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Kazakhstan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Kazakhstan en 2024.
Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association restaient soumis à des restrictions injustifiées. Des militant·e·s de la société civile, des sympathisant·e·s de l’opposition, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des blogueurs et blogueuses qui critiquaient les autorités ont fait l’objet d’actes d’intimidation, de manœuvres de harcèlement, d’arrestations et des poursuites motivées par des considérations politiques. La majorité des graves violations des droits humains commises pendant les manifestations de janvier 2022 demeuraient impunies. Les violences faites aux femmes et aux filles demeuraient très répandues, malgré une loi réinstituant des sanctions pénales pour les violences domestiques. Les personnes LGBTI étaient toujours soumises à des discriminations par les autorités. Des militant·e·s originaires d’Ouzbékistan risquaient d’être renvoyés de force dans leur pays. Les politiques d’action pour le climat n’étaient pas à la hauteur des engagements nationaux dans ce domaine.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les spécialistes des droits humains dans le pays ont recensé au cours de l’année 24 personnes emprisonnées sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques, notamment des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des blogueurs et blogueuses et des journalistes.
Les autorités ont restreint l’accès des médias aux zones touchées par les inondations du mois d’avril et ont engagé des poursuites contre des journalistes et blogueurs·euses qui critiquaient la manière dont le gouvernement gérait la catastrophe. Raoul Ouporov, un journaliste vivant dans la ville d’Oural, s’est vu infliger une amende pour « houliganisme simple » après avoir vivement critiqué les restrictions dont faisait l’objet la couverture médiatique des inondations.
En mai, la journaliste Djamilia Maritcheva, qui travaillait pour le projet ProTenge, a été condamnée par un tribunal à une amende pour « diffusion de fausses informations ». Elle avait posté sur sa chaîne Telegram un message de soutien à des journalistes de Radio Azattyk qui s’étaient vu refuser leur accréditation par les autorités.
Une loi sur les médias, approuvée en juin, contenait de nouvelles dispositions imposant aux médias en ligne l’obligation d’obtenir l’agrément officiel des autorités.
Les motifs de rejet des demandes d’accréditation des médias et des journalistes étrangers prévus dans les nouvelles dispositions réglementaires rendues publiques en août étaient formulés en des termes vagues (le ministre des Affaires étrangères pouvait ainsi refuser d’accorder une accréditation « conformément à la législation de la République du Kazakhstan »). Les journalistes étrangers n’étaient pas autorisés à travailler sans accréditation.
En octobre, un groupe de journalistes a saisi les tribunaux pour contester les nouvelles règles imposant aux médias nationaux d’obtenir une accréditation auprès des institutions gouvernementales. Ces dispositions obligeaient les journalistes à ne publier ou ne citer des informations que dans les organes de presse liés à leur accréditation. L’affaire n’avait pas été jugée à la fin de l’année.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
La participation aux activités d’organisations qualifiées d’« extrémistes » restait passible d’emprisonnement (jusqu’à six ans).
Des dizaines de personnes ont été poursuivies et condamnées pour avoir soutenu des partis ou mouvements politiques pacifiques d’opposition non enregistrés et supposément liés au mouvement Choix démocratique du Kazakhstan (DVK), qualifié d’« extrémiste » par un tribunal d’Astana, la capitale, en 2018.
Certains militant·e·s condamnés sur la base de chefs en lien avec l’extrémisme ont été ajoutés par le gouvernement à sa « liste d’organisations et de personnes associées au financement du terrorisme et de l’extrémisme », ce qui a entraîné le blocage de leur carte et de leur compte bancaires.
Accusé de financement d’une organisation interdite « extrémiste » et de participation à ses activités, le journaliste et militant politique Douman Moukhamedkarim a été condamné en août à sept ans d’emprisonnement. Les accusations concernaient son soutien présumé au mouvement DVK. Une cour d’appel a confirmé cette décision en novembre et a assorti la peine d’une interdiction de participer à des événements publics ou de donner des interviews pendant trois ans. L’avocat du journaliste prévoyait de faire appel.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
La législation restreignait indûment les rassemblements pacifiques, qui étaient soumis à une autorisation préalable et ne pouvaient se tenir que dans un nombre limité de lieux. Les « violations » étaient sanctionnées par une amende ou une peine de prison. Le délai de prescription de 12 mois prévu pour ces « infractions » permettait aux autorités de placer des manifestant·e·s en détention longtemps après les faits, souvent pour les empêcher de prendre part à d’autres rassemblements.
Les autorités de la ville d’Almaty ont arbitrairement interdit une marche féministe prévue le 8 mars.
En octobre, 12 militant·e·s qui prévoyaient la tenue d’une manifestation pacifique contre un projet de construction de centrale nucléaire ont été arrêtés par la police et inculpés. Il leur était reproché de préparer des émeutes.
IMPUNITÉ
Les autorités n’ont pas mené d’enquêtes pénales exhaustives et rapides sur tous les cas présumés d’usage illégal de la force, de torture et d’autres violations graves des droits humains imputables aux forces de sécurité lors des manifestations de janvier 2022, ni traduit en justice les responsables présumés.
Selon les chiffres officiels du mois de janvier, sur les centaines de poursuites pénales engagées pour actes de torture et autres mauvais traitements à la suite des événements de janvier 2022, seules 34 condamnations ont été prononcées ; les procédures étaient toujours en cours contre près de 50 autres agents. De nombreuses poursuites ont été abandonnées.
Dans certaines affaires cependant, une peine plus lourde a été prononcée en appel. En outre, un militaire sous contrat qui avait été acquitté par le tribunal militaire de la garnison d’Almaty en novembre 2023 a été condamné en appel en mars à une peine d’emprisonnement. Cet homme avait été inculpé d’abus de pouvoir pour avoir tué par balle, lors des événements de janvier 2022, une fillette de quatre ans qui se trouvait dans une voiture avec des membres de sa famille pour aller faire des courses.
VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE
En avril, le Parlement a réinstitué des sanctions pénales pour les violences domestiques et a renforcé la protection des victimes. Cependant, le pays ne disposait pas d’un arsenal complet de mesures de prévention et d’éradication de la violence domestique, et les violences faites aux femmes et aux filles demeuraient très répandues.
Au cours de l’année, 32 hommes ont été condamnés pour le viol et/ou le meurtre de femmes et d’enfants. En 2023, le Bureau du procureur général avait estimé qu’environ 80 femmes mouraient chaque année du fait de violences domestiques.
La condamnation, en mai, de l’ancien ministre de l’Économie Kouandyk Bichimbaïev à 24 ans d’emprisonnement pour avoir battu à mort sa femme a fait prendre davantage conscience à la population du niveau élevé de violence domestique dans le pays.
En mai, plusieurs expert·e·s de l’ONU, dont la rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, ont fait part de leurs vives préoccupations quant aux poursuites pénales engagées contre Dina Smaïlova, une militante des droits des femmes en exil, qui étaient selon toute apparence menées en représailles à ses activités de défenseure des droits des femmes et au simple exercice de ses droits à la liberté de réunion pacifique et d’association.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Les personnes LGBTI étaient en butte à des actes de harcèlement et des discriminations de la part des autorités, des soutiens du gouvernement et d’autres groupes, qui agissaient souvent au prétexte de préserver les « valeurs traditionnelles ».
Une pétition demandant que la « propagande LGBTI » soit érigée en infraction pénale a soulevé de vives protestations nationales et internationales, et les auditions relatives au projet de texte ont été repoussées à 2025. Des expert·e·s des Nations Unies ont indiqué que la pétition était fondée sur des préjugés et que toute loi découlant de ce texte bafouerait inévitablement et illégalement les droits humains.
Invoquant la nécessité de protéger les valeurs nationales et les droits des enfants, le gouvernement a bloqué en février un site internet visant à informer les jeunes sur des questions relatives aux personnes LGBTI.
Le 9 octobre, un membre du parti Amanat, au pouvoir, a demandé au Bureau du procureur général de considérer officiellement Feminita, une importante ONG LGBTI, comme une organisation « extrémiste ». Le même jour, des membres de l’Union des parents ont cherché à perturber une réunion de Feminita : elles ont tenté de pénétrer dans le bâtiment en filmant et insultant les participant·e·s. Appelée sur place, la police a photographié les pièces d’identité des participant·e·s mais n’a pris aucune mesure contre les perturbatrices. Feminita a déposé une plainte auprès de la police, mais on ignorait où en était l’enquête à la fin de l’année.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Des militant·e·s de la République autonome du Karakalpakistan (Ouzbékistan) qui vivaient au Kazakhstan étaient menacés de renvoi forcé vers l’Ouzbékistan, où ils risquaient d’être torturés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour des raisons politiques car ils avaient dénoncé les violations des droits humains au Karakalpakistan. Akilbek Mouratbaï, Rassoul Joumanïazov et Rinat Oumtambetov ont été arrêtés entre février et avril et placés en détention provisoire à la suite de demandes d’extradition formulées par l’Ouzbékistan, sur la base de fausses accusations de diffusion d’informations représentant une menace pour l’ordre public. Akilbek Mouratbaï, qui vivait légalement au Kazakhstan depuis 10 ans, a sollicité le statut de réfugié, mais la Commission des réfugié·e·s a rejeté sa demande. Un appel était en cours à la fin de l’année.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
L’Indice de performance climatique a classé le Kazakhstan parmi les pays ayant de très faibles résultats, critiquant le manque de transparence du système de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre et l’incapacité du pays à proposer des plans d’action pour l’abandon progressif du charbon, l’adaptation au changement climatique et la transition verte. Le Kazakhstan faisait toujours partie des 30 pays générant le plus de gaz à effet de serre dans le monde.
Le pays connaissait également des catastrophes environnementales exacerbées par le changement climatique. Il a notamment été touché en avril par les pires inondations des dernières décennies, une situation qui a donné lieu à l’imposition de l’état d’urgence dans 10 des 17 régions. Des dizaines de milliers de personnes ont été évacuées de leur foyer et plusieurs sont mortes. Les inondations ont aggravé les problèmes existants d’alimentation en eau, en particulier les inégalités d’accès à l’eau potable, qui touchaient principalement les zones rurales. Elles ont également emporté du bétail et ravagé des zones où avaient été enterrées des bêtes touchées par l’anthrax. Cela laissait craindre une contamination de la faible quantité d’eau salubre disponible pour la consommation et l’irrigation, ce qui mettrait en péril la sécurité alimentaire.