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Blsco Avellaneda /AFP/Getty Images
Espagne
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Espagne en 2024.
L’Espagne a de nouveau suspendu des transferts d’armes à destination d’Israël. Les autorités n’ont pas pris de mesures pour garantir un logement convenable aux habitant·e·s du quartier de Cañada Real. Deux juridictions supérieures ont formé un recours contre la loi d’amnistie de 2024 au motif qu’elle violait la Constitution du pays et le droit de l’UE. La première affaire judiciaire intentée en Espagne concernant la torture sous le régime franquiste n’a pas abouti, les juges ayant appliqué la prescription. Les violences fondées sur le genre ont persisté. Les droits des mineur·e·s migrants non accompagnés n’ont pas été dûment protégés.
CONTEXTE
Un accord a été conclu en vue de renouveler le Conseil général du pouvoir judiciaire, organe chapeautant l’appareil judiciaire. Du fait de l’absence d’accord entre les principaux partis politiques, il fonctionnait depuis cinq ans avec un mandat expiré.
Août a été le mois le plus chaud jamais enregistré depuis 1961 (avec 2 °C de plus que la moyenne relevée sur la période 1991-2020). Ces températures élevées ont contribué à 3 160 décès au moins.
TRANSFERTS D'ARMES IRRESPONSABLES
En mai et novembre, le gouvernement a refusé d’autoriser trois navires transportant des armes à destination d’Israël à faire escale sur le territoire espagnol. La Commission maritime fédérale des États-Unis a ouvert une enquête contre l’Espagne.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Droit à la santé
Des données publiées par le ministère de la Santé ont montré que le gouvernement national et les gouvernements des communautés autonomes ne protégeaient pas de manière adéquate le droit à la santé, leurs investissements étant insuffisants. Le pourcentage de leurs budgets alloués à la santé publique et à la santé primaire était en baisse depuis 2020.
En octobre, un tribunal a relancé une procédure pour homicide par négligence concernant le décès d’une femme dans une maison de retraite pendant la pandémie de COVID-19. Selon les résultats d’une enquête publiée en mai, la communauté autonome de Madrid avait ordonné de ne pas envoyer à l’hôpital les personnes âgées présentant une incapacité physique modérée à sévère ou une déficience cognitive.
Droits en matière de logement
Les mesures de gel des expulsions de personnes en situation de précarité économique ont été maintenues. La Loi sur le droit au logement ne garantissait pas les protections requises par les normes internationales ; 20 581 expulsions ont ainsi été enregistrées au cours des neuf premiers mois de 2024.
Seules deux communautés autonomes appliquaient la formule d’encadrement des loyers prévue par la loi ; de ce fait, le prix des locations augmentait généralement de manière disproportionnée par rapport au salaire moyen.
En septembre, le Comité européen des droits sociaux a estimé que l’Espagne n’avait pas fait respecté le droit à un logement convenable des plus de 4 500 personnes, dont 1 800 enfants, touchées par des coupures d’électricité dans le quartier de Cañada Real, à Madrid, la capitale du pays.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
En septembre, une modification du Plan national intégré 2021-2030 pour l’énergie et le climat a accru l’objectif de réduction des émissions en le portant à 32 % par rapport à 1990, ce qui était bien inférieur aux 55 % prévus par l’UE.
Le 29 octobre, des pluies torrentielles dans la région de Valence, rendues plus probables par le changement climatique imputable aux activités humaines, ont provoqué le débord de plusieurs cours d’eau et des crues soudaines. Pas moins de 224 morts liées aux inondations ont été recensées dans trois communautés autonomes. Quelque 190 000 personnes ont été touchées, selon les estimations, et des habitations et infrastructures ont été endommagées. Malgré plusieurs avertissements émis dans la matinée par l’agence météorologique espagnole, le message d’alerte n’a été massivement envoyé qu’après 20 heures, lorsque la situation était déjà critique depuis plusieurs heures et l’évacuation impossible pour la plupart des habitant·e·s.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
L’Audience nationale a rouvert en avril l’enquête portant sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus contre le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement. Aucune avancée n’a été constatée quant aux actions en justice relatives à l’utilisation de Pegasus contre des militant·e·s et des responsables politiques indépendantistes en Catalogne. Le procureur a proposé de clore l’enquête visant l’ancienne directrice du Centre national du renseignement pour le piratage du téléphone de l’ancien président de la Catalogne, concluant qu’elle avait agi sous contrôle de la justice.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Le gouvernement a approuvé le Plan d’action pour la démocratie visant à renforcer la transparence, le pluralisme et le droit à l’information. Il prévoyait entre autres une réforme de la législation restreignant la liberté d’expression, notamment avec une modification du Code pénal, de la Loi sur la protection de la sécurité des citoyens (dite « Loi bâillon ») et de la Loi de 1968 sur les secrets officiels.
L’Audience nationale a reçu une plainte contre deux militantes d’un mouvement de solidarité avec le peuple palestinien accusées de glorification du terrorisme en raison de leurs déclarations lors d’un événement au Parlement. Une juge d’instruction a clos les poursuites contre l’une des militantes, mais cette décision a fait l’objet d’un recours.
Une enquête judiciaire a été ouverte en septembre contre cinq personnes accusées d’avoir offensé les sentiments religieux du public lors d’une représentation artistique simulant une procession religieuse.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
La loi d’amnistie adoptée en 2024 a été appliquée au cours de l’année, y compris pour des cas d’usage illégal de la force par les forces de sécurité lors du référendum de 2017 sur l’indépendance de la Catalogne. En juillet, la Cour suprême a contesté la constitutionnalité de cette loi devant la Cour constitutionnelle et l’Audience nationale a soulevé la question de sa compatibilité avec le droit de l’UE devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Un tribunal a refusé d’enquêter sur le cas d’un agent infiltré dans des mouvements sociaux à Barcelone, et le Parlement a rejeté une initiative non législative demandant une enquête sur ce genre d’infiltrations présumées.
En mai, un juge a clos l’enquête sur le cas d’une femme qui avait perdu un œil après avoir été touchée par un projectile en mousse tiré par la police en février 2021 lors d’une manifestation, estimant que la victime s’était « mise elle-même en danger » en prenant part au rassemblement. Le recours formé par cette femme contre la décision a été rejeté en octobre.
Un manifestant a commencé à purger une peine d’emprisonnement pour avoir participé à un rassemblement en 2019 ; il a été condamné pour troubles à l’ordre public et agression contre l’autorité uniquement sur la base du récit que la police a fait des événements.
Huit militant·e·s des droits en matière de logement qui encouraient des peines allant jusqu’à 38 mois d’emprisonnement étaient toujours en attente de leur procès pour l’occupation pacifique d’une succursale bancaire en 2017.
Vingt-sept militant·e·s pour le climat faisaient l’objet d’une enquête pour participation à une organisation criminelle en raison de leur rôle dans des actions directes non violentes.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
La justice a refusé de mener des enquêtes dans des affaires concernant des actes de torture commis sous le régime franquiste, à la suite d’une décision rendue en juin par la Cour constitutionnelle qui a une fois de plus estimé que l’Espagne n’était pas tenue au regard du droit international de diligenter des enquêtes judiciaires sur de tels actes.
Le gouvernement n’a pas pleinement mis en œuvre la Loi sur la mémoire démocratique, entrée en vigueur deux ans plus tôt, alors que les recherches médicolégales se poursuivaient dans la Valle de Cuelgamuros (anciennement Valle de los Caídos) afin de restituer aux familles les restes de victimes du régime franquiste.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Les violences fondées sur le genre persistaient ; 47 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon au cours de l’année et, au premier semestre, cinq ont été tuées par une autre personne. Depuis 2013, année où des statistiques ont commencé à être compilées, 62 mineur·e·s au total ont été tués dans le contexte de violences liées au genre perpétrées contre leur mère, dont neuf en 2024.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
La Cour constitutionnelle a rejeté un recours contre une modification apportée au Code pénal en 2022 qui interdisait aux groupes anti-avortement de harceler les personnes cherchant à obtenir des services d’interruption volontaire de grossesse. Elle a également rejeté un recours formé contre la loi sur l’avortement et confirmé la suppression du délai de réflexion de trois jours et le droit d’interrompre une grossesse à partir de 16 ans sans le consentement d’un parent ou d’une personne exerçant la tutelle.
Le Parlement a rejeté en mai une proposition de loi du Parti socialiste visant à réprimer pénalement divers aspects du travail du sexe et qui aurait pu porter atteinte aux droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Les droits des mineur·e·s migrants non accompagnés ont pâti de la surpopulation dans les centres d’accueil des îles Canaries. Le gouvernement central a proposé une relocalisation systématique de ces enfants dans d’autres endroits répartis dans tout le pays, mais la plupart des communautés autonomes ont rejeté cette proposition. Le Parlement a rejeté en juillet une proposition de loi de modification de la loi sur les personnes étrangères qui visait à permettre le transfert obligatoire des enfants migrants non accompagnés vers d’autres communautés afin d’assurer leur bien-être.
La procureure des îles Canaries a annoncé en septembre l’ouverture d’une enquête sur les allégations selon lesquelles des enfants migrants non accompagnés auraient été maltraités dans des centres d’accueil situés sur l’archipel.
Des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été retenues dans des conditions d’accueil déplorables à l’aéroport de Madrid. Au moins 400 personnes venant principalement d’Afrique, dont 100 femmes (enceintes pour certaines) et des enfants, sont restées entassées en février dans des pièces dépourvues de lumière naturelle qui n’avaient pas été conçues pour les accueillir. Elles ont été détenues pendant plusieurs semaines dans ces locaux. En septembre, le gouvernement a refusé d’autoriser l’entrée sur le territoire national de plusieurs militant·e·s du Sahara occidental qui avaient sollicité une protection à leur arrivée à l’aéroport.
DISCRIMINATION
Publié en septembre, le rapport annuel du procureur général pour l’année 2023 a fait état d’une augmentation de 300 % par rapport à l’année précédente du nombre d’enquêtes liées à des crimes de haine. Il a également mis en garde contre « la crispation et la polarisation excessives » dans le discours politique, considérant qu’elles alimentaient la diffusion d’une désinformation à l’égard des personnes migrantes et d’autres minorités.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
En juillet, la Cour constitutionnelle a jugé recevables les recours formés par le gouvernement contre plusieurs modifications de la Loi sur l’identité de genre (Loi no 3/2016) et de la Loi sur les personnes trans (Loi no 2/2016) approuvées en 2023 par la communauté autonome de Madrid. La Cour a suspendu de façon conservatoire les dispositions contestées qui, d’une part, autorisaient les thérapies de conversion et, d’autre part, instauraient l’obligation pour les mineur·e·s de se soumettre à une évaluation psychologique ou psychiatrique avant d’entamer un processus de transition.
SURVEILLANCE DE MASSE
En juillet, Amnesty International a adressé au gouvernement une demande d’information après que la police nationale eut confirmé qu’elle utilisait des technologies de reconnaissance faciale depuis au moins août 2023. La police disposerait dans sa base de données de 4,4 millions de profils de personnes placées en détention.

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