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© Jordan Pix/ Getty Images
Jordanie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Jordanie en 2024.
La Jordanie a intensifié sa répression des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, arrêtant et poursuivant des milliers de personnes accusées d’avoir critiqué les autorités, exprimé leur soutien à la Palestine ou participé à des manifestations pacifiques. Des centaines de ces personnes ont été maintenues en détention administrative, sans inculpation ni accès à des garanties de procédure régulière. Des partis politiques ont été dissous. Les femmes et les filles étaient toujours confrontées à la discrimination en droit et dans la pratique. Les conditions de vie des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile se sont détériorées, en raison notamment de réductions des financements. La Jordanie demeurait vulnérable au changement climatique, qui menaçait ses ressources en eau.
CONTEXTE
Le quatrième EPU de la Jordanie s’est déroulé en janvier. Le gouvernement a seulement pris note des recommandations qui lui demandaient d’abroger les dispositions juridiques érigeant en infractions des formes d’expression protégées par le droit international. Il a rejeté les recommandations l’invitant à abroger ou à modifier la Loi de 1954 relative à la prévention de la criminalité, que les gouverneurs continuaient d’utiliser pour placer des personnes en détention administrative sans inculpation ni jugement. Il ne s’est pas engagé à modifier la Loi sur la nationalité afin de permettre aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants au même titre que les hommes. Il a également rejeté les recommandations lui demandant d’abolir la peine de mort et de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.
Les premières élections législatives depuis la réforme électorale de 2022 se sont tenues en septembre. Les partis d’opposition ont remporté environ un cinquième des sièges. La Chambre des député·e·s restait dominée par des factions tribales et progouvernementales.
La Jordanie accueillait toujours environ deux millions de réfugié·e·s palestiniens et plus de 750 000 personnes originaires d’autres pays, notamment de Syrie.
Le taux de chômage est resté élevé, en particulier chez les femmes et les jeunes.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les autorités jordaniennes ont inculpé des centaines de personnes au titre de la Loi sur la cybercriminalité, une loi répressive adoptée en 2023. Il était reproché à ces personnes d’avoir publié sur les réseaux sociaux des messages qui critiquaient les autorités, notamment l’accord de paix du gouvernement avec Israël, qui exprimaient des sentiments propalestiniens ou qui appelaient à des manifestations pacifiques ou à des grèves publiques.
Un tribunal pénal a condamné, en juin, la journaliste Hiba Abu Taha à un an d’emprisonnement pour avoir utilisé des plateformes de réseaux sociaux pour « diffuser de fausses nouvelles, ou calomnier ou insulter une autorité gouvernementale ou un organisme officiel », ainsi que pour « incitation à la discorde ou à la sédition ou menace à la paix sociale ou incitation à la haine ou à la violence ». Ces accusations faisaient suite à un article, partagé sur les réseaux sociaux, dans lequel elle avait critiqué l’interception par la Jordanie de missiles iraniens visant Israël en avril. Selon l’avocat d’Hiba Abu Taha, la cour d’appel a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine le même jour sans tenir d’audience publique, ce qui, selon lui, indiquait que la décision du juge était déjà prise. D’après les informations recueillies par Amnesty International, cette peine d’un an d’emprisonnement était la plus longue prononcée à ce jour au titre de la Loi sur la cybercriminalité.
En juillet, un tribunal pénal a déclaré l’avocat et militant Moutaz Awwad coupable d’« incitation à la sédition ou à la discorde » aux termes de l’article 17 de la Loi sur la cybercriminalité et l’a condamné à une amende de 5 000 dinars jordaniens (environ 7 000 dollars des États-Unis) pour des publications sur X (anciennement Twitter) dans lesquelles il critiquait les politiques de pays arabes à l’égard d’Israël et exprimait son soutien au peuple palestinien.
Le même mois, les forces de sécurité ont arrêté l’éminent journaliste Ahmad Hassan al Zoubi, en application d’une décision de justice rendue en juillet 2023 en vertu de la précédente Loi relative à la cybercriminalité, datant de 2015. Il avait été condamné à un an de prison pour avoir « incité à la discorde » dans une publication sur Facebook critiquant la réaction des autorités à des grèves dans les transports.
Les autorités ont régulièrement bafoué le droit à un procès équitable des personnes arrêtées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, notamment en les interpellant sans mandat, en ne les informant pas des motifs de leur citation à comparaître ou des charges pesant sur elles, en les interrogeant sans avocat·e et en recourant à la contrainte psychologique et à des tactiques d’intimidation durant leur interrogatoire et/ou leur procès.
En février, un procureur de la Cour de sûreté de l’État (tribunal militaire) a inculpé le militant politique Ayman Sanduka d’« incitation à s’opposer au régime politique » selon l’article 149 du Code pénal. Cette inculpation concernait une lettre ouverte au roi qu’Ayman Sanduka avait publiée sur Facebook en octobre 2023 et dans laquelle il critiquait les relations diplomatiques de la Jordanie avec Israël. Son procès devant la Cour de sûreté de l’État était toujours en cours à la fin de l’année.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Entre octobre 2023 et octobre 2024, les autorités ont arrêté des milliers de manifestant·e·s et de passant·e·s après des manifestations de soutien au peuple palestinien de Gaza organisées devant l’ambassade d’Israël à Amman, la capitale. Nombre de ces personnes étaient toujours en détention à la fin de l’année.
En mars, les forces de sécurité jordaniennes ont violemment dispersé des manifestations pacifiques devant l’ambassade d’Israël avec du gaz lacrymogène, des matraques et des coups. D’après des manifestant·e·s propalestiniens, certains slogans ont été interdits sur les banderoles, ainsi que la participation des enfants et adolescent·e·s de moins de 18 ans. Les autorités ont également imposé que les manifestations ne se prolongent pas après minuit.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
Les autorités ont dissous 19 partis politiques pour « non-respect des conditions d’enregistrement ». En vertu de la Loi de 2022 relative aux partis politiques, ces conditions incluaient le fait de compter au minimum 1 000 membres fondateurs n’ayant jamais été condamnés pour des infractions portant atteinte à « l’honneur, la morale et la sécurité ».
En avril, la Cour administrative suprême a confirmé la décision de dissoudre le Parti du partenariat et du salut parce qu’il n’avait « pas tenu d’assemblée générale conforme aux conditions stipulées dans la Loi relative aux partis politiques ». Un avocat membre de ce parti a déclaré à Amnesty International que celui-ci était la cible de manœuvres de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités.
DÉTENTION ARBITRAIRE
Les gouverneurs locaux ont continué d’utiliser la Loi de 1954 relative à la prévention de la criminalité pour placer en détention administrative tout individu considéré comme représentant « un danger pour la population », sans l’inculper ni lui donner la possibilité de contester la légalité de sa détention devant une autorité judiciaire compétente. Parmi les personnes concernées figuraient des militant·e·s, ainsi que des femmes risquant d’être victimes de « crimes d’honneur », souvent placées en détention au prétexte de les protéger d’éventuelles violences ou représailles.
Sur ordre du gouverneur d’Amman, des dizaines de personnes ont été placées en détention administrative pour avoir manifesté en soutien à la Palestine ou exprimé des sentiments propalestiniens, même dans des cas où le procureur avait ordonné leur libération.
En mars, par exemple, le militant Majd al Farraj a été arrêté lors d’une manifestation et maintenu en détention administrative pendant 40 jours. De même, en avril, des membres des forces de sécurité ont arrêté le militant en ligne Samer al Qassem, en lien avec une vidéo sur les réfugié·e·s palestiniens qu’il avait publiée sur TikTok. Bien que le parquet ait ordonné la remise en liberté sous caution de cet homme en mai, le gouverneur d’Amman a demandé que sa détention administrative soit prolongée d’un mois. En juin, un tribunal pénal a condamné le militant à trois mois de prison assortis d’une amende aux termes de la Loi de 2023 sur la cybercriminalité, après l’avoir déclaré coupable d’« utilisation des réseaux sociaux pour inciter à la sédition et menacer la paix sociale ».
Des milliers de personnes risquaient l’emprisonnement pour dette au titre de la Loi sur l’exécution des décisions de justice, principal instrument législatif du pays, qui, en violation du droit international, permettait de placer en détention les personnes qui n’arrivaient pas à rembourser leurs dettes.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Les femmes et les filles étaient toujours en butte à la discrimination en droit et dans la pratique. En particulier, la législation relative au statut personnel leur était défavorable et elles étaient insuffisamment protégées contre les violences familiales. Les femmes de moins de 40 ans avaient besoin de l’autorisation d’un tuteur masculin pour se marier (généralement leur père ou un autre membre de leur famille). Selon la législation, les femmes ne pouvaient toujours pas transmettre leur nationalité à leur conjoint ni à leurs enfants au même titre que les hommes.
Les femmes étaient 40 % plus susceptibles que les hommes d’être au chômage, en raison de normes culturelles et sociales limitant leur accès au travail, ainsi que d’autres obstacles, tels que la durée excessive du travail et la difficulté de faire garder ses enfants. Selon le Rapport sur les inégalités femmes-hommes dans le monde du Forum économique mondial, la proportion de femmes dans les instances gouvernementales locales a diminué de 6,9 % par rapport à 2023.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
D’après le HCR, la diminution de l’aide internationale, entre autres facteurs, a conduit à une détérioration des conditions de vie des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, notamment à de sévères restrictions de l’accès aux droits économiques et sociaux, comme les droits à l’alimentation, à l’eau, à des soins de santé, à un abri, à l’éducation et au travail. Le taux de pauvreté des réfugié·e·s enregistrés auprès du HCR et vivant dans des camps a fortement augmenté ; 67 % d’entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 45 % en 2021. Toujours selon le HCR, environ 40 % des personnes réfugiées dans des camps étaient extrêmement vulnérables aux phénomènes climatiques, avec des risques particulièrement élevés de subir des fuites et des inondations en raison de la mauvaise qualité des abris dans lesquels elles vivaient.
En avril, les autorités jordaniennes ont arrêté deux réfugiés syriens, Atiya Mohammad Abu Salem et Wael al Ashi, lors d’une vaste opération de répression des manifestations propalestiniennes. Le ministère de l’Intérieur a par la suite pris des arrêtés d’expulsion à leur encontre. Ni l’un ni l’autre n’ont été présentés à une autorité judiciaire ni inculpés d’une quelconque infraction. Les autorités ont libéré Atiya Mohammad Abu Salem en mai et auraient expulsé Wael al Ashi aux Émirats arabes unis, où résidait sa famille.
Les personnes réfugiées et demandeuses d’asile autres que syriennes n’étaient toujours pas autorisées à travailler, à moins de renoncer à la protection internationale dont elles bénéficiaient et/ou à leur demande d’asile auprès du HCR et d’opter à la place pour le statut de travailleuse ou travailleur migrant·e.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
La Jordanie figurait toujours parmi les pays du monde qui manquaient le plus d’eau, ses ressources couvrant environ deux tiers des besoins de la population. Une baisse significative des précipitations, aggravée par le changement climatique, a encore réduit ses ressources en eau.
La Jordanie n’a pas mis à jour sa CDN, établie en 2021 au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.