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© Aziz Karimov/Demotix/Corbis
Azerbaïdjan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Azerbaïdjan en 2024.
L’année a été marquée par une forte dégradation du respect des droits humains. Les autorités ont continué de s’opposer dans la pratique à tout contrôle indépendant en la matière. L’impunité est restée la norme pour les atteintes aux droits fondamentaux commises dans le cadre du conflit concernant la région du Haut-Karabakh. Les ONG et la presse indépendantes étaient toujours en butte à des restrictions arbitraires. Un certain nombre de défenseur·e·s des droits humains et de militant·e·s ont été arrêtés en raison de leurs activités, pourtant légitimes. Des manifestations pacifiques ont été réprimées. La torture et d’autres formes de mauvais traitements restaient monnaie courante. Des personnes LGBTI ont été victimes d’un déni de justice.
CONTEXTE
L’Azerbaïdjan a accueilli la COP29 en novembre. Plusieurs hauts responsables de l’équipe chargée de l’organisation de cette conférence ont été accusés de vouloir profiter de cette occasion pour conclure de nouveaux contrats d’exploitation d’énergies fossiles. L’accord avec le pays hôte n’a jamais été rendu public, mais une version du texte qui a filtré montrait que les droits humains n’y étaient pas sérieusement protégés.
Les autorités ont fait barrage aux initiatives visant à assurer un certain contrôle sur place, refusant de coopérer avec les organes intergouvernementaux internationaux et les organisations de la société civile, notamment en matière de droits fondamentaux. En janvier, le gouvernement a menacé de se retirer du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, après que l’Assemblée parlementaire dudit Conseil (APCE) eut suspendu les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise pour manque de coopération et dégradation de la situation relative aux droits humains. Les autorités ont par ailleurs limité les activités de surveillance de l’élection présidentielle anticipée de février, remportée par le président sortant et critiquée par les organismes d’observation pour son manque de pluralisme.
Les négociations de paix avec l’Arménie ont progressé, l’Azerbaïdjan ayant accepté en août de renoncer à la création du « corridor de Zanguezour » reliant l’enclave du Naxçivan au reste du pays, en passant par l’Arménie. Bakou a cependant formulé de nouvelles conditions, demandant à l’Arménie de modifier sa Constitution pour en faire disparaître toute référence à une quelconque unité avec le Haut-Karabakh. Ces revendications, ainsi que le différend qui persistait concernant le tracé des frontières, hypothéquaient encore davantage les efforts déployés pour parvenir à un accord définitif.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
L’impunité est restée la norme pour les atteintes aux droits fondamentaux commises dans le cadre du conflit concernant la région du Haut-Karabakh. Le 24 janvier, lorsque l’APCE a suspendu les pouvoirs de l’Azerbaïdjan, elle s’est une fois de plus dite préoccupée par le refus du pays de reconnaître les graves conséquences humanitaires et en termes de droits humains de sa décision de restreindre l’accès au Haut-Karabakh depuis l’Arménie, via le corridor de Latchine. L’APCE a également redit sa condamnation de l’opération militaire lancée en septembre 2023 par l’Azerbaïdjan, qui a entraîné le déplacement vers l’Arménie de toute la population arménienne du Haut-Karabakh (soit plus de 100 000 personnes). À la fin de l’année, ces personnes n’avaient toujours pas pu exercer leur droit à un retour digne et en toute sécurité.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET D'ASSOCIATION
Les ONG et la presse indépendantes étaient toujours en butte à des restrictions arbitraires. Elles se heurtaient notamment à l’impossibilité d’obtenir une reconnaissance officielle et à des obligations de déclaration extrêmement pesantes. Le secteur des médias restait, de fait, sous le contrôle de l’État et l’autocensure y était très répandue. L’élection présidentielle, comme la COP29, a été précédée par de nouvelles vagues d’arrestations de journalistes indépendants et, plus largement, de personnes critiques à l’égard du gouvernement. Le défenseur des droits humains Anar Mammadli, lauréat du Prix des droits de l’homme Václav Havel 2014 de l’APCE, a été arrêté en avril et placé en détention provisoire dans l’attente de son procès pour importation illégale de devises, une accusation fondée sur des éléments forgés de toutes pièces. Son arrestation est intervenue peu après la publication par le Centre de surveillance des élections et d’études de la démocratie, dont il était président, d’une analyse de la manière dont s’était déroulé le scrutin présidentiel de février, et au moment où, en compagnie d’autres défenseur·e·s des droits humains, il annonçait la création d’une coalition en faveur de la justice climatique dans la perspective de la COP29.
Une quinzaine de journalistes arrêtés en 2023 étaient toujours en détention arbitraire. Au moins 11 journalistes travaillant pour les quelques organes de presse encore indépendants d’Azerbaïdjan et accusés à tort d’avoir introduit illégalement des devises dans le pays, en relation avec un financement présumé par des donateurs occidentaux, ont vu leur détention provisoire prolongée.
Le 6 mars, des policiers ont fait irruption dans les locaux de Toplum TV, l’une des dernières chaînes d’information indépendantes du pays, ainsi que dans ceux de l’Institut des initiatives démocratiques (IDI), dont elle était proche, et de la Plateforme pour la Troisième République, une formation d’opposition. Un certain nombre de journalistes et de militant·e·s ont été arrêtés sur la base d’éléments forgés de toutes pièces, dont le fondateur de Toplum TV Alasgar Mammadli, le journaliste Mushfig Jabbar, les membres du bureau de la Plateforme pour la Troisième République Akif Gurbanov et Ruslan Izzetli, ainsi que deux militants de l’IDI, Ramil Babayev et Ali Zeynalov. Imran Aliyev et Farid Mehralizade, deux journalistes indépendants arrêtés respectivement le 18 avril et le 29 mai et accusés à tort d’importation illégale de devises, étaient eux aussi toujours détenus.
Le ministère public a prononcé entre les mois d’août et de novembre de nouvelles charges contre les journalistes de la publication d’investigation Abzas Media détenus de façon arbitraire depuis novembre 2023, les accusant sans le moindre fondement d’exercice illégal d’une activité commerciale, de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale. En cas de condamnation, Ulvi Hasanli et Mahammad Kekalov, respectivement directeur et directeur adjoint de la publication, Sevinj Vagifgizi, rédactrice-en-chef, et trois journalistes – Nargiz Absalamova, Elnara Gasimova et Hafiz Babali – encouraient entre huit et 12 années d’emprisonnement.
Les chercheurs Igbal Abilov et Bahruz Samadov ont été arrêtés pour trahison en juillet et en août, respectivement, sur la base de fausses accusations. Ils étaient toujours en détention provisoire à la fin de l’année, privés de tout contact avec leurs familles.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
La liberté de réunion a cette année encore fait l’objet de restrictions importantes et abusives. Des personnes ayant participé à des manifestations non violentes ont de nouveau été emprisonnées.
Le syndicaliste Aykhan Israfilov a été condamné en avril à trois ans d’emprisonnement pour atteinte à la législation sur les stupéfiants, sur la foi d’éléments forgés de toutes pièces. Il lui était en réalité reproché d’avoir pris part en août 2023 à des manifestations pacifiques de livreurs.
Deux militants qui avaient soutenu des manifestations écologistes organisées en 2023 à Söyüdlü, un village du district de Gadabay, ont eux aussi été reconnus coupables d’atteinte à la législation sur les stupéfiants sur la base d’accusations fallacieuses (voir Droit à un environnement sain). Joshgun Musayev, qui avait imprimé des affiches pendant ce mouvement de protestation, a été arrêté au mois d’août et condamné à trois ans de réclusion. Nazim Baydamirli, un ancien député, a été arrêté en octobre, peu de temps après avoir fait part de son soutien aux manifestant·e·s. Il a été condamné à huit ans d’emprisonnement.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et les autres mauvais traitements restaient monnaie courante, de même que l’impunité des auteurs de tels actes. Fait peu habituel, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants [Conseil de l’Europe] a fait le 3 juillet une déclaration publique dans laquelle il dénonçait le refus persistant des autorités azerbaïdjanaises de coopérer avec lui et de répondre à certaines préoccupations formulées de longue date, concernant notamment le recours généralisé à de mauvais traitements physiques (y compris, à l’occasion, à la torture) par la police. Il a demandé aux autorités azerbaïdjanaises d’en finir avec « l’alliance détestable » entre, d’une part, le recours persistant à la torture et à d’autres mauvais traitements physiques par la police et, d’autre part, des pratiques extrêmement courantes consistant à menacer, à déposer chez les gens des éléments incriminants, à arracher des « aveux » sous la contrainte et à se livrer à des extorsions de fonds.
Ulvi Hasanli (voir Liberté d’expression et d’association) a publié le 24 juillet une lettre ouverte dans laquelle il affirmait que plusieurs de ses codétenus étaient victimes de torture et d’autres mauvais traitements (notamment des coups systématiques).
En détention, les personnes critiques à l’égard du gouvernement ont continué de se voir refuser les soins médicaux dont elles avaient besoin, ce qui se traduisait par une nette détérioration de leur état de santé. C’était notamment le cas d’Anar Mammadli, d’Alasgar Mammadli, de Ruslan Izzetli, d’Aziz Orujov, de Fazil Gasimov et de Famil Khalilov. L’universitaire Gubad Ibadoghlu a finalement été assigné à domicile le 22 avril en raison de la dégradation de son état de santé, après avoir passé 274 jours en détention provisoire. Une enquête fondée sur des éléments mensongers était cependant toujours en cours à son sujet et il n’avait pas le droit de quitter l’Azerbaïdjan pour se faire soigner.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
La Cour européenne des droits de l’homme a radié le 19 avril l’affaire A. c. Azerbaïdjan et 23 autres requêtes associées, après que l’Azerbaïdjan eut fait une déclaration unilatérale, dans laquelle il reconnaissait le fait qu’il y avait eu violation des droits des requérant·e·s et s’engageait à les indemniser. Ces personnes avaient déclaré, entre autres, qu’elles étaient victimes de discrimination, d’arrestations arbitraires, de mauvais traitements et d’examens médicaux forcés en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. La décision de la Cour, dénoncée comme un déni de justice par un certain nombre de militant·e·s, n’a pas permis qu’une réponse soit apportée à ces allégations, les autorités n’ayant finalement ni mené les enquêtes nécessaires ni traduit les responsables devant les tribunaux. Dès 2019, les requérant·e·s avaient affirmé devant la Cour ne pas se satisfaire des termes de la déclaration unilatérale du gouvernement azerbaïdjanais sur laquelle celle-ci a finalement fondé sa décision.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Les pouvoirs publics ont autorisé le 5 août le redémarrage de l’exploitation de la mine d’or de Söyüdlü et l’extension du bassin de stockage des rejets toxiques. Les activités sur ce site avaient été suspendues pendant un an, à la suite de manifestations écologistes organisées en 2023 pour protester contre la non-conformité du système de rétention des boues toxiques émises par les opérations d’extraction. Selon des riverain·e·s et des militant·e·s écologistes, ces rejets causaient de graves problèmes de santé et polluaient les terres agricoles environnantes. Les manifestations avaient été violemment réprimées par les autorités.

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