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© Vyacheslav Oseledko/AFP/Getty Images

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Kirghizistan

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Kirghizistan en 2024.

La répression de la dissidence pacifique s’est accrue. Des militant·e·s et des journalistes ont été placés en détention sur la foi d’accusations fallacieuses. Une nouvelle loi sur les « représentants étrangers » compromettait sérieusement les droits à la liberté d’expression et d’association de la société civile. Vingt-deux personnes faisant l’objet de poursuites pour des raisons d’ordre politique ont été déclarées non coupables. Les violences fondées sur le genre, notamment les violences domestiques, restaient très fréquentes et le nombre de cas signalés était largement en deçà de la réalité. Trois foyers sur quatre n’avaient pas les moyens de se nourrir correctement. Les pouvoirs publics n’ont pas consulté la population sur des politiques et des décisions ayant des conséquences pour l’environnement.

LIBERTÉ D'EXPRESSION

Les restrictions pesant sur la liberté de la presse et sur les personnes exprimant pacifiquement leur désaccord avec les autorités se sont renforcées, sous forme de poursuites engagées pour des motifs politiques ou de projets de lois susceptibles d’être utilisés pour faire taire les critiques.

Selon l’ONG de défense des droits humains Kylym Chamy, le parquet a engagé entre janvier et octobre des poursuites pénales dans au moins 71 affaires contre des journalistes, des militant·e·s, des blogueurs et blogueuses et des personnes s’exprimant sur les réseaux sociaux. Les charges allaient de l’incitation à la haine ethnique ou religieuse à l’appel à des émeutes de grande ampleur et au renversement de l’ordre constitutionnel. Ces poursuites visaient à sanctionner celles et ceux qui s’exprimaient sur des questions politiquement sensibles ou formulaient des allégations de corruption ou d’atteintes aux droits humains.

En janvier, la police a arrêté 11 personnes travaillant ou ayant travaillé dans le secteur des médias et ayant participé à un titre ou un autre aux projets de journalisme d’investigation d’Aït Aït Desse et de Temirov Live. Toutes étaient accusées, sans fondement, d’avoir « appelé à des émeutes de grande ampleur ». Parmi elles, Makhabat Tajibek-kyzy, directrice de Temirov Live, et Azamat Ichenbekov ont été condamnés le 10 octobre à six et cinq ans d’emprisonnement, respectivement, à l’issue d’un procès qui s’est tenu à huis clos. Deux autres prévenu·e·s ont été condamnés à trois ans de mise à l’épreuve. Les sept autres ont été relaxés. Les verdicts ont été confirmés en appel le 18 décembre. Un recours contre cette décision a été déposé fin décembre devant la Cour suprême.

Joomart Karabaïev, qui travaillait à l’Académie nationale des sciences, a été arrêté en juillet par la police après avoir accusé le Comité d’État pour la sécurité nationale d’avoir fait pression sur des membres de ladite Académie pour qu’ils falsifient leurs rapports en vue de leur utilisation à charge dans le cadre de procès mettant en cause des personnes critiques à l’égard des autorités. Il a été inculpé d’incitation à des émeutes de grande ampleur, en raison de messages qu’il avait mis en ligne sur les réseaux sociaux et de déclarations publiques qu’il avait faites. Son procès, qui a débuté au mois d’octobre, n’était pas terminé à la fin de l’année.

La Cour suprême a confirmé en juillet une décision ordonnant la fermeture de la fondation publique Kloop Media, un organe de presse d’investigation. Cet arrêt faisait suite à un procès intenté par le parquet de Bichkek, qui reprochait entre autres à Kloop de ne pas s’être enregistré en tant qu’organe de presse, de s’être livré à des activités journalistiques ne figurant pas dans ses statuts et d’encourager ses lecteurs et lectrices à participer à des manifestations hostiles au gouvernement.

Le gouvernement a présenté en août un projet de loi visant à ériger en infractions administratives la calomnie et l’insulte en ligne ou dans les médias. La Commission de Venise [Conseil de l’Europe], qui avait examiné le texte du projet avant qu’il ne soit présenté, avait estimé que des modifications importantes devaient y être apportées pour qu’il soit conforme aux normes internationales relatives aux droits humains. Le Parlement a néanmoins adopté ce projet de loi en décembre.

En septembre, le gouvernement a soumis à une consultation publique un autre projet de loi visant à rétablir parmi les infractions réprimées par le Code pénal la détention de documents « extrémistes », un terme défini de façon très vague. Ce texte prévoyait aussi la création d’une nouvelle infraction d’incitation publique, sur Internet ou dans les médias, à mener des activités « extrémistes » ou à « prendre le pouvoir par la violence », ce qui faisait craindre qu’il soit utilisé pour réprimer les voix critiques.

LIBERTÉ D'ASSOCIATION

Le président de la République, Sadyr Japarov, a promulgué en avril une loi répressive exigeant que toutes les ONG percevant des financements étrangers et engagées dans des « activités politiques » (sans que ce terme soit clairement défini) se fassent enregistrer en tant que « représentants étrangers ». Aux termes de cette nouvelle loi, les autorités pouvaient suspendre les activités d’une ONG sans avoir à attendre une décision de justice, voire la radier, si elle ne s’enregistrait pas comme « représentant étranger ». La Commission de Venise a estimé en octobre que ce texte était contraire à la Constitution du Kirghizistan et à un certain nombre de traités internationaux, soulignant que son application entraînait « le risque sérieux et réel de stigmatiser, de réduire au silence et finalement d’éliminer » les ONG qui recevaient des fonds de l’étranger.

Rares étaient, fin décembre, les organisations qui s’étaient fait enregistrer en tant que « représentants étrangers », mais beaucoup avaient réduit leurs activités ou avaient cessé de fonctionner en tant qu’ONG.

PROCÈS INÉQUITABLES

Le 14 juin, un tribunal a mis hors de cause 22 personnes inculpées dans le cadre de l’affaire dite de Kempir-Abad. Celles-ci étaient accusées d’avoir préparé des émeutes de grande ampleur, voire, pour certaines, d’avoir voulu prendre le pouvoir par la violence – des accusations motivées par des considérations politiques. Dans cette affaire marquée par des incohérences et des violations de procédure, les prévenu·e·s avaient été placés en détention pour avoir simplement exercé leurs droits fondamentaux, en exprimant notamment leurs inquiétudes au sujet de la cession du contrôle du réservoir d’eau douce de Kempir-Abad (Andijan) en 2022. Le parquet, qui avait requis des peines de 20 ans d’emprisonnement contre les 22 accusé·e·s, a fait appel de cette décision. La procédure était en cours à la fin de l’année.

DROITS DES PERSONNES LGBTI

Une loi de 2023 interdisant toute « propagande » LGBTI entravait l’action des ONG de défense des droits des personnes LGBTI. Nombre de ces organisations ont dû réduire leurs activités de sensibilisation et d’éducation du public et limiter leur soutien aux personnes exposées aux atteintes aux droits humains.

Entrée en vigueur en janvier, la nouvelle Loi sur la protection de la santé des citoyens introduisait des restrictions discriminatoires des droits des personnes transgenres à la santé et à l’autonomie corporelle, en portant à 25 ans l’âge à partir duquel il était possible d’accéder à des soins de réattribution sexuelle. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a appelé le gouvernement à revoir cette nouvelle loi afin de garantir l’accès sans discrimination des personnes transgenres aux services de santé sexuelle et reproductive et aux soins médicaux d’affirmation de genre. Il s’est également inquiété du retard pris dans l’adoption d’une loi globale de lutte contre la discrimination et a recommandé d’abroger toutes les dispositions législatives discriminatoires à l’égard des personnes LGBTI, notamment la loi sanctionnant la propagande en faveur de « relations sexuelles non traditionnelles ».

VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE

Les violences faites aux femmes étaient toujours monnaie courante et nombre d’entre elles n’étaient pas signalées. La plupart restaient impunies. La police a enregistré 14 293 cas de violences domestiques entre janvier et octobre, soit une hausse de 37 % par rapport à 2023.

Le président de la République a promulgué en août une loi supprimant la possibilité de régler à l’amiable les affaires de viol et d’agression sexuelle. Néanmoins, les violences domestiques, et notamment le viol conjugal, constituaient toujours une simple infraction administrative, passible seulement d’une amende ou d’une peine de détention administrative d’un maximum de sept jours.

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a souligné en octobre que les femmes et les filles en situation de handicap qui étaient victimes de violences sexuelles et fondées sur le genre se heurtaient à des obstacles spécifiques et presque insurmontables les empêchant de solliciter de l’aide et une protection.

DROIT À L'ALIMENTATION

En octobre, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a constaté avec préoccupation que près de la moitié de la population, et en particulier les personnes vivant dans la pauvreté, ne pouvait pas satisfaire ses besoins nutritionnels quotidiens, et que trois foyers sur quatre n’avaient pas les moyens d’avoir un régime alimentaire adéquat. Une personne sur trois environ vivait dans la pauvreté au Kirghizistan. Les enfants, les personnes en situation de handicap, les travailleuses et travailleurs migrant·e·s, les familles socialement défavorisées et les populations rurales étaient particulièrement concernés.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

Le Kirghizistan n’a pas adopté de cadre réglementaire imposant juridiquement aux entreprises de faire preuve de la diligence requise en matière de droits fondamentaux, malgré « les effets néfastes des activités extractives et des projets de développement sur l’environnement et les moyens de subsistance des communautés locales » dénoncés par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

Le président a abrogé en juin une loi de 2019 qui interdisait l’exploitation de gisements de métaux rares sans véritable consultation préalable des populations concernées.

En septembre, les autorités ont lancé un chantier d’extraction de thorium sur le site de Kyzyl-Ompol, sans avoir préalablement pris les mesures nécessaires au titre de la diligence requise en matière de droits humains ni mené une étude environnementale complète.

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