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©Thomas Imo/Photothek via Getty Images
Rwanda
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Rwanda en 2024.
Des éléments attestaient d’actes de torture et d’autres mauvais traitements commis en détention mais, peu d’affaires ayant fait l’objet de poursuites, les responsables étaient rarement amenés à rendre des comptes. Des cas de disparition forcée ont été signalés. De nouvelles restrictions ont été imposées aux ONG. Les actions judiciaires engagées contre des membres de l’opposition pour leur participation à une formation à l’action non violente se sont poursuivies. Le cadre juridique applicable aux personnes réfugiées a été actualisé. Des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide ont été jugées au Rwanda et à l’étranger. Un comité de l’ONU a formulé des recommandations en vue de lutter contre les inégalités auxquelles étaient confrontées les femmes appartenant à des groupes défavorisés.
CONTEXTE
En juillet, à l’issue de l’élection présidentielle et des élections parlementaires, Paul Kagame a été réélu à la présidence de la République pour un quatrième mandat, avec 99,17 % des voix. Avant les élections, la Haute Cour avait rejeté les demandes de réhabilitation déposées par les opposants Victoire Ingabire et Bernard Ntaganda, qui avaient tous les deux purgé une peine d’emprisonnement. S’ils avaient obtenu gain de cause, leurs droits civiques auraient été rétablis et ils auraient pu se présenter aux élections.
Les Forces de défense rwandaises ont participé à des opérations militaires dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et fourni un appui au Mouvement du 23 mars, un groupe armé.
Les relations avec le Burundi restaient tendues. En janvier, ce pays a fermé sa frontière terrestre avec le Rwanda à la suite d’attaques revendiquées par un groupe armé, que le Groupe d’experts des Nations unies sur la RDC accusait le Rwanda de soutenir (voir Burundi).
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Le journaliste Dieudonné Niyonsenga, qui avait été arrêté en 2020 pour avoir évoqué les restrictions imposées dans le contexte du COVID-19 et purgeait une peine de sept ans à la prison de Mageragere pour faux, usurpation d’identité et entrave à l’action publique, a comparu en appel en janvier. Il portait des marques visibles de mauvais traitements. Il a affirmé au tribunal qu’il était fréquemment roué de coups, détenu dans un trou sombre, souvent rempli d’eau, et que son ouïe et sa vue s’en étaient trouvées diminuées. Sa déclaration de culpabilité a été confirmée en mars et aucune enquête n’a été ouverte sur ses allégations de torture. Il s’était déjà plaint au tribunal d’avoir subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention en 2022.
Dix-huit membres de l’administration pénitentiaire et prisonniers ont été poursuivis pour diverses charges, dont celles d’agression, d’homicide et de torture, pour des faits commis à la prison de Rubavu. Parmi ces personnes figurait l’ancien directeur de la prison, Innocent Kayumba, qui a été condamné en avril à une peine de 15 ans d’emprisonnement assortie d’une amende pour l’agression et le meurtre d’un détenu en 2019. Trois employés de la prison ont été acquittés, dont un autre ancien directeur. Deux autres employés de la prison et sept prisonniers qui étaient chargés de la sécurité ont été déclarés coupables d’avoir roué de coups et tué plusieurs détenus. Aucun des agents accusés n’a été reconnu coupable de torture.
DISPARITIONS FORCÉES
Cette année encore, des disparitions forcées ont été signalées. Des titulaires de mandats relevant des procédures spéciales des Nations unies ont appelé publiquement le Rwanda à indiquer ce qu’il était advenu de trois personnes victimes d’une disparition forcée et à révéler où elles se trouvaient. Le défenseur des droits humains rwandais Yusuf Ahmed Gasana avait été enlevé par des personnes inconnues à son domicile de Nairobi, au Kenya, en 2023 et aurait été conduit au Rwanda. Les autorités kenyanes et rwandaises n’ont pas répondu aux demandes d’informations formulées par sa famille, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires [ONU] et la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseur·e·s des droits humains. On ignorait également ce qu’il était advenu de Jean Nsengimana et d’Antoine Zihabamwe et où ils se trouvaient depuis que la police avait arrêté ces deux frères à bord d’un bus dans la province de l’Est en 2019.
À la fin de l’année, le Rwanda n’avait toujours pas ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET D'ASSOCIATION
En juillet, une nouvelle loi relative aux ONG a imposé aux ONG nationales des restrictions en matière de décisions budgétaires et de gestion, notamment l’interdiction de consacrer plus de 20 % de leur budget aux frais généraux sans fournir d’explication écrite à l’Office rwandais de la gouvernance. Le texte permettait à cet organe officiel de fermer définitivement des ONG si elles avaient réalisé certaines actions, dont la formulation pouvait être sujette à une large interprétation.
En mai, des agent·e·s de l’immigration de l’aéroport de Kigali ont refusé l’entrée sur le territoire à Clémentine de Montjoye, chercheuse à Human Rights Watch, pour des « motifs relatifs à l’immigration ». Depuis 2008, trois autres membres du personnel de Human Rights Watch s’étaient déjà vu interdire l’entrée au Rwanda.
Les poursuites judiciaires engagées contre neuf membres du parti politique Développement et liberté pour tous (DALFA-Umurinzi) et le journaliste Théoneste Nsengimana ont suivi leur cours en l’absence de l’une des personnes mises en cause. Une audience préliminaire à huis clos a eu lieu le 18 octobre et le procès a débuté en décembre. Les dix personnes avaient été arrêtées en 2021 et inculpées pour des motifs en lien avec leur participation à une formation à l’action non violente ; il leur était également reproché d’avoir prévu de mobiliser la population et de l’inciter à la non-coopération.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
En avril, le cadre juridique rwandais a été modifié de manière à établir des procédures détaillées pour les demandes d’asile et à créer une juridiction chargée des recours en la matière.
En avril également, le Parlement britannique a adopté la Loi relative à la sécurité au Rwanda (asile et immigration). Cependant, le projet d’accord visant à renvoyer dans leur pays d’origine les Rwandais·es demandant l’asile a été reporté, et le nouveau gouvernement britannique a fini par l’abandonner définitivement (voir Royaume-Uni).
Le Rwanda hébergeait toujours un grand nombre de réfugié·e·s, venus principalement de la RDC (60,8 %) et du Burundi (38,4 %) voisins. Fin octobre, il comptait officiellement plus de 135 000 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
En avril, le Rwanda a commémoré le 30e anniversaire du génocide de 1994 contre les Tutsis, au cours duquel environ 800 000 personnes avaient été tuées, y compris des Hutus et d’autres personnes qui s’étaient opposés au génocide et au gouvernement extrémiste qui l’avait orchestré.
En avril, le tribunal de grande instance de Huye a déclaré Béatrice Munyenyezi coupable du crime de génocide par meurtre, de complicité de génocide, d’incitation à commettre un génocide et de complicité de viol, et l’a condamnée à la réclusion à perpétuité. Il l’a cependant acquittée du chef de planification d’un génocide. Béatrice Munyenyezi avait été expulsée des États-Unis en 2021.
En mai, le bureau du procureur du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux a annoncé que les derniers fugitifs mis en accusation par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, Charles Ryandikayo et Charles Sikubwabo, étaient décédés.
Un tribunal belge a condamné Emmanuel Nkunduwimye à 25 ans de réclusion en juin, après l’avoir déclaré coupable de crimes de guerre et de génocide, pour meurtres, viol et tentative de meurtre.
Le 31 juillet à Kigali, la capitale, Wenceslas Twagirayezu a été condamné à 20 ans de réclusion pour génocide et crimes contre l’humanité par la Cour d’appel. Extradé par le Danemark en 2018, il avait été acquitté en janvier par la Chambre spécialisée dans les crimes internationaux de la Haute Cour (HCCIC).
En septembre, Venant Rutunga a été déclaré coupable de complicité de génocide et de complicité d’extermination constitutive de crime contre l’humanité. La HCCIC l’a condamné à 20 ans de réclusion. Venant Rutunga avait été extradé par les Pays-Bas en 2021.
Le 30 octobre, la cour d’assises de Paris a déclaré Eugène Rwamucyo coupable de complicité de génocide, de complicité de crimes contre l’humanité et de conspiration en vue de préparer ces crimes, mais l’a acquitté des chefs de génocide et de crimes contre l’humanité. Il a été condamné à une peine de 27 ans de réclusion.
DROITS DES FEMMES
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a examiné le rapport périodique du Rwanda en mai. Tout en reconnaissant les efforts déployés par les pouvoirs publics pour promouvoir l’égalité des genres, le Comité a fait part de ses préoccupations quant aux inégalités auxquelles étaient confrontées les populations défavorisées, notamment les femmes et les filles en situation de handicap et les femmes batwas, réfugiées ou vivant en milieu rural. Le comité a constaté la persistance d’attitudes et stéréotypes patriarcaux, qui étaient l’une des causes sous-jacentes des violences fondées sur le genre que subissaient les femmes. Il a recommandé que la peine pour viol conjugal, alors moins élevée que la peine prévue pour le crime de viol en général, soit alignée sur cette dernière. Le Comité s’est félicité des mesures prises pour accroître les connaissances financières des femmes et leur accès au crédit, mais demeurait inquiet au vu de l’immense écart entre les genres dans l’accès aux prêts, des obstacles entravant l’accès au crédit (notamment les garanties demandées), et de la faible capacité d’action des femmes pour gérer les ressources foncières détenues conjointement avec leur époux.