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Enfants armés au Soudan du Sud

Soudan du Sud

la gigantesque vente d’armes du Royaume-Uni

Enfants armés au Soudan du Sud © Richard Burton

Les recherches que nous venons de rendre publiques révèlent qu'une société écran a servi d'intermédiaire dans d'importantes ventes potentielles d'armes à destination du Soudan du Sud. Un transfert illicite qui a profité de vides réglementaires du Royaume-Uni.

Des documents commerciaux identifient S-Profit Ltd, une petite SARL enregistrée au Royaume-Uni, comme le « fournisseur » dans une transaction de 2014 portant sur la livraison d'armes légères, d'armes de petit calibre et de munitions au gouvernement sud-soudanais, pour un montant de 46 millions de dollars américains (38,7 millions d’euros).

Les armes en question font partie d'un contrat de 2014 resté jusqu’ici confidentiel entre une société publique d'armement ukrainienne et une société basée aux Émirats arabes unis, concernant la livraison d'armes au Soudan du Sud pour un montant de 169 millions de dollars américains. Elles incluent des milliers de mitraillettes, de mortiers et de lance-roquettes, et des millions de cartouches.

S'il est finalisé, le contrat total constituera l'un des plus importants transferts d'armes à destination du Soudan du Sud dévoilé publiquement depuis le début des combats en décembre 2013.

Le Royaume-Uni était au courant

Le gouvernement du Royaume-Uni était au courant de pratiques similaires se déroulant sur le sol britannique depuis plus de huit ans, mais n’a pas pris de mesures réglementaires efficaces.

Les armes affluent au Soudan du Sud, où elles sont utilisées pour tuer et mutiler des milliers de civils – générant la plus grave crise des réfugiés en Afrique. Le gouvernement britannique est un fervent partisan de l'embargo des Nations unies sur les armes à destination du Soudan du Sud. Pourtant, il ferme les yeux sur les contrats illégaux conclus juste sous son nez.

Lire aussi : Soudan du Sud, une population face aux homicides et aux pillages

Nous avons fourni aux autorités britanniques les documents et les informations qu'elle a obtenus. Son rapport révèle que le gouvernement britannique a, depuis plus de huit ans, connaissance du fait que des sociétés écrans britanniques servent illégalement d’instruments contractuels à des marchands d'armes pour fournir des armes à des responsables d'atteintes aux droits humains et vers des destinations faisant l'objet d'un embargo, dont la Syrie, l'Érythrée et le Soudan du Sud. Le Royaume-Uni n'a pas initié de modifications de la réglementation afin de remédier à ces lacunes.

Le gouvernement britannique n'a pas non plus pris de véritables mesures coercitives à l'encontre des sociétés concernées, malgré les pouvoirs que lui confère le droit des sociétés et la législation en matière d'insolvabilité pour procéder à la liquidation des entreprises qui agissent illégalement ou frauduleusement.

Un système qui profite des vides juridiques

Au Soudan du sud © ENOUGH project

En raison de lacunes flagrantes dans la réglementation des sociétés britanniques, un marchand d'armes illicites peut se connecter sur le Web et créer une société britannique pour présenter ses activités – les vérifications sont moindres que pour s'inscrire à une salle de sport ou louer une voiture.

S-Profit Ltd est emblématique de la manière dont les entreprises qui souhaitent agir dans l'ombre tirent parti des lacunes réglementaires de Companies House, l'organisme gouvernemental chargé d'enregistrer les sociétés. Chacun dans le monde peut créer une société britannique en ligne, sans avoir à fournir de documents d'identité.

Le lendemain de son enregistrement, les parts de S-Profit Ltd ont été transférées à un ressortissant ukrainien qui indique une adresse de bureau au Royaume-Uni qui n'existe pas et un service commercial de « standard téléphonique virtuel » pour les communications officielles.

Les documents déposés par la société S-Profit Ltd ne donnent aucune indication sur son implication dans le commerce des armes – mais la loi britannique ne l'exige pas. Cette faiblesse de la réglementation compromet gravement les contrôles robustes au niveau national, européen et international, qui devraient rendre impensable toute implication du Royaume-Uni dans des transferts d'armes vers une zone de guerre comme le Soudan du Sud.

Des questions en suspend

Nous n’avons pas pas pu établir si tout ou partie des armes répertoriées dans ces documents ont été livrées au Soudan du Sud. Cependant, une entreprise britannique risque de violer les lois relatives au contrôle des exportations en étant simplement impliquée dans la négociation d'une vente d'armes au Soudan du Sud. Par ailleurs, la participation d'une société publique d'armement ukrainienne et d'une société privée émirienne dans une livraison d'armes au Soudan du Sud bafoue potentiellement les obligations de l'Ukraine et des Émirats arabes unis en tant qu'États signataires du Traité sur le commerce des armes.

Maison brûlée par les forces gouvernementales et pro-gouvernementales à Gandor payam, comté de Leer, 08/02/2016

Le directeur de S-Profit Ltd – un ressortissant ukrainien qui ne réside pas au Royaume-Uni – nous a confié que la société n'avait pas fourni d'équipements militaires au Soudan du Sud, mais a refusé de répondre à d'autres questions, concernant par exemple son rôle d'intermédiaire éventuel.

Outre le contrat avec le Soudan du Sud, les documents que nous avons consultés montrent une série d'offres commerciales et de négociations de contrats – certaines n’ayant pas encore abouti – impliquant S-Profit Ltd dans la fourniture potentielle de véhicules blindés, d'armes et d'avions à l'Égypte, au Sénégal, au Mali, au Rwanda, à l'Ukraine et au Pérou, ainsi qu'à des entreprises privées en Serbie, en Ukraine, en Pologne et en Australie. Nous n’étions pas en mesure d'identifier des licences britanniques de contrôle des exportations pour ces négociations ou ces contrats.

Lire aussi : Royaume-Uni, la vente d'armes à l'Arabie Saoudite autorisée

Maison brûlée par les forces gouvernementales et pro-gouvernementales à Gandor payam, comté de Leer, 08/02/2016 © Amnesty International

Une situation alarmante

Le Royaume-Uni doit de toute urgence revoir ses procédures d'enregistrement des sociétés : aujourd'hui, il offre les conditions idéales pour devenir un centre névralgique des transferts d'armes irresponsables comme ceux qui dévastent le Soudan du Sud.

Cela doit servir de signal d'alarme et inciter le gouvernement britannique à amener les sociétés enregistrées au Royaume-Uni à rendre des comptes. Avec des mesures simples – contrôler la véracité des noms et des adresses et créer un registre des courtiers en armements – il serait beaucoup plus difficile pour les marchands d'armes étrangers contribuant à de graves violations des droits humains de s’installer au Royaume-Uni.

Parallèlement, nous demandons à l'ONU d’adopter un embargo total sur les armes à destination du Soudan du Sud incluant les négociations et les activités financières ou logistiques qui facilitent ce type de transferts. Sans embargo, les armes vont continuer d'affluer au Soudan du Sud, avec des conséquences catastrophiques pour les civils.