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Antiterrorisme en Europe

des lois orwelliennes

La police belge à Molenbeek © REUTERS/Yves Herman

Paris, Berlin, Nice… De nombreuses villes européennes ont fait face ces dernières années à des actions terroristes. Trop souvent les gouvernements en retour mettent à mal l’état de droit qu’ils prétendent défendre. Éat des lieux de la sécurité nationale en Europe.

Des centaines de personnes ont été tuées ou blessées dans une série d'attaques violentes qui ont frappé des États de l'Union européenne (UE) entre janvier 2015 et décembre 2016. Elles ont été abattues par des hommes armés, ont explosé lors d'attentats-suicides ou ont été écrasées délibérément alors qu'elles marchaient dans la rue.

Ces crimes ne visaient pas que des individus ; il s'agissait également d'attaques contre des sociétés, des modes de vie et des modes de pensée. Il va de soi qu'il est urgent de protéger la population contre de telles violences gratuites. Faire respecter le droit à la vie, permettre aux individus de vivre librement, de se déplacer librement, de penser librement… Ce sont là les missions essentielles de tout gouvernement.

Découvrir notre dossier : l'antiterrorisme en Europe

On ne protège pas les libertés en les supprimant

Un policier à Schaerbeek à Bruxelles © NICOLAS MAETERLINCK/AFP/Getty Images

Elles ne peuvent cependant pas être accomplies par quelque moyen que ce soit, d'autant que ce ne sont pas des missions qui doivent, ou qui peuvent, être accomplies en foulant aux pieds les droits mêmes que les gouvernements prétendent faire respecter.

Ces deux dernières années ont cependant vu se dessiner un changement radical à travers l'Europe : l'idée selon laquelle le rôle du gouvernement est d'assurer la sécurité afin que la population puisse jouir de ses droits a laissé place à l'idée que les gouvernements doivent restreindre les droits de la population afin d'assurer la sécurité.

La conséquence de ce changement a été une redéfinition insidieuse de la frontière entre les pouvoirs de l'État et les droits des personnes. Certains États membres de l'UE ainsi que des organes régionaux ont réagi aux attaques en proposant, en adoptant, ou en mettant en œuvre des vagues successives de mesures de lutte contre le terrorisme, qui ont sapé l'État de droit, renforcé les pouvoirs exécutifs, mis à mal les contrôles judiciaires, restreint la liberté d'expression et exposé l'ensemble de la population à la surveillance du gouvernement.

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Quand les peurs et préjugés s’enracinent en Europe

Moment de recueillement à Berlin après les attentats © ODD ANDERSEN/AFP/Getty Images

Pierre après pierre, l'édifice de la protection des droits fondamentaux, construit avec tant de soins après la Seconde Guerre mondiale, se fait démanteler.

Ce rapport cherche à donner une vue d'ensemble de l'état de la sécurité nationale en Europe. Il montre à quel point la « sécurisation » de l'Europe s'est étendue et enracinée depuis 2014. Ce rapport révèle un monde dans lequel la peur, l'aliénation et les préjugés rognent progressivement les pierres angulaires de l'UE que sont la justice, l'égalité et la non-discrimination.

Les exemples de violations des droits humains ou de préoccupations en matière de droits humains présentés dans ce rapport sont issus de quatorze États membres de l'UE et de programmes de lutte contre le terrorisme mis en œuvre au niveau de l'ONU, du Conseil de l'Europe et de l'UE.

Des luttes antiterroriste sur un même modèle

Les principales caractéristiques que ces programmes de lutte contre le terrorisme partagent sont :

des procédures accélérées, grâce auxquelles les lois sont adoptées à la hâte, avec très peu, voire aucune, consultation auprès des parlements, des experts, ou d'autres membres de la société civile ;

des dérogations aux engagements en matière de droits humains, dans la loi, ou dans la pratique, avec bien souvent des effets néfastes sur la vie de la population ;

la consolidation du pouvoir dans les mains de l'exécutif, de ses agences et des services de sécurité et de renseignement, ne laissant souvent que peu, voire aucun, rôle au système judiciaire pour autoriser les mesures ou pour effectuer un contrôle réel ;

l'inefficacité ou l'absence de mécanismes de contrôle indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre des mesures et des opérations de lutte contre le terrorisme, d'identifier les abus et d'amener les responsables de violations des droits humains à rendre des comptes ;

une définition vague et extrêmement large du « terrorisme » dans la législation, en violation du principe de légalité, ce qui mène à de nombreuses violations ;

des exigences en matière de preuves revues à la baisse, passant de la norme traditionnelle du « soupçon raisonnable » au simple « soupçon », voire dans certains États, à une absence totale d'exigence en matière de soupçon ;

des liens très faibles, voire parfois inexistants, entre des soi-disant « actes préparatoires » ou des infractions non réalisées, et l'infraction pénale elle-même ;

l'utilisation de mesures de contrôle administratif pour restreindre le droit de circuler librement et la liberté d'association de certaines personnes, en lieu et place de sanctions pénales qui leur offriraient de meilleures garanties contre les abus ;

la pénalisation de nombreuses formes d'expression qui sont loin de constituer une incitation à la violence, ce qui menace la contestation légitime, la liberté d'expression et la liberté artistique ;

moins de possibilités de contester les mesures et les opérations de lutte contre le terrorisme, en particulier en raison de l'utilisation par l'État de preuves secrètes, qui ne sont généralement pas divulguées aux personnes affectées par les mesures ni à leur avocat ;

l'invocation par les États de problèmes de sécurité nationale ou de « menace terroriste » afin de prendre arbitrairement pour cible les réfugiés et les migrants, les défenseurs des droits humains, les militants, les opposants politiques, les journalistes, les minorités, et les personnes exerçant en toute légalité leur droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion ; et

le manque d'attention porté aux besoins et à la protection des droits de groupes particuliers, notamment les femmes et les enfants.

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La France est toujours sous l'état d'urgence ©AFP/Getty Images

La récente vague de mesures de lutte contre le terrorisme constitue également une violation de l'un des principes fondateurs de l'UE : le principe de non-discrimination. Bien souvent, ces mesures se sont avérées discriminatoires en théorie et dans la pratique, et ont affecté certaines populations de manière disproportionnée et extrêmement néfaste, en particulier les musulmans, les étrangers, ou les personnes considérées comme musulmanes ou étrangères. Des hommes, des femmes et des enfants ont été injuriés et agressés. Des passagers ont été contraints de descendre d'avion au prétexte qu'ils « ressemblaient à des terroristes ».

En France, les femmes se sont vues interdire le port du maillot de bain intégral sur la plage. En Grèce, des enfants réfugiés ont été arrêtés pour avoir joué avec des pistolets en plastique. Des cas de discrimination apparaissent dans chaque chapitre de ce rapport, ce qui souligne le fait que certains types d'actions discriminatoires mis en œuvre par les États et par leurs agents sont de plus en plus perçus comme « acceptables » dans le contexte de la sécurité nationale. Ils ne le sont pas.

Des mesures disproportionnées et dangereuses inscrites dans la durée

Le fait que, dans toute l’UE, les États réagissent au terrorisme ou à la menace d’attentats violents par des mesures leur permettant de déclarer et prolonger plus facilement l’« état d'urgence » est extrêmement alarmant. Dans de nombreux États, des mesures d’urgence, censées être temporaires, ont été inscrites dans le droit pénal ordinaire pour durer. Des pouvoirs destinés à être exceptionnels prennent un caractère de plus en plus permanent dans le droit national.

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Compte tenu de la fébrilité de la politique au sein de l'UE, les électeurs doivent faire preuve d’une extrême prudence quant à l’éventail des pouvoirs et l’étendue du contrôle sur leurs vies qu’ils sont prêts à conférer à leurs gouvernements. La montée des partis nationalistes d’extrême-droite le ressentiment à l’égard des réfugiés, les préjugés sur les musulmans et les communautés musulmanes, leur discrimination, l’intolérance à l’endroit des discours ou d’autres formes d’expression… le résultat de tout cela, c’est que ces pouvoirs d’exception risquent de cibler certaines personnes pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec une réelle menace pour la sécurité nationale ou des actes à caractère terroriste. En réalité, c'est déjà ce qui se produit en Europe.

Le seuil à franchir pour déclencher et prolonger des mesures d'urgence a déjà été abaissé, et il risque de l'être encore davantage dans les années à venir. Le droit international relatif aux droits humains stipule clairement que les mesures exceptionnelles ne peuvent être appliquées que dans des circonstances réellement exceptionnelles – à savoir « [en] cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation », mais l’idée selon laquelle l’Europe serait confrontée à un danger permanent commence à s’enraciner.

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Dans de nombreux pays d'Europe, en particulier ceux dont l'histoire a peu été marquée par le terrorisme, des gouvernements radicaux de quelque bord politique que ce soit seront tentés, et de plus en plus capables, d'imposer l'état d'urgence en réaction à la première attaque terroriste grave à laquelle ils seront confrontés. Ces gouvernements jouiront d’un large éventail de pouvoirs considérables qu’ils ne se contenteront vraisemblablement pas d’exercer sur les seules personnes impliquées dans des actes terroristes.

Ne renonçons pas aux droits humains

Amnesty International France mène campagne contre l'Etat d'urgence en France © PY Brunaud

C’est déjà le cas en France, où la prolongation – par un parti politique traditionnel – de pouvoirs exceptionnels, bien au-delà de la période d’incertitude qui a suivi les attentats de Paris, a amplement contribué à faire accepter l’idée qu’une menace générale d’attentats terroristes menace l’existence même de la nation.

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Mais aujourd’hui, cette menace pesant sur l’existence d’une nation – sa cohésion sociale, le fonctionnement des institutions démocratiques, le respect des droits humains et de l’état de droit – n’est pas due à des actes isolés commis par des personnes appartenant à une frange criminelle et violente de la société, même si celles-ci souhaitent détruire ces institutions et remettre en cause ces principes ; elle provient des gouvernements et des sociétés qui sont prêts à renoncer à leurs propres valeurs pour les combattre.

Tous les États, et en particulier les États membres de l'UE, doivent renouveler leur engagement, dans la loi et dans la pratique, à respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La régression continue de nombreux aspects de la protection des droits au sein de l'UE doit cesser.

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