Face au drame en cours à Gaza, la France doit clairement dire quelles armes, quels matériels de guerre et quels composants elle continue d’exporter vers Israël. Une transparence totale s'impose afin de s’assurer que Paris ne se rend pas complice de violations du droit international et respecte l'obligation de prévention du génocide posée par la Convention de 1948.
Les révélations du média d’investigation Disclose et le rapport du réseau Progressive International (PI) sont sans appel : la France continue de livrer de manière « régulière et continue » du matériel militaire à l’État d’Israël depuis le début du conflit à Gaza en octobre 2023, et finance même l’industrie militaire israélienne.
De son côté, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dément formellement. « La France ne vend pas d’armes à Israël. Point » a-t-il déclaré le 11 juin dernier devant les députés.
Qui dit la vérité ?
De notre point de vue, le besoin de transparence s’impose plus que jamais. C’est pourquoi Amnesty International France continue d’agir afin d’obtenir du gouvernement l’ouverture des données sur ses exportations d’armes.
Alors que la France avait, dans un premier temps, autorisé neuf entreprises israéliennes à participer à l’édition 2025 du salon de l’armement du Bourget, nous avons déposé une nouvelle requête afin d’accéder au contenu des licences d’exportation ML5 (matériels de conduite de tir) et ML15 (matériels d’imagerie).
Nous avions déjà demandé, sans succès, la suspension de ces licences au Tribunal administratif de Paris – une demande rejetée par le Premier ministre, puis par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en octobre 2024.
Toutefois, notre action en référé d’avril 2024 semble avoir eu un impact. D’après Disclose dans un article du 17 juin 2024, “plus aucun matériel de guerre classé ML5 [...] ne peut être livré en Israël".
Les éléments du doute
➡️ Un manque de transparence généralisé
Le rapport annuel du ministère des Armées sur les exportations d’armes de la France ne précise pas ce que le pays livre exactement, en quelle quantité ni dans quel but.
Récemment, le ministre des Armées a déclassifié un document afin d’assurer que la France n’envoie que des armes « défensives » ou destinées à la réexportation.
⚠️ Problème : ce document n’est accessible qu’aux présidents des commissions Défense de l’Assemblée et du Sénat — pas au grand public, ni à la société civile. Alors que dans le cas de l’Ukraine, le ministère avait publié la liste des armes et des équipements livrées, jusqu’au nombre de munitions.
De plus, dans ses prises de parole, le ministre s’en tient aux « matériels de guerre », sans dire ce qu’il en est des biens à double usage, pourtant soumis à autorisation d’exportation.
➡️ Des livraisons continues, malgré les dénégations
Bombes, grenades, torpilles, mines, ou composants pour lance-roquettes et fusils militaires… Ces armes ont continué à être exporté vers Israël depuis octobre 2023, selon le rapport de Progressive International, diffusé en France par Stop Arming Israel. Leurs informations s’appuient sur des données de l’Autorité fiscale israélienne.
Exemple : le Premier ministre a délivré quatre licences d’exportation de la catégorie ML4 (bombes, roquettes, mines...) ; et d’après les douanes israéliennes, en décembre 2023, la France a livré plus de 21 millions d'euros de ce type de matériel.
D’autres cas soulèvent des questions, notamment l’envoi de maillons métalliques (ML3) utilisées dans la production de munitions. Début juin, les dockers de Fos-sur-Mer ont refusé de charger une cargaison de 14 tonnes de pièces détachées pour fusils mitrailleurs, fabriquées par la société française Eurolinks. Selon le gouvernement, il s’agit de munitions utilisées par la France ou réexportées.
⚠️ Problème : aucune preuve de cette réexportation n'a été donnée. Aucune garantie non plus n’a été apportée que tout a été mis en oeuvre pour éviter le détournement et l’utilisation de ces équipements dans le génocide en cours.
➡️ Le cas des F-35 et le rôle de la France
En février 2025, plus de 230 organisations de la société civile, dont Amnesty International, ont demandé l’arrêt des livraisons d’armes — y compris d’avions de combat F-35 — utilisées à Gaza.
Malgré cet appel, le transit de pièces de F-35 se poursuit, notamment via l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, en provenance des États-Unis et à destination d’Israël.
Or le Traité sur le commerce des armes interdit ce transit dès lors que le matériel peut servir à fabriquer des armes utilisées contre des civils. Un des cas de bombardements documenté prouve qu’en juillet 2024 un F-35 a largué , trois bombes de 900 kg lors d'une attaque contre une prétendue « zone de sécurité » à Al-Mawasi, à Khan Younis, tuant 90 Palestiniens.
Malgré ce contexte, le Parlement dans son ensemble garde le silence, tandis que le Premier ministre et les ministres concernés échappent jusqu’à présent à tout contrôle approfondi.
Les obligations de la France selon le droit international
En application de l’article premier commun aux quatre conventions de Genève de 1949, la France a l’obligation de « respecter » et de « faire respecter, en toutes circonstances » ses obligations en matière de droit international humanitaire (DIH).
Cela implique de ne pas transférer des armes, des munitions, des pièces détachées, voire des licences, à une partie à un conflit armé suspectée de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide.
La France ne peut pas ignorer le fait que des composants français pourraient être utilisés dans la bande de Gaza car assemblés dans des armes israéliennes. Cela viole les règles internationales relatives notamment au Traité sur le commerce des armes auquel elle est partie.
Selon les termes de l’article 6.3 du Traité sur le commerce des armes la France « ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques […si elle a...] connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels [...elle est partie...] ».
Ces différentes obligations ont été par ailleurs renforcées par la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) rendue le 26 janvier 2024, qui demande à Israël d’empêcher d’éventuels actes de « génocide » et dans le même temps, oblige les États à la mettre en œuvre.
Le rapport annuel sur les exportations d’armement de la France est un document essentiel qui doit permettre de faire toute la lumière sur un commerce dangereux et meurtrier, trop souvent réalisé dans l’ombre. Le gouvernement français a l’obligation de le transmettre au Parlement chaque année, le 1er juin au plus tard, et le rendre public dans la foulée.
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