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© Joseph Eid/AFP/Getty Images

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Liban : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains 

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Liban en 2022.

Les autorités n’ont pas protégé les droits économiques et sociaux essentiels affectés par la crise dans le pays, laissant des habitant·e·s sans accès suffisant aux soins de santé et à l’eau. L’impunité continuait de protéger les responsables présumés de torture et d’autres crimes. La législation relative à la diffamation a été utilisée contre des personnes ayant critiqué les autorités. Les droits des travailleuses et des travailleurs migrants, en particulier des employées domestiques, ont continué d’être bafoués dans le cadre du système discriminatoire de parrainage (kafala). Les femmes faisaient toujours l’objet de discriminations, dans la législation et dans la pratique. Le Liban a intensifié les renvois de réfugié·e·s en Syrie, en dépit des risques de graves violations de leurs droits humains dans ce pays. Les autorités ont interdit des événements LGBTI pendant le Mois des fiertés.

CONTEXTE

Les autorités n’ont pas remédié à la crise économique en raison d’une impasse politique. En novembre, d’après le Département central des statistiques, l’inflation sur les prix de l’alimentation s’élevait à 171,2 %, plaçant le pays au deuxième rang mondial de l’insécurité alimentaire selon la Banque mondiale. En raison des coupures de courant, certaines personnes ne bénéficiaient du réseau public d’électricité qu’une à deux heures par jour.

Le 7 avril, le Fonds monétaire international a annoncé l’octroi à l’État d’un prêt d’environ trois milliards de dollars américains au titre du mécanisme élargi de crédit, sous réserve de l’application de huit réformes. Une seule d’entre elles avait été mise en œuvre à la fin 
de l’année, avec l’adoption de la loi de finances 2022, entrée en vigueur le 15 novembre.

À l’issue des élections législatives du 15 mai, lors desquelles les candidat·e·s indépendants soutenant les manifestations de 2019 ont remporté 13 des 128 sièges, le nouveau Parlement a nommé Najib Mikati Premier ministre. Celui-ci n’avait toutefois pas encore formé de nouveau gouvernement à la fin de l’année.

Le 31 octobre, le mandat présidentiel de Michel Aoun est arrivé à son terme. Malgré l’organisation de 10 séances électorales en novembre et décembre, les député·e·s n’ont pas réussi à le remplacer.

DROIT À LA SANTÉ

Les médicaments, y compris ceux contre le cancer et d’autres affections chroniques, restaient indisponibles et inabordables pour la majeure partie de la population, le gouvernement n’ayant pas établi de plan d’urgence adéquat en matière de sécurité sociale afin de remplacer les subventions supprimées en novembre 2021. Le nombre de personnes consultant les établissements de santé publics pour obtenir des médicaments et des soins gratuits ou à faible coût a augmenté de 62 % depuis le début de la crise économique en 2019. Cependant, les autorités n’ont pas augmenté les financements destinés à répondre à ces besoins.

Le personnel de santé a protesté tout au long de l’année contre les bas salaires et le manque de moyens des hôpitaux, et des personnes atteintes de cancer ont manifesté contre les pénuries de médicaments.

Les autorités n’ont pas fourni aux personnes détenues les soins de santé dont elles avaient besoin, obligeant leurs familles à couvrir tous les frais médicaux, y compris d’hospitalisation. Au moins trois prisonniers sont décédés entre août et septembre à la suite de retards dans leur transfert à l’hôpital. Les autorités ont annoncé une enquête sur deux de ces décès.

DROIT À L’EAU

Les autorités n’ont pas garanti un accès satisfaisant au réseau public d’eau potable. Durant toute l’année, l’approvisionnement en eau est resté irrégulier en raison de coupures de courant, ce qui a contraint la population à acheter une eau de plus en plus chère à des entités privées non contrôlées, à des prix six fois supérieurs à ceux observés en 2019 et inabordables pour la plupart des gens.

Dans certaines zones, l’eau potable s’est retrouvée mélangée aux eaux usées faute d’entretien suffisant du réseau de distribution par l’État. Plusieurs centaines de nouveaux cas d’hépatite A ont été relevés en juin ; en octobre, au moins 913 personnes ont attrapé le choléra à cause de la contamination de l’eau.

IMPUNITÉ

L’impunité a encore permis à des fonctionnaires et des membres des forces de sécurité et de l’armée de se soustraire à l’obligation de rendre des comptes pour des violations des droits humains.

L’enquête sur l’explosion survenue en août 2020 dans le port de Beyrouth restait au point mort depuis décembre 2021 à la suite des recours formés contre le juge d’instruction par des responsables politiques qu’il avait convoqués pour interrogatoire. Deux d’entre eux, Ghazi Zeaiter et Ali Hassan Khalil, ont été élus en juin à la Commission parlementaire de l’administration et de la justice.

Le 23 avril, un bateau transportant environ 80 migrant·e·s originaires du Liban, de Syrie et de Palestine qui tentaient de rejoindre Chypre a coulé au large de la ville portuaire libanaise de Tripoli. Les autorités ont accusé les passeurs d’avoir délibérément surchargé le bateau, mais des survivant·e·s ont affirmé que la marine libanaise avait provoqué le naufrage en percutant l’embarcation. Des personnes ayant survécu et des familles de victimes ont déposé plainte pour homicide volontaire auprès du parquet contre un officier et 12 autres membres de la marine. Le ministère public a cependant transmis les plaintes à la justice militaire, où elles étaient toujours bloquées à la fin de l’année. En avril, les services de renseignement de l’armée ont annoncé avoir ouvert une enquête interne et n’avoir constaté aucun manquement de la part du personnel de la marine.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Selon l’ordre des avocats de Tripoli, les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sur au moins 21 plaintes déposées contre des membres des services de sécurité et de l’armée au titre de la loi de 2017 contre la torture.

Le Sous-comité pour la prévention de la torture [ONU] s’est rendu au Liban en mai et a jugé que la prévention de la torture s’était peu améliorée depuis sa première visite en 2010.

Le 30 août, les forces de sécurité ont arrêté Bashar Abed Al Saud, réfugié syrien, chez lui, à Beyrouth, la capitale libanaise. Ses proches ont reçu un appel quatre jours plus tard, leur demandant de venir récupérer sa dépouille au siège de la Direction générale de la sécurité d’État, dans le sud du Liban. Peu de temps après, un journal a divulgué des photos et des vidéos montrant les hématomes et les entailles couvrant le corps de Bashar Abed Al Saud. Face au tollé provoqué par ces révélations, la Direction générale de la sécurité d’État a publié un communiqué affirmant qu’il avait « avoué » avant de mourir qu’il appartenait au groupe armé État islamique.

En septembre, la justice militaire a ouvert une enquête et ordonné le placement en détention de cinq membres de la Direction générale de la sécurité d’État, mais elle a refusé que l’avocat de la famille accède aux pièces du dossier. La première audience s’est tenue en décembre.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les lois relatives à la diffamation ont encore permis à l’appareil sécuritaire et à l’armée de contrôler toute critique des autorités ; au moins trois personnes ont fait l’objet de convocations judiciaires et d’enquêtes à ce titre en 2022.

Le 24 juin, le tribunal militaire a déclaré la comédienne Shaden Fakih coupable d’« insulte » et d’« atteinte à la réputation » des Forces de sécurité intérieure et l’a condamnée à une amende de 1 858 000 livres libanaises (environ 50 à 70 dollars au taux du marché). Le bureau de lutte contre la cybercriminalité l’avait interrogée pour la première fois en mai 2021 à la suite d’une plainte déposée par les Forces de sécurité intérieure au sujet d’un appel humoristique qu’elle avait passé à leur service d’assistance téléphonique pendant le confinement lié à la pandémie de COVID-19, lors duquel elle leur avait demandé de livrer des serviettes hygiéniques à son domicile.

DROITS DES FEMMES

Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation et dans la pratique, notamment en matière de garde des enfants. Le 4 août, à la suite d’une décision d’un tribunal religieux chiite, Liliane Cheaito, une jeune mère blessée lors de l’explosion dans le port de Beyrouth et qui était restée hospitalisée jusqu’alors, a vu son fils de deux ans pour la première fois depuis 2020, après deux ans de procédure. Son mari l’avait empêchée de voir leur bébé, en arguant qu’il ne voulait pas que celui-ci voie sa mère blessée à l’hôpital, et la famille Cheaito avait alors déposé un recours devant ce tribunal.

Le 27 juillet, lors de la séance plénière du Parlement, un certain nombre de députés, dont le président de la chambre, ont harcelé verbalement trois parlementaires indépendantes récemment élues et critiques à l’égard des autorités. Selon l’une d’elles, Cynthia Zarazir, le Parlement n’a pris aucune mesure après sa plainte pour harcèlement.

DROITS DES PERSONNES MIGRANTES

Contrairement aux années précédentes, le ministre du Travail n’a pas engagé de discussions en vue de réformer le système de parrainage (kafala), qui augmentait le risque d’exploitation des travailleuses et travailleurs migrants et ne donnait guère d’espoir aux femmes d’obtenir réparation.


Le 4 août, les autorités ont tenté de renvoyer au Kenya une employée domestique originaire de ce pays sans informer son avocat, alors qu’elle avait déposé une demande d’asile auprès du HCR. La Direction générale de la sûreté générale (DGSG) l’avait arrêtée le 4 avril et l’enquête ouverte à son encontre a été classée sans suite le 21 avril, mais elle était toujours en détention. Le Mouvement contre le racisme, une ONG locale, est intervenu à l’aéroport pour empêcher son expulsion et elle a été ramenée au centre de détention. Le 7 octobre, à la suite des nombreuses demandes d’organisations libanaises et internationales, la DGSG l’a finalement libérée, après six mois de détention arbitraire.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES

Avec environ 1,5 million de réfugié·e·s syriens sur son sol, selon les estimations, le Liban était toujours le pays du monde qui comptait le plus de personnes réfugiées par habitant·e. Selon le HCR, en avril, 88 % des personnes réfugiées originaires de Syrie vivaient dans une extrême pauvreté à la suite de la crise économique libanaise et de la pandémie de COVID-19.

En septembre, dans le cadre d’une politique de « refoulement implicite », le Premier ministre a chargé le chef de la DGSG de relancer le projet de renvoi des réfugié·e·s syriens dans leur pays d’origine, en considérant toutes les régions de Syrie comme « sûres » malgré le risque prouvé de graves persécutions pesant sur ces personnes en cas de retour. Le 26 octobre, la DGSG a organisé le premier transport de réfugié·e·s syriens vers la Syrie de 2022. Il concernait 551 personnes inscrites auprès de cet organe pour leur retour « volontaire », qui avait été validé par les autorités syriennes.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les autorités ont continué de restreindre la tenue d’événements publics à l’initiative de personnes LGBTI et d’organisations défendant leurs droits.

Le 24 juin, le ministre de l’Intérieur a interdit tous les rassemblements prévus à l’occasion du Mois des fiertés, événement qui visait selon lui à « promouvoir la perversion sexuelle ». Deux jours plus tard, des organisations et des personnes LGBTI ont appelé la population à manifester, mais plusieurs groupes religieux ont annoncé un contre-rassemblement et menacé de recourir à la violence. Les autorités n’ont pas proposé de protéger les défilés pacifiques ni pris de mesures contre les personnes qui prônaient la violence, si bien que les groupes LGBTI ont annulé leur manifestation. En août, les organisations libanaises Legal Agenda et Helem ont formé un recours devant le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays, contre l’interdiction prononcée par le ministre. Elles ont fait valoir que cette interdiction encourageait la violence et la haine à l’égard de populations marginalisées et qu’elle portait atteinte aux droits des personnes LGBTI à l’égalité, à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, garantis par la Constitution. Le 1er novembre, le Conseil d’État a accepté ce recours et suspendu la décision du ministre.

LUTTE CONTRE LA CRISE CLIMATIQUE

Bien que le gouvernement se soit engagé en mars 2021 sur un objectif conditionnel de réduction des émissions de 31 % d’ici à 2030 et qu’il ait augmenté son objectif inconditionnel à 20 %, il n’a pas annoncé de nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) en 2022.

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