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© Joseph Eid/AFP/Getty Images
Liban
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Liban en 2024.
Le conflit armé entre Israël et le Hezbollah a fait plusieurs milliers de morts et a eu des conséquences désastreuses sur la population civile au Liban. Les forces israéliennes ont commis des violations du droit international humanitaire, dont des attaques menées sans discernement et des attaques visant directement des civil·e·s et des biens de caractère civil. Le Hezbollah a tiré à de multiples reprises des roquettes non guidées en direction du nord d’Israël, en violation du droit international humanitaire. Bien que certaines réformes positives aient été adoptées, le gouvernement libanais ne garantissait pas pleinement le droit à la sécurité sociale. De nombreux bâtiments n’étaient pas conformes aux normes de sécurité minimales et des personnes ont trouvé la mort dans l’effondrement de plusieurs immeubles d’habitation. Des journalistes et des personnes qui critiquaient les autorités ont été harcelés et intimidés par des représentants des pouvoirs publics au moyen de la législation pénale sur la diffamation. Après avoir annoncé accepter la compétence de la CPI au Liban, le gouvernement est rapidement revenu sur cette déclaration. L’enquête sur l’explosion survenue dans le port de Beyrouth en 2020 restait au point mort. Les autorités ont accentué la pression exercée sur les réfugié·e·s syriens pour qu’ils quittent le pays. Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation comme dans la pratique.
CONTEXTE
Le Parlement a échoué à élire un président au cours de l’année et le gouvernement s’en tenait toujours à la gestion des affaires courantes.
Le conflit entre Israël et le Hezbollah, groupe armé basé au Liban, s’est considérablement intensifié. Le 23 septembre, l’armée israélienne a lancé l’opération Flèches du Nord et visé des milliers de sites sur le territoire libanais, tuant plus de 500 personnes au cours des premières 24 heures. Le 27 septembre, des frappes aériennes sur la capitale, Beyrouth, ont tué Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le 1er octobre, Israël a entamé une incursion terrestre dans le sud du Liban. Au moins 4 047 personnes, dont 240 enfants au moins, ont été tuées, et 16 638 autres blessées entre le 8 octobre 2023 et le 28 novembre 2024. La grande majorité des victimes ont été recensées à partir de septembre 2024. Plus de 1,2 million de personnes ont été déplacées en raison du conflit. En Israël, plus de 100 civil·e·s ont été tués par des tirs de roquettes du Hezbollah et 63 000 personnes ont été déplacées. Douze autres civil·e·s ont été tués sur le plateau du Golan syrien occupé par Israël.
De nombreuses violations du cessez-le-feu ont été recensées dans les jours qui ont suivi un accord de trêve entre Israël et le Liban le 27 novembre. En octobre, la Banque mondiale a estimé à 8,5 milliards de dollars des États-Unis le coût des dommages matériels et des pertes économiques au Liban en raison de ce conflit.
Selon l’Administration centrale de la statistique, le taux d’inflation annuel moyen de l’indice des prix à la consommation a atteint 45,24 % en 2024, soit près de 80 points de moins qu’en 2023, marquant le retour de l’inflation à un taux à deux chiffres après trois années de fluctuation entre 100 % et 300 %. Cette baisse était attribuée pour l’essentiel à la stabilité du taux de change à partir d’août 2023.
Les frappes israéliennes ont détruit des dizaines de milliers d’oliviers et endommagé des terres agricoles dans tout le Liban. Entre le 8 octobre 2023 et novembre 2024, 2 000 hectares ont été endommagés, 340 000 têtes de bétail ont été tuées et environ 75 % des agriculteurs et agricultrices ont perdu leur source principale de revenus, selon le gouvernement libanais.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
Les forces israéliennes ont commis des violations du droit international humanitaire au Liban, dont des attaques visant directement des civil·e·s et des biens de caractère civil, des attaques aveugles et des attaques menées de façon disproportionnée, probablement constitutives de crimes de guerre.
L’armée israélienne a adressé des ordres d’évacuation inadaptés, et même trompeurs dans certains cas, aux habitant·e·s des quartiers sud de Beyrouth et du sud du Liban, en violation de son obligation en vertu du droit international de prendre toutes les précautions possibles pour réduire autant que possible les dommages causés à la population civile.
L’armée israélienne a volontairement semé la destruction sur son passage dans le pays, rasant parfois des villages entiers. Elle a rendu inhabitables de nombreuses localités du sud du Liban en détruisant des bâtiments civils. Amnesty International a identifié 21 villages qui ont subi des dégâts de grande ampleur ou ont été détruits par les forces terrestres israéliennes entre le 1er octobre et le 7 novembre. Dans chacun de ces villages, des édifices civils ont été démolis par des charges explosives posées manuellement par des soldats israéliens ou ont été rasés par des pelleteuses. Parmi les bâtiments civils détruits figuraient au moins 16 sites religieux, dont un sanctuaire vieux de 2 100 ans et deux cimetières.
Amnesty International a constaté que les forces israéliennes avaient illégalement frappé des immeubles d’habitation dans le village d’al Ain (dans le nord de la Békaa) le 29 septembre, dans celui d’Aitou (nord du pays) le 14 octobre et dans la ville de Baalbek le 21 octobre. Elles ont également mené une frappe illégale contre le siège de la municipalité de Nabatiyé, dans le sud du pays, le 16 octobre. L’armée israélienne n’a pas émis d’avertissement avant de procéder à ces frappes, qui ont fait au moins 49 morts parmi la population civile, dont des familles entières, et constituaient probablement des crimes de guerre.
L’OMS a indiqué que 226 professionnel·le·s de la santé et patient·e·s avaient été tués au Liban entre le 8 octobre 2023 et le 22 novembre 2024, dans 137 attaques israéliennes sur des établissements de santé et des ambulances.
Amnesty International a enquêté sur quatre attaques israéliennes menées contre des établissements de santé et des véhicules médicaux à Beyrouth et dans le sud du Liban entre le 3 et le 9 octobre, lors desquelles 27 professionnels de la santé et trois autres personnes ont été tués. Avant ces attaques, l’armée israélienne avait accusé à plusieurs reprises le Hezbollah d’utiliser des ambulances pour transporter des combattants et des armes et de se servir de centres médicaux dépendant de l’Autorité islamique de la santé comme « couverture pour des activités terroristes ». Cependant, Amnesty International n’a pas trouvé de preuve d’une utilisation de ces véhicules et locaux à des fins militaires au moment des attaques ; l’organisation a au contraire constaté que ces frappes s’apparentaient probablement à des attaques directes contre la population et des biens de caractère civil.
Entre octobre et novembre, Israël a pris pour cible des agences de Qard al Hassan, une institution financière à but non lucratif affiliée au Hezbollah, dans tout le pays. En l’absence d’éléments montrant que ces agences étaient devenues des objectifs militaires, ces frappes constituaient des attaques directes illégales contre des biens de caractère civil.
Le 17 septembre, Israël a activé à distance des engins explosifs dissimulés dans des milliers de bipeurs à travers le Liban, faisant au moins 12 morts, dont deux enfants et deux soignants, et 2 323 blessés. Le lendemain, des engins similaires cachés dans de nombreux talkies-walkies ont explosé, faisant au moins 25 morts et 608 blessés. Ces attaques ont été menées sans discernement et pourraient constituer des crimes de guerre.
DROIT À LA SÉCURITÉ SOCIALE
Malgré des réformes limitées et d’autres mesures prises au cours de l’année, le Liban était encore loin d’être doté d’un système de protection sociale universelle garantissant le droit à la sécurité sociale à toutes les personnes.
Le gouvernement n’a pas fait le nécessaire pour que la population ait au moins accès à une protection sociale minimale pendant la crise économique dont il était largement responsable. Le système libanais de protection sociale, qui était déjà fragmenté, limité et inéquitable avant la crise économique de 2019, s’est effondré. Par conséquent, de nombreuses personnes ont été privées des formes essentielles de sécurité sociale, notamment d’une assurance maladie abordable et d’une sécurité élémentaire de revenu pour les familles avec enfants, les personnes âgées et celles qui étaient dans l’incapacité de travailler.
Après plusieurs années de débats et d’atermoiements, le gouvernement a adopté en février sa Stratégie nationale de protection sociale. Elle comportait des réformes cruciales, telles qu’un régime de retraite inclusif pour les salarié·e·s du secteur privé, une sécurité de revenu pour les personnes âgées et une meilleure couverture médicale pour les personnes en situation de handicap.
Le ministère des Affaires sociales a annoncé en novembre l’octroi, avec le soutien de l’OIT, de l’UNICEF, de l’UE et des Pays-Bas, d’une aide forfaitaire et ponctuelle de 100 dollars des États-Unis aux titulaires d’une carte personnelle d’invalidité. Ce versement venait compléter le programme d’allocation nationale d’invalidité lancé en avril 2023 pour aider financièrement les personnes en situation de handicap. Le ministère a annoncé le renouvellement jusqu’à septembre 2025 de l’allocation mensuelle de 40 dollars américains versée aux personnes éligibles nées entre 1994 et 2009 dans le cadre de ce programme.
DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT
De nombreux édifices n’étaient pas conformes aux normes de sécurité minimales.
Un an après les séismes de février 2023, les habitant·e·s de la ville de Tripoli et d’autres localités vivaient toujours dans des bâtiments fortement endommagés parce qu’ils n’avaient pas les moyens de les réparer ni de trouver un autre logement. Tripoli abritait la plus forte concentration d’immeubles dangereux du pays. Sur les 162 immeubles déclarés en état de péril au Liban, 63 se trouvaient à Tripoli, de même que 51 édifices historiques ou classés ayant absolument besoin d’une rénovation, dont une grande partie étaient habités. La réponse des autorités a été inadaptée et s’est limitée à l’envoi d’avis d’expulsion, et dans certains cas d’amendes, à des personnes qui habitaient dans des bâtiments dangereux.
En février, deux immeubles résidentiels se sont effondrés à Choueifate, au sud de Beyrouth. Les habitant·e·s ont évacué le premier quelques minutes avant son effondrement le 11 février, après avoir remarqué l’apparition de fissures. Le second s’est effondré peu après minuit le 19 février, faisant au moins quatre morts, dont un bébé.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les autorités ont continué d’utiliser la législation pénale sur la diffamation pour harceler, intimider et attaquer des journalistes et des personnes qui émettaient des critiques.
La Direction générale des Forces de sécurité intérieure a révélé que le Bureau de lutte contre la cybercriminalité avait enquêté sur 1 684 affaires d’injures et de diffamation entre janvier 2019 et mars 2024, dont 18 affaires de diffamation entre janvier et mars 2024.
Au moins quatre personnes, dont trois journalistes, ont été convoquées à des fins d’interrogatoire par des hauts fonctionnaires en raison de leur travail. Les plaintes déposées contre elles visaient manifestement à réprimer des propos pourtant protégés par le droit international relatif aux droits humains, et non à traiter un préjudice réel. Dans trois de ces cas, les parties convoquées n’ont pas été informées avant leur audition de ce qui leur était reproché, ce qui constituait une violation de leur droit à une procédure régulière. À la fin de l’année, deux de ces personnes ne savaient toujours pas si les charges portées contre elles avaient été abandonnées.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Le 26 avril, le gouvernement provisoire du Liban a décidé par un vote d’ordonner au ministère des Affaires étrangères et des Expatrié·e·s d’adresser à la CPI une déclaration reconnaissant sa compétence pour enquêter sur les crimes commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023 et engager des poursuites dans ce cadre. Le gouvernement a annulé cette décision le 28 mai, ce qui suscitait des craintes quant à l’impunité pour des crimes de droit international.
L’enquête sur l’explosion survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, qui a fait au moins 236 morts et plus de 7 000 blessés, stagnait depuis décembre 2021.
Le 16 janvier, la Cour de cassation a suspendu un mandat d’arrêt décerné contre l’ancien ministre des Travaux publics, Youssef Fenianos, inculpé en septembre 2021 d’homicide et de négligence criminelle par l’enquêteur principal dans l’affaire de l’explosion du port de Beyrouth.
Le 1er juillet, des familles de victimes de l’explosion se sont jointes à des organisations libanaises et internationales de défense des droits humains dans une lettre ouverte adressée au Conseil des droits de l’homme [ONU] pour réclamer la création d’une mission d’enquête internationale indépendante et impartiale sur les violations des droits humains liées à ces faits.
La torture et les autres mauvais traitements étaient toujours pratiqués en toute impunité. Le tribunal militaire libanais a manqué une occasion d’amener à rendre des comptes les membres des forces de sécurité accusés d’avoir torturé à mort le réfugié syrien Bashar Abd Saud. Le 1er novembre, tous les accusés dans cette affaire ont été condamnés à une peine d’emprisonnement déjà purgée, le tribunal ayant requalifié ces faits criminels en délit et abandonné les chefs d’inculpation retenus en vertu de la législation contre la torture pour les remplacer par des poursuites au titre de l’article 166 du Code de justice militaire, qui interdisait d’enfreindre les règlements, les ordres et les instructions générales.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Le Liban était toujours le pays du monde qui comptait le plus de personnes réfugiées par habitant·e selon le HCR. Avant l’escalade des hostilités avec Israël, le gouvernement estimait à 1,5 million le nombre de réfugié·e·s syriens présents sur le territoire libanais.
En avril, les autorités ont multiplié les discours haineux à l’égard des réfugié·e·s syriens et mis en place des mesures restrictives supplémentaires afin de les inciter à quitter le Liban, alors même qu’aucune partie de la Syrie n’était sûre pour leur retour. À partir de mai, les services de sécurité ont procédé à des dizaines d’opérations d’interpellation et renvoyé de force de nombreuses personnes réfugiées originaires de Syrie. La Commission européenne a annoncé le 2 mai un programme d’assistance d’un milliard d’euros à destination du Liban, dédié en partie au renforcement de la capacité des services de sécurité libanais à maîtriser les flux d’immigration irrégulière depuis le Liban vers l’Europe via la Méditerranée. Des organisations de défense des droits humains ont exprimé leurs vives inquiétudes concernant cet accord, qui a été suivi de nombreuses mesures discriminatoires visant les réfugié·e·s syriens, dont plus de 83 % ne pouvaient pas obtenir de titre de séjour.
Le 26 septembre, la Direction générale de la Sûreté générale a annoncé de nouvelles mesures visant à renvoyer dans leur pays d’origine les Syrien·ne·s restés après l’expiration de leur titre de séjour ou entrés clandestinement au Liban, malgré les risques bien établis qu’ils encouraient en cas de retour, notamment de torture, de détention arbitraire et de disparition forcée. Le HCR s’est déclaré préoccupé par les interdictions de revenir au Liban prononcées à l’encontre de certaines de ces personnes.
Les conséquences du conflit entre Israël et le Hezbollah sur les infrastructures et sur l’accès de l’aide humanitaire ont laissé de nombreux réfugié·e·s sans abri ni soins médicaux, nourriture, aide financière ou services de protection.
DROITS DES FEMMES
Les femmes étaient toujours en butte à des discriminations, dans la législation comme dans la pratique.
Les organisations de défense des droits des femmes ont continué de se mobiliser en faveur de l’adoption d’une loi unique sur le statut personnel et d’un certain nombre de droits politiques, notamment l’égalité en matière de garde des enfants, une protection complète contre la violence domestique et le droit des femmes ayant épousé un étranger de transmettre leur nationalité à leur mari et à leurs enfants.

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