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Réfugiés à la frontière entre la Hongrie et la Serbie
Réfugiés bloqués à la frontière entre la Hongrie et la Serbie © Orsolya Jeney

Réfugiés bloqués à la frontière entre la Hongrie et la Serbie © Orsolya Jeney

Liberté d'expression

La hargne du Hongrois Orbán

D’après Viktor Orbán, les ONG financées par la Fondation Open Society de Soros amènent « des centaines de milliers de migrants en Europe » et veulent « mettre à terre l’Assemblée et le gouvernement issus de la volonté du peuple ».

Dans son discours annuel sur l’état de la Hongrie, le 10 février dernier, le Premier ministre Viktor Orbán énumère cinq dangers menaçant le pays qu’il dirige d’une main de fer depuis sept ans. Bruxelles, l’immigration illégale et les organisations non gouvernementales (ONG) soutenues par le milliardaire américano-hongrois George Soros figurent en bonne place sur cette liste. D’après Viktor Orbán, les ONG financées par la Fondation Open Society de Soros amènent « des centaines de milliers de migrants en Europe » et veulent « mettre à terre l’Assemblée et le gouvernement issus de la volonté du peuple ». Pourtant, si l’aspirant-juriste Orbán a pu étudier à Oxford en 1989, c’est bien grâce à une généreuse bourse Soros. Mais vingt-huit ans plus tard, il dépeint son ex-bienfaiteur comme l’ennemi numéro un du régime.

Une vraie trahison, tant la trajectoire d’Orbán est liée à l’homme d’affaires originaire de Budapest. Sans les 4,7 millions de forints (643 000 euros aujourd’hui, ndlr) offerts par l’Open Society à la prometteuse Fidesz (le parti actuellement au pouvoir, ndlr) qu’il venait de fonder, le jeune dissident anticommuniste n’aurait jamais eu les moyens de mener la campagne des législatives 1990 le propulsant sur les bancs de l’Assemblée. Le talent oratoire avec lequel il avait hier séduit Soros, Viktor Orbán le met désormais au service de sa campagne anti-ONG.

Le gouvernement estime que notre action viole les intérêts nationaux puisqu’elle serait soi-disant influencée par des intérêts étrangers. Avant 2010, les discussions étaient parfois tendues mais il y avait au moins un respect mutuel. Les administrations précédentes nous consultaient lorsqu’elles élaboraient un texte de loi. Le pouvoir actuel ne veut même plus maintenir un semblant de dialogue. Il nous attaque sur la transparence alors que le droit hongrois nous impose de dévoiler l’origine de nos subventions ».

déplore Gábor Gyulai du Comité Helsinki Budapest, une association de défense des droits humains.

L’exemple israélien

Si les ONG magyares marquées du sceau Soros n’ont pas encore été totalement black-listées comme à Moscou, elles pourraient en revanche être contraintes d’apposer la mention « financée par des fonds étrangers » sur leurs documents officiels. Bien que Budapest entretienne le flou autour du texte qu’elle mijote, celui-ci semble inspiré d’une loi israélienne votée en juillet dernier. L’idée aurait été soufflée à Viktor Orbán par le consultant Arthur J. Finkelstein, éminence grise de Benjamin Netanyahou. Dans le projet de loi déposé le 7 avril par le parti Fidesz, il est prévu d’obliger les ONG à déclarer toutes leurs ressources étrangères et que les noms des donateurs figurent sur un site publié par l’exécutif.

Pourtant, Orbán le militant libéral-démocrate d’antan magnifiait le rôle de la société civile dans son mémoire de licence s’inspirant du cas Solidarnosc (1987). Son parti tout juste créé se définissait fièrement comme composante de cette « famille » avec laquelle il a longtemps entretenu d’excellents rapports, y compris au début de sa mandature 2010-2014. À l’époque, il accepte sans réserve un don d’un million de dollars de l’Open Society destiné à réparer les dégâts causés par la catastrophe des boues rouges, un accident de l’usine d’aluminium d’Ajka ayant fait dix morts et gravement pollué les sols en octobre 2010. Orbán sollicitait aussi ce levier lorsqu’il était le porte-drapeau de l’opposition.

« Il nous a appelés au secours en 2006-2007 afin d’attaquer en justice les violences policières commises à l’égard des manifestants s’opposant au pouvoir socio-démocrate de l’époque. Et voilà comment il nous remercie aujourd’hui ! », ironise Stefánia Kapronczay, directrice de l’Association hongroise pour les libertés civiles (TASZ) figurant au premier rang de « l’empire Soros » à « nettoyer » selon la formule-choc de Szilárd Németh, vice-président de la Fidesz. « Orbán nous cible car il n’a pas d’opposition politique crédible en face. Répondre violemment ne ferait qu’attiser le feu nourri contre nous. Poursuivre notre action coûte que coûte est la meilleure riposte », poursuit Stefánia Kapronczay.

« Agents étrangers »

Au cœur de Budapest, le 18 mars dernier, des conférenciers invités par l’alliance magyare des étudiants identitaires, dont l’extrémiste anglais Nick Griffin longtemps à la tête du British National Party, ont fustigé l’action en faveur des réfugiés menée par des ONG estampillées Soros. Elles y étaient accusées de « couler l’Europe avec ses milliards et sa diversité mortifère ». Face à ce déluge de critiques, plus de 200 ONG ont signé une tribune rappelant leur utilité et l’insécurité qui menace leur rôle de vigie au sein d’une démocratie aux allures de « démocrature ». Un signal d’alarme déjà tiré à l’automne 2014 suite à la vaste offensive du KEHI : cet office de contrôle gouvernemental avait alors confisqué les dossiers d’une soixantaine d’institutions accusées de fomenter contre la Hongrie un complot qualifié de « Viking » car parrainées par le Fonds norvégien pour la société civile. Cependant, rares sont ceux, dans la sphère associative, qui croient à l’efficacité concrète de ces manifestes. Les coups de boutoir d’Orbán et ses fidèles grignotent l’optimisme et l’espace d’expression de la société civile.

« Cette stratégie de la tension dissuade de nombreux donateurs craignant des représailles. Qui plus est, les ONG n’ont aucune voix au chapitre dans les médias d’État, à l’instar de ce qui se déroule en Israël, en Turquie et en Russie. La rhétorique poutinienne d’Orbán nous assimile à des « agents étrangers » agissant tels des espions alors que l’appui budgétaire de Soros à notre siège londonien est assumé », témoigne Áron Demeter d’Amnesty International Hongrie qui prépare une campagne dévoilant la façon dont l’exécutif entrave l’action des associations de défense des droits humains.

« Parti du migrant »

Les autorités rivalisent en effet d’obstacles visant les ONG plus ou moins soutenues par Soros. Budapest Pride, pilier de la sphère LGBTQ locale, s’est vu refuser la location d’une salle pour une soirée culturelle car celle-ci aurait valorisé des « intérêts politiques ». Le think-tank Eötvös Károly Intézet a dû déplacer une conférence sur la démocratie d’une université à un bar sans motif justifié. Les activistes de Krétakőr encourageant l’éducation culturelle et l’aide aux démunis ont subi des audits fiscaux inhabituellement longs et fouillés les empêchant de candidater à plusieurs appels d’offres. Le Comité Helsinki Budapest doit plaider ces cas devant les tribunaux européens faute de justice hongroise indépendante.

Orbán déguise les ONG en « parti du migrant » afin de mieux les discréditer aux yeux d’une population dopée à la peur du terrorisme islamiste. Une association sauvant les chatons errants est forcément moins menaçante pour lui que la nôtre taclant les violences envers les réfugiés à la frontière serbe. Au lieu d’argumenter, le gouvernement nous traite de menteurs ou de traîtres. Heureusement que nous ne sommes pas inscrits ici. Qui sait quelle manipulation administrative il inventerait pour nous coincer... »

Lydia Gall, chercheuse de Human Rights Watch en Hongrie et dans les Balkans.

De son côté, József Péter Martin deTransparency International Hongrie tempère : « Le projet de loi et les mots très durs prononcés à notre égard alimentent avant tout une bataille de communication. Le plus important pour le gouvernement n’est pas de la gagner, mais de la provoquer. Au fond, nous sommes un adversaire commode de l’exécutif comme l’Union européenne, Bruxelles et les migrants. Orbán veut certes nous affaiblir mais n’a aucun intérêt à nous abattre ».

Insultées, intimidées et fragilisées, les ONG magyares refusent néanmoins de jeter l’éponge. Mi-mars, la Cour européenne des droits de l’homme a statué en faveur du Comité Helsinki Budapest dénonçant la détention illégale de deux réfugiés pakistanais. Confinés 23 jours dans une zone de transit à la frontière hongroise, ils avaient ensuite été renvoyés en Serbie sans procédure formelle ni accès à un avocat. De son côté le Parlement européen a voté, le 18 mai, en faveur de l’application de l’article 7 qui pourrait restreindre les droits de vote de la Hongrie au Conseil européen. Une manière de lui rappeler les principes fondateurs de l’Union. Viktor Orbán poursuit néanmoins son combat contre les « mercenaires de Soros » érigé au rang de priorité nationale. Car il doit non seulement protéger son pays comme il le martèle à longueur de discours, mais surtout défendre son poste lors des élections législatives prévues en 2018.

- Joël Le Pavous pour La Chronique d'Amnesty International