la révocation de son statut juridique en septembre 2023 et de l’arrestation de ses dirigeant·e·s, Brooklyn Rivera et Nancy Elizabeth Henríquez, qui ont par la suite été accusés de trahison et de conspiration. À la fin de l’année, les autorités n’avaient pas rendu public le lieu de détention de Brooklyn Rivera. Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion depuis décembre.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a statué contre le Nicaragua, dénonçant des violations des droits des peuples autochtones, notamment des déplacements forcés et une absence de consultation sur des projets tels que le canal interocéanique, et réaffirmant la nécessité de protéger les territoires autochtones. Des gardes forestiers mayagnas de la réserve de biosphère de Bosawás demeuraient incarcérés sur la base d’accusations douteuses, ce qui témoignait des risques particulièrement élevés encourus par les personnes autochtones.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
L’avortement restait interdit en toutes circonstances.