Chacun de vos dons rend possible nos enquêtes sur le terrain dans plus de 150 pays

©Rosmarie Wirz/Getty Images
Ouzbékistan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Ouzbékistan en 2024.
Les autorités ont continué de durcir leur contrôle du droit à la liberté d’expression et des médias. Des militant·e·s, des blogueurs et blogueuses et des journalistes indépendants ont fait l’objet de poursuites motivées par des considérations politiques pour avoir fait état d’allégations de corruption et d’atteintes aux droits humains, notamment de violations du droit au logement et des droits du travail. La torture et les mauvais traitements restaient des pratiques courantes et généralisées, et les responsables présumés de ces actes criminels bénéficiaient le plus souvent de l’impunité. Les personnes LGBTI étaient en butte à des manœuvres d’intimidation, des agressions physiques, de la diffamation sur les réseaux sociaux et des détentions arbitraires sur la base de fausses accusations. De nombreuses victimes d’expulsions forcées et d’expropriations n’avaient pas accès à des recours juridiques effectifs.
CONTEXTE
Aucun véritable parti politique d’opposition n’a pris part aux élections législatives d’octobre. Le parti au pouvoir a remporté la majorité des sièges.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les autorités ont continué de durcir leur contrôle du droit à la liberté d’expression et des médias, réduisant au silence tous les organes de presse véritablement indépendants. En l’absence de liberté des médias, des blogueurs et blogueuses et des auteur·e·s de commentaires sur les réseaux sociaux ont fait l’objet de poursuites motivées par des considérations politiques pour avoir évoqué des allégations de corruption, des atteintes aux droits humains et d’autres sujets politiquement sensibles. Au moins 10 personnes ont été déclarées coupables de diffamation et d’outrage au président en ligne. Certaines ont également été accusées d’extorsion et de fraude, sur la base d’éléments de preuve forgés de toutes pièces.
Les ONG internationales de défense des droits humains faisaient face à des restrictions grandissantes de leurs activités légitimes d’observation et d’information. Les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s étaient aussi la cible de manœuvres d’intimidation, de harcèlement et d’agressions. En avril, les militantes Oumida Niïazova et Charifa Madrakhimova ont été menacées et agressées physiquement par un blogueur favorable au gouvernement et un inconnu. Ceux-ci voulaient les empêcher d’observer la production de coton et de poser des questions sur des conflits du travail à des personnes qui travaillaient dans ce secteur pour l’entreprise Indorama Agro, dont des cultivateurs et cultivatrices. La police a refusé d’engager des poursuites contre le blogueur et son complice. Peu après, sur les réseaux sociaux, le blogueur a accusé Oumida Niïazova de dénigrer la réputation de l’Ouzbékistan.
En juillet, des expert·e·s de l’OSCE se sont dits préoccupés par le fait que la dernière version du projet de code de l’information contienne des restrictions excessivement générales et discriminatoires de la liberté d’expression, telles que l’interdiction de la diffusion d’informations irrespectueuses de l’État et de la société ou promouvant le « séparatisme » ou l’« extrémisme religieux ». Ce texte était toujours en attente d’adoption à la fin de l’année.
En juillet, le journaliste tadjik Salim Inomzoda a été arrêté et inculpé de diffusion « d’informations menaçant la sûreté publique » pour avoir partagé sur Facebook, en 2022, une chanson traditionnelle tadjike considérée par les autorités comme « séparatiste ». Il encourait jusqu’à huit ans d’emprisonnement.
De nouvelles modifications de la Loi relative au statut des personnes étrangères ou apatrides, promulguées en novembre, ont accordé aux autorités le pouvoir de désigner comme « indésirable » toute personne étrangère considérée comme portant préjudice à la réputation, à la culture, aux valeurs, aux traditions ou à l’histoire de l’Ouzbékistan. Les sanctions comprenaient des amendes et une interdiction d’entrée sur le territoire ouzbek pendant cinq ans.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
En février, la Cour suprême a interdit le parti politique Alga Karakalpakistan, le qualifiant d’« extrémiste ». Ce parti d’opposition non enregistré réclamait l’indépendance de la République autonome du Karakalpakistan.
Le 30 mai, un tribunal a condamné Parakhat Moussapbarov à six ans d’emprisonnement pour son appartenance présumée à Alga Karakalpakistan. Cet homme a été déclaré coupable uniquement sur la base des « aveux » qui lui avaient été extorqués pendant sa détention provisoire et sur lesquels il était revenu pendant le procès, ainsi que de commentaires qu’il avait publiés sur les réseaux sociaux lorsqu’il vivait au Kazakhstan voisin.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et d’autres mauvais traitements restaient des pratiques courantes et généralisées dans les lieux de détention, et les responsables présumés de ces actes criminels bénéficiaient le plus souvent de l’impunité. Aucune avancée n’a été constatée dans l’application des propositions du parquet concernant la création de mécanismes indépendants destinés à surveiller la torture et les conditions de détention. Les autorités ont continué de retarder les réformes juridiques en la matière, qu’elles s’étaient pourtant engagées à mettre en œuvre auprès de plusieurs organes internationaux de suivi des traités.
La commission parlementaire créée en 2022 pour enquêter sur la violente répression des manifestations au Karakalpakistan, et notamment sur les actes de torture qu’auraient subis des dizaines de manifestant·e·s placés en détention, a enfin présenté un rapport au Parlement en décembre, mais celui-ci n’avait pas été rendu public dans son intégralité à la fin de l’année. Les autorités ont ignoré les appels à une enquête internationale indépendante.
Des défenseur·e·s des droits humains ont alerté en août sur la dégradation de l’état de santé de l’avocat et journaliste Daouletmourat Tajimouratov, condamné à 16 ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès inique pour son rôle supposé dans les manifestations de juillet 2022. Sa mère, qui lui a rendu visite en prison, a indiqué qu’il était forcé de travailler dans une usine de chaux dans des conditions dangereuses et sans vêtements de protection, qu’il avait perdu du poids, qu’il avait du mal à manger et à respirer, et qu’il avait des rougeurs sur les mains et le visage. Les autorités ne lui apportaient pas l’assistance médicale dont il avait besoin et limitaient ses contacts avec son avocat et sa famille.
DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT
À la suite de sa visite en Ouzbékistan en août, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement convenable s’est inquiété de l’écart important entre la loi et la pratique en matière de droit au logement. Il a souligné que l’indépendance du système judiciaire demeurait un problème et que, dans une écrasante majorité d’affaires impliquant des promoteurs immobiliers et des habitant·e·s, l’issue semblait être en faveur des premiers. Le rapporteur spécial s’est également dit préoccupé par les manœuvres d’intimidation, les poursuites judiciaires et les placements en détention sur la base de motifs douteux dont étaient la cible des victimes d’expulsions forcées, des défenseur·e·s du droit au logement, des avocat·e·s, des blogueurs et blogueuses et des journalistes qui dénonçaient des démolitions arbitraires d’habitations.
Le 5 janvier, un tribunal a décidé de transférer Chahida Salomova d’un hôpital psychiatrique classique à une unité psychiatrique fermée. Cette femme avait dénoncé ouvertement des atteintes aux droits humains liées à des projets d’aménagement urbain et défendu des victimes d’expulsions forcées. Elle s’est vu interdire tout contact avec ses proches et son avocat, et a été soumise de force à des traitements médicaux. Elle avait été placée en établissement psychiatrique en 2022, après avoir accusé le président ouzbek et sa famille de corruption sur les réseaux sociaux. Le rapporteur spécial a dit regretter de ne pas avoir été autorisé à rendre visite à Chahida Salomova, et a réclamé une évaluation médicale internationale indépendante de son état de santé.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Les personnes LGBTI restaient exposées à des atteintes aux droits humains commises par des membres des forces de l’ordre et par des particuliers. Elles étaient en butte à des actes d’intimidation, des agressions physiques, de la diffamation sur les réseaux sociaux et des détentions arbitraires sur la base de fausses accusations.
Le gouvernement a persisté à refuser de dépénaliser les relations sexuelles entre hommes consentants. En avril, en réponse au Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU], les autorités ont déclaré que la dépénalisation de ces relations était contraire « aux traditions du peuple multiethnique d’Ouzbékistan, aux valeurs de la famille et aux coutumes nationales ».
Elles ont également alerté contre la « promotion de l’homosexualité » et insisté sur le fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne pouvaient pas être considérées comme des caractéristiques protégées par la législation antidiscrimination, arguant qu’elles étaient contraires « aux valeurs de la famille ».
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
L’Ouzbékistan était toujours menacé par les conséquences du changement climatique, de la surutilisation de l’eau à des fins agricoles, de la désertification et de la pollution de l’air.
Tachkent, la capitale, faisait partie des 10 villes les plus polluées au monde. Selon une étude de la Banque mondiale, 83 % de ses habitant·e·s étaient exposés à des niveaux de pollution atmosphérique six fois plus élevés que ceux que l’OMS recommandait de ne pas dépasser, ce qui donnait lieu à environ 3 000 décès prématurés par an. La poussière provenant des chantiers de construction et des routes représentait plus de la moitié des polluants atmosphériques.
Pour tenter de ralentir l’expansion de la désertification, le président, Chavkat Mirzioïev, a lancé un programme de plantation de graines résistantes à la sécheresse dans les zones arides, notamment au Karakalpakistan, particulièrement touché par l’assèchement de la mer d’Aral.