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© Minasse Wondimu/Anadolu Agency/Getty Images
Éthiopie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Éthiopie en 2024.
Les autorités ont réprimé les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, notamment en intimidant des défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes, et en bloquant l’accès à Internet dans la région Amhara. Des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des artistes ont été arrêtés et placés en détention de façon arbitraire, et certaines personnes ont fui le pays lorsque des lois relatives à l’état d’urgence ont été promulguées et utilisées contre des dissident·e·s pacifiques. Des informations ont fait état de crimes de droit international, dont des crimes de guerre, perpétrés dans le cadre du conflit armé dans la région Amhara ; les Forces de défense nationale éthiopiennes ont commis des homicides illégaux, y compris des exécutions extrajudiciaires. Le Premier ministre et son gouvernement ont continué de nier ces actes et aucune mesure significative en faveur de la justice n’a été prise. Le nombre de cas de violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles a augmenté et la violence sexuelle liée aux conflits a perduré.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des artistes ont signalé une augmentation des actes d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités. L’état d’urgence national déclaré en août 2023, lorsqu’un conflit armé a éclaté dans la région Amhara entre la milice Fano et les membres des Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF), a été prolongé pour quatre mois en février. Il a pris fin le 2 juin. Les dispositions spéciales accordaient des pouvoirs très étendus aux forces de sécurité et les autorités en ont fait usage pour réprimer la dissidence et les médias.
Pendant l’état d’urgence, des personnes qui se livraient à des activités dissidentes pacifiques à travers le pays ont été arrêtées arbitrairement, souvent en dehors de toute procédure régulière (voir Arrestations et détentions arbitraires). Des dizaines de défenseur·e·s des droits humains et de journalistes ont ainsi été contraints de fuir le pays. En novembre et en décembre, les autorités ont suspendu arbitrairement les activités de cinq grandes organisations de défense des droits humains. Le Centre pour la défense des droits et de la démocratie, Lawyers for Human Rights et l’Association pour les droits humains en Éthiopie ont été frappés d’une interdiction d’exercer en novembre, le Conseil éthiopien des droits humains et le Centre éthiopien des défenseur·e·s des droits humains l’ont été le mois suivant. La mesure concernant l’Association pour les droits humains en Éthiopie a été levée en décembre. De telles suspensions témoignaient d’une répression accrue de l’espace civique dans le contexte des conflits armés sévissant dans le pays.
Des défenseur·e·s des droits humains qui s’étaient rendus à l’étranger pour travailler avec des organes internationaux de défense des droits humains ont indiqué avoir subi à leur retour des actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités. Certains ont également affirmé avoir été la cible de telles manœuvres de la part de responsables du gouvernement éthiopien, dont des diplomates, dans les pays où ils s’étaient rendus.
Les autorités avaient bloqué l’accès à Internet dans la région Amhara. Les restrictions n’ont été levées qu’en juillet, près d’un an après leur imposition. Les communications téléphoniques ont elles aussi été fréquemment restreintes.
En août, la police a interdit à des défenseures des droits des femmes d’organiser une veillée aux bougies à Addis-Abeba, la capitale, en hommage à Heaven Awot, une fillette qui avait été victime de violences sexuelles (voir plus loin, Violences fondées sur le genre).
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Les autorités ont arrêté des centaines de personnes à travers le pays au titre de l’état d’urgence, qui leur conférait des pouvoirs excessifs en matière d’arrestation. Elles ont bafoué les dispositions inscrites dans la Constitution, notamment l’obligation de rendre publics dans le délai d’un mois, via la Commission d’enquête sur l’état d’urgence (qui exerce un rôle de surveillance), les noms de toutes les personnes appréhendées et le motif de leur interpellation. Les autorités ont procédé à plusieurs arrestations sans mandat et ont empêché des personnes détenues d’exercer leurs droits, notamment le droit à un·e avocat·e et le droit d’avoir accès aux tribunaux.
Belay Manay, le rédacteur en chef du média en ligne Ethio News, a quitté le pays en septembre, trois mois après avoir été libéré du tristement célèbre camp militaire d’Awash Arba, où il avait été détenu dans des conditions éprouvantes. Arrêté en novembre 2023, il n’a jamais été déféré devant un tribunal, n’a jamais eu accès à des soins de santé ou à un·e avocat·e et s’est fréquemment vu refuser la visite de sa famille lorsqu’il était en détention.
L’armée fédérale et les forces de sécurité ont lancé une nouvelle campagne d’arrestations de masse dans la région Amhara le 28 septembre. En quatre jours, des milliers de civil·e·s, dont des universitaires, ont été interpellés sans mandat. Dans la majorité des cas, les autorités n’ont pas présenté les personnes placées en détention devant un tribunal dans le délai de 48 heures prévu par la loi éthiopienne.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Cette année encore, des informations ont fait état de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains dans le cadre du conflit armé dans la région Amhara. L’ampleur de ces violations, qui comprenaient des crimes de droit international, était probablement bien plus importante que ce que suggéraient les chiffres communiqués publiquement dans l’année. Les restrictions prolongées à l’utilisation d’Internet et des communications téléphoniques, associées au refus du gouvernement de laisser des organisations de défense des droits humains se rendre dans le pays, ont limité la capacité à signaler des crimes et d’autres violations. En outre, la menace de représailles pour s’être exprimé publiquement était susceptible de dissuader les civil·e·s de partager leurs témoignages, ou les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes de rendre compte de certains problèmes.
Il existait des éléments établissant que des homicides illégaux de civil·e·s, y compris des exécutions extrajudiciaires, avaient été perpétrés dans la région. Des témoins ont déclaré qu’à la suite d’affrontements armés entre les ENDF et la milice Fano intervenus le 29 janvier à Merawi, des soldats des ENDF avaient arrêté des civils chez eux, dans des magasins et dans la rue, les avaient rassemblés et avaient ouvert le feu sur eux, tuant des dizaines de personnes. Des habitant·e·s ont indiqué que la tuerie avait commencé après le retrait des miliciens Fano de Merawi. Des témoins ont raconté avoir trouvé les corps de leurs proches dans la rue le lendemain. Trois personnes ont indiqué que des soldats des ENDF avaient incendié 11 bajajs (triporteurs) et une moto.
La Commission d’enquête sur l’état d’urgence a annoncé en février qu’elle prévoyait de mener des investigations sur ces homicides mais, malgré les informations alarmantes qui continuaient de faire état de violations des droits humains, elle n’avait fait aucune autre déclaration publique à la fin de l’année. Les autorités n’ont pas non plus annoncé d’enquête sur les agissements de l’armée, dont certains pourraient être constitutifs de crimes de guerre.
IMPUNITÉ
Les autorités n’ont pris aucune initiative sérieuse pour enquêter sur les crimes de droit international et amener les auteurs de ces actes à rendre des comptes, bafouant ainsi le droit des victimes à la vérité et à la justice. Elles ont continué de fermer les yeux sur des crimes dont l’existence était constatée par des organes de défense des droits humains, notamment les homicides commis à Merawi (voir plus haut). Dans un discours télévisé au Parlement, le Premier ministre Abiy Ahmed a déclaré que l’armée « ne commet pas de massacres ». Sa prise de parole coïncidait avec le lancement par le gouvernement fédéral du processus de justice de transition, qui mettait l’accent sur la réconciliation plutôt que sur la justice et l’obligation de rendre des comptes.
Près de deux ans après le début des discussions relatives à ce processus, les déclarations du gouvernement selon lesquelles celui-ci permettrait d’amener les auteurs de violations des droits humains à répondre de leurs actes et de rendre justice aux victimes étaient restées lettre morte. L’exercice était pour l’essentiel resté au stade formel et pâtissait de graves défaillances : absence de processus de consultation inclusif avant l’élaboration de la politique, non-respect des principales lignes directrices internationales en matière d’obligation de rendre des comptes et non-prise en considération des contributions du petit nombre de victimes consultées sur les moyens d’action envisagés pour mettre en place les mesures nécessaires afin de garantir l’obligation de rendre des comptes.
VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE
Le nombre de cas signalés de violences sexuelles infligées à des femmes et des filles a augmenté. Le viol et le meurtre à Bahir Dar, dans la région Amhara, de Heaven Awot, une fillette de sept ans dont le corps a été mutilé par son agresseur, ont suscité une vague nationale d’indignation et sont devenus emblématiques de l’importance du phénomène dans le pays.
De nombreux cas de violences sexuelles, commises notamment en lien avec le conflit, ont été recensés au Tigré, ce qui a soulevé des mouvements de protestation dans toute la région.
Le Centre pour la défense des droits et de la démocratie a révélé dans un rapport publié en juin que des femmes et des filles de la zone Guji, dans la région Oromia, avaient été victimes de violences sexuelles perpétrées par des membres des forces gouvernementales et des combattants de l’Armée de libération oromo.
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