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Un policier Burundais jette une grenade lacrymogène pendant une manifestation contre le Président Pierre Nkurunziza postulant pour un troisième mandat dans le quartier Cibitoke de Bujumbura, le 29 mai 2015.© EPA
Burundi
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Burundi en 2024.
Des journalistes et d’autres personnes ayant critiqué les autorités ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de détention et d’agressions physiques. Certaines infractions pouvant être imputées aux médias ont été dépénalisées. L’État a continué de s’ingérer dans les affaires internes de l’opposition politique. Des arrestations et des disparitions forcées de membres de l’opposition ont eu lieu cette année encore. Les soins médicaux dispensés aux personnes détenues étaient insuffisants. Le mandat de la Commission vérité et réconciliation a été étendu aux différends fonciers. Les personnes LGBTI et les femmes non mariées étaient toujours en butte à la discrimination. La crise du coût de la vie s’est aggravée avec la hausse des prix des combustibles et des produits alimentaires. Plus de 86 000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays en raison de phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique, et plus de 289 500 Burundais·es étaient réfugiés dans les pays voisins.
CONTEXTE
À l’approche des élections législatives et locales de 2025, un nouveau code électoral, adopté en juin, a considérablement accru le montant de la caution que les candidat·e·s devaient verser pour pouvoir se présenter.
Le premier recensement national organisé depuis 2008 s’est déroulé en septembre et a permis de recueillir des données sur la population, le logement, l’agriculture et l’élevage.
Les tensions avec le Rwanda ont persisté. En janvier, le Burundi a fermé sa frontière avec ce pays à la suite d’attaques revendiquées par le groupe armé Résistance pour un état de droit au Burundi (RED-Tabara), que le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo [ONU] a accusé le Rwanda de soutenir. Les forces armées du Burundi ont poursuivi leur déploiement dans l’est de la République démocratique du Congo, en vertu d’un accord bilatéral conclu en février entre les deux pays après le retrait des forces régionales de la Communauté de l’Afrique de l’Est en décembre 2023.
En juin, le Sous-Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme a recommandé que la Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi soit rétrogradée en raison de son manque d’indépendance et d’efficacité. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a renouvelé en octobre le mandat du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Le 13 février, la chambre de cassation de la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité de Floriane Irangabiye, en rapport avec ses critiques à l’égard du gouvernement. La journaliste a obtenu une grâce présidentielle le 14 août et a été libérée le 16.
La journaliste Sandra Muhoza a été arrêtée le 12 avril, puis inculpée d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et d’« aversion ethnique » pour des commentaires qu’elle avait formulés dans un groupe WhatsApp. Son procès, fixé au 5 septembre, a été reporté à plusieurs reprises, officiellement faute de carburant pour transporter les détenu·e·s au tribunal. Lors d’une audience qui s’est déroulée le 12 novembre, le ministère public a requis une peine de 12 ans d’emprisonnement. La journaliste a été déclarée coupable le 16 décembre et condamnée à 21 mois de réclusion.
Plusieurs journalistes d’Iwacu (l’un des derniers médias indépendants) et d’autres médias privés ont fait l’objet d’agressions physiques, d’arrestations et de placements en détention. Le 6 juin, le Conseil national de la communication, un organe officiel, a adressé un avertissement à Iwacu pour « faute professionnelle grave », citant plusieurs articles publiés par ce magazine, sans toutefois préciser en quoi ils posaient problème. Dans la nuit du 25 juin, des personnes inconnues ont jeté des pierres pendant plusieurs heures sur les bureaux d’Iwacu à Bujumbura.
La législation relative aux médias a été révisée pour la quatrième fois depuis 2013, avec l’adoption de ce qui a été décrit comme une dépénalisation partielle des infractions pouvant être imputées aux médias. Aux termes de la nouvelle loi, promulguée par le président en juillet, la sanction encourue par toute personne publiant ou diffusant des informations constitutives de délits d’« injure », d’« imputation dommageable », d’« outrage », de « diffusion de fausses nouvelles », d’« outrage public aux bonnes mœurs », de « dénonciation calomnieuse », d’« atteinte à la vie privée », d’« atteinte à la présomption d’innocence » ou de « révélation de l’identité d’une victime de violences sexuelles » est passée d’une peine d’emprisonnement à une amende.
Cette année encore, l’État s’est ingéré dans les affaires internes du Congrès national pour la liberté (CNL), un parti d’opposition. En mars, le ministre de l’Intérieur a refusé que le président du CNL, Agathon Rwasa, organise un congrès extraordinaire. Le même mois, il a pris acte officiellement et rapidement du compte rendu et des résultats d’un congrès extraordinaire tenu par des membres du CNL opposés à Agathon Rwasa, lors duquel celui-ci a été démis de ses fonctions à la tête du parti. Nestor Girukwishaka, qui a remplacé Agathon Rwasa, était considéré comme un proche du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi-Forces pour la défense de la démocratie au Burundi (CNDD-FDD).
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Des arrestations de membres de partis d’opposition, notamment du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, du Front pour la démocratie au Burundi et du CNL, ont été signalées régulièrement. En mars, des membres du CNL fidèles à Agathon Rwasa ont été arrêtés devant ou en chemin vers le lieu où se tenait le congrès lors duquel celui-ci a été remplacé (voir Liberté d’expression, d’association et de réunion).
La syndicaliste Émilienne Sibomana a été libérée de prison le 21 novembre, soit plus de quatre mois après avoir été relaxée, le 28 juin, par la cour d’appel de Gitega, des accusations de « dénonciation calomnieuse » qui pesaient sur elle. Elle avait été arrêtée en janvier 2023, au lendemain d’une réunion publique à laquelle participait le ministre de l’Éducation et au cours de laquelle elle avait accusé un directeur d’établissement scolaire d’agression sexuelle.
DISPARITIONS FORCÉES
Le Forum pour la conscience et le développement, une ONG burundaise, a recensé 34 cas de disparition forcée entre janvier et juin, principalement de membres de partis d’opposition. À la fin du mois de juin, on ignorait toujours ce qu’il était advenu de 24 de ces personnes et où elles se trouvaient.
CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES
Des détenu·e·s ont été privés de soins médicaux adaptés et de visites de leur famille. Les prisons souffraient d’une surpopulation chronique.
Christophe Sahabo, arrêté en avril 2022 dans le cadre d’un différend au sujet de la gestion du Kira Hospital, était toujours en détention et la procédure judiciaire le concernant accusait un important retard. Lors d’une audience tenue le 10 septembre au tribunal de grande instance de Muha, à Bujumbura, il a vomi et a perdu connaissance ; il a été emmené à l’hôpital, où il a passé des examens et entamé un traitement. Bien que l’équipe médicale ait recommandé de le maintenir en observation pendant plusieurs jours, il a été renvoyé le 12 septembre à la prison de Ruyigi (à 160 kilomètres de l’hôpital). Des membres de sa famille se sont vu refuser l’accès à la prison lorsqu’ils sont venus lui rendre visite le 14 septembre. Deux médecins indépendants ont consulté son dossier médical et ses résultats d’examen ; ils ont confirmé que son pronostic vital pourrait être engagé et qu’il avait besoin de soins médicaux de toute urgence.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
En mai, le mandat de la Commission vérité et réconciliation (CVR) a été renouvelé pour quatre années supplémentaires. Il a été considérablement élargi, la CVR étant désormais responsable du traitement des affaires demeurées non résolues lorsque le mandat de la Commission nationale des terres et autres biens (CNTB) a pris fin, en 2022, ainsi que des nouveaux différends fonciers. Entre 2006 et 2022, la CNTB était chargée de régler les litiges fonciers liés au retour de personnes réfugiées ou déplacées qui avaient fui lors d’épisodes de violence. Selon la législation régissant la CVR, les décisions de celle-ci ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours en justice.
DISCRIMINATION
L’accusation et la défense ont toutes deux interjeté appel dans l’affaire de 24 personnes arrêtées en février 2023 à Gitega, la capitale, lors d’un atelier sur l’insertion économique. Ces personnes, ainsi que deux autres ajoutées ultérieurement au dossier, avaient été poursuivies pour « homosexualité » et « incitation à la débauche ». En janvier, la cour d’appel de Gitega a relaxé les 26 prévenu·e·s de la charge d’« homosexualité ». Cinq personnes ont été déclarées coupables d’« incitation à la débauche » et condamnées à un an d’emprisonnement assorti d’une amende. Elles ont été libérées en février.
Cette année encore, de hauts représentants de l’État ont tenu des propos violents et incendiaires à l’égard des personnes LGBTI. Lors d’un discours prononcé en mars à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le président Évariste Ndayishimiye a déclaré en kirundi : « Je l’ai dit et je le répète, les homosexuels devraient être lapidés en public. »
Des membres des autorités de plusieurs provinces ont mené une campagne contre le « concubinage » (cohabitation de deux personnes non mariées, illégale en droit burundais). En conséquence de celle-ci, 900 femmes et 3 600 enfants de la province de Ngozi ont été emmenés loin de chez eux entre janvier et juin. Le gouverneur de cette province a donné jusqu’au 30 juin à 1 300 couples non enregistrés à l’état civil pour régulariser leur mariage.
DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
La situation économique difficile du Burundi s’est encore dégradée et les pouvoirs publics n’ont pas réagi efficacement. Les taux d’inflation élevés et le manque de devises fortes ont contribué à de graves pénuries de carburant. La population a alors rencontré des difficultés pour se rendre au travail. Les prix des denrées alimentaires ont grimpé en flèche : le prix du sucre, par exemple, a augmenté de 150 % mi-septembre. En juillet, le prix des pommes de terre se situait 45 % au-dessus de sa moyenne sur cinq ans.
Comme lors des cycles électoraux précédents, il a été signalé à maintes reprises à partir du mois d’août que des personnes et des entreprises avaient été forcées à verser des contributions au CNDD-FDD, sous peine d’être privées de certains services.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
En décembre, il restait 86 159 personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont 93 % étaient parties de chez elles à cause de phénomènes météorologiques extrêmes en partie imputables au changement climatique, notamment des pluies torrentielles, des glissements de terrain, des débordements de cours d’eau et des inondations sur les rives du lac Tanganyika. Ces phénomènes ont touché au moins 298 000 personnes au total. L’initiative World Weather Attribution a engagé le Burundi à améliorer ses politiques en matière de préparation aux catastrophes et ses systèmes d’alerte rapide afin de réduire les conséquences de ces événements. Avec l’aide du PNUD, les pouvoirs publics ont lancé en septembre un projet de résilience climatique doté de 10 millions de dollars des États-Unis dans certaines des régions les plus touchées et autour de Bujumbura.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Au 31 décembre, 289 621 Burundais·es étaient réfugiés dans les pays voisins ; 20 081 personnes réfugiées dans des pays de la région, principalement la Tanzanie, sont retournées au Burundi en 2024. Ces personnes de retour représentaient 7 % des personnes déplacées sur le territoire burundais. Dans les provinces frontalières de Kirundo et de Cankuzo, cette proportion était de 35 % et 21 %, respectivement.
Les autorités tanzaniennes ont envoyé des messages contradictoires au sujet de l’avenir des Burundais·es réfugiés dans leur pays. En mars, le commissaire de la région de Kigoma (Tanzanie) a organisé une grande réunion avec des personnes réfugiées, appelant une nouvelle fois les réfugié·e·s burundais à s’inscrire en vue de leur rapatriement volontaire. Il a ajouté que le statut de réfugié serait révoqué en janvier 2025 et que le camp de Nduta serait fermé le 31 décembre 2024 au plus tard. Le ministère tanzanien de l’Intérieur a par la suite certifié au HCR que les camps resteraient ouverts et que personne ne serait contraint de retourner dans son pays.
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