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Scène après d'une frappe aérienne américaine sur Abdow Dibile, en Somalie, le 18 mars 2019, qui a détruit un SUV Toyota Surf et tué trois civils © 2019 DigitalGlobe, a Maxar Company

Scène après d'une frappe aérienne américaine sur Abdow Dibile, en Somalie, le 18 mars 2019, qui a détruit un SUV Toyota Surf et tué trois civils © 2019 DigitalGlobe, a Maxar Company

Contrôle des armes

Somalie : une frappe aérienne américaine tue des civils

Une grave erreur de jugement de la part de l’armée américaine tue trois civils lors d’une frappe aérienne. Enquête.

Notre enquête a révélé que trois hommes tués lors d’une frappe aérienne de l’armée américaine en mars, après avoir été qualifiés de « terroristes d’Al Shabaab », étaient en réalité des civils, de simples agriculteurs, sans aucun lien avéré avec le groupe armé.

Bien que le commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) ait été informé en mai du fait qu’au moins l’un de ces hommes avait été identifié à tort comme un combattant, il n’a pas contacté ses proches pour approfondir l’enquête. À eux trois, ces hommes ont laissé dix-neuf enfants.

Il est déjà déplorable que l'Africom ne semble pas savoir qui ses frappes aériennes tuent et mutilent dans cette guerre secrète menée en Somalie. Il est purement et simplement répréhensible que l’Africom ne propose aux personnes concernées aucun moyen de le contacter et ne tente pas de joindre les familles des victime alors que sa version des faits est remise en question.

Il s’agit d’une affaire parmi tant d’autres dans laquelle l’armée américaine insulte une grande partie de la population somalienne en la traitant de “terroriste”. Elle ne se soucie pas des victimes civiles ni de la détresse des familles endeuillées qui sont abandonnées.

« Son corps était totalement détruit »

Le 18 mars 2019, entre 15 heures et 16 heures, une frappe aérienne américaine a touché un SUV Toyota Surf près du hameau d’Abdow Dibile, à environ cinq kilomètres d’Afgoye, dans la région du Bas-Shabelle. Les trois hommes qui se trouvaient à bord étaient des agriculteurs qui revenaient de leurs exploitations et regagnaient leurs domiciles respectifs

L’impact a anéanti le véhicule ; le conducteur, Abdiqadir Nur Ibrahim (46 ans), et l’un des passagers, Ibrahim Mohamed Hirey (30 ans), sont morts sur le coup.

Le corps d’Abdiqadir était totalement détruit mais j’ai reconnu... son visage, qui était brûlé... J’ai aussi reconnu sa montre, qui pendait à l’avant de la voiture.

Un ami proche d’Abdiqadir Nur Ibrahim

Une femme qui s’est rendue sur place a expliqué que Nur Ibrahim et Ibrahim Mohamed Hirey « avaient tous les deux été brûlés à tel point qu’ils n’étaient plus identifiables et [leurs corps] étaient en pièces ».

Le troisième homme, Mahad Nur Ibrahim (46 ans), le demi-frère d’Abdiqadir, a été très gravement brûlé ; il est mort à l’hôpital de Mogadiscio un peu moins de trois semaines plus tard. La cause du décès est un arrêt cardiaque consécutif à une septicémie et à des brûlures couvrant plus de 50 % du corps. Rien n’indique que l’Africom ait tenté d’engager le dialogue avec Mahad Nur Ibrahim avant sa mort.

Lire aussi : Guerre en Somalie, un secret américain bien gardé

Refus de responsabilité

Dans un communiqué de presse daté du 19 mars 2019, l’Africom prétendait que les victimes étaient « trois terroristes », sans apporter aucun élément de preuve. Il déclarait également qu’il « avait connaissance d’informations faisant état de victimes civiles » et examinerait tout renseignement pertinent à ce sujet.

En mai 2019, un journaliste de Foreign Policy a communiqué à l’Africom des éléments prouvant qu’Ibrahim Mohamed Hirey était un civil et les coordonnées de sa famille. À ce jour, l’Africom n’a pas contacté les proches.

Nous avons transmis d’autres informations sur l’affaire à l’Africom en août 2019 mais celui-ci a refusé de revenir sur ses affirmations selon lesquelles les trois hommes étaient des « terroristes ». Il a déclaré : « Cette frappe aérienne a été menée contre des membres de second rang d’Al Shabaab afin de saper le moral [du groupe armé] à l’approche des opérations de l’armée somalienne [...]. Plus particulièrement, les informations recueillies avant et après la frappe indiquaient que toutes les personnes blessées ou tuées étaient des membres ou des sympathisants d’Al Shabaab. »

L’Africom n’a présenté aucun élément étayant ses affirmations ni indiqué qu’il poursuivrait l’enquête. À ce jour, sa position n’a varié sur aucun des dossiers concernant la Somalie sur lesquels nous avons attiré son attention.

Le récit de l’Africom concernant la frappe suscitent de profondes préoccupations quant aux pratiques du commandement en matière de renseignement et au fait qu’il ait visé de prétendus « sympathisants » d’Al Shabaab, peut-être en violation du droit international humanitaire.

Aucune preuve de terrorisme

Nous nous sommes entretenus avec onze personnes – de vive voix ou à distance – au sujet de la frappe du 18 mars 2019, notamment avec des membres de la famille des victimes, des personnes qui s’étaient rendues sur les lieux et des membres du personnel de Hormuud Telecom, l’entreprise où travaillait l’un des hommes.

Toutes les personnes interrogées ont affirmé de façon catégorique qu’aucun des trois hommes n’appartenait à Al Shabaab. En outre, le groupe armé n’a pas empêché les familles de récupérer et d’enterrer les dépouilles, comme il a l’habitude de le faire lorsque ses combattants sont tués.

À ce jour, nous avons recueilli des informations sur six affaires dans lesquelles des frappes aériennes américaines auraient fait des victimes civiles – dix-sept morts et huit blessés au total.

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