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Le « rêve chinois »

Place Tiananmen, la "déesse de la démocratie" est érigée face au portrait de Mao, le 29 mai 1989 ©Zong Hoi Yi/Agence Vu

Le régime s’est adapté à la financiarisation du monde et à l’univers 2.0. Tout changer pour que rien ne change.

Lors de son accession au pouvoir en 2012, Xi Jinping lance le slogan du « rêve chinois » en référence au « rêve américain ». Ce rêve de « renouveau de la Chine » se ferait au moyen d’un « État fort » s’appuyant sur le droit pour en terminer avec les passe-droits. Depuis, au nom de la lutte contre la corruption, cet État fort a purgé un million et demi de cadres, 4 000 officiers de l’armée, 170 ministres et vice-ministres, soit les principaux opposants de ce même Xi Jinping à la direction du Parti communiste. Dans le même temps, la Chine est passée du 80e au 87e rang de l’indice mondial de la corruption. En 2014, le Consortium international des Journalistes a ainsi révélé l’existence de capitaux de la famille du président dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques. Des informations bloquées dans la presse comme sur le Web en Chine.

Lire aussi : Tian'anmen, la tâche indélébile que la Chine veut effacer

​Quant au droit sur lequel cet « État fort » est censé s’appuyer pour que le « rêve » s’accomplisse, il repose sur un texte secret adopté par le Comité central du PCC, au cours de l’été 2012, lorsque le camarade Xi fut désigné à la présidence. La publication à l’étranger de ce « document n° 9 » valut sept ans de prison à la journaliste dissidente Gao Yu. Il résume la pensée du président, à savoir que la démocratie et les droits humains sont les premiers des périls menaçant la suprématie du Parti. Leur évocation est interdite, au même titre que l’indépendance de la justice, les erreurs historiques du PCC ou le capitalisme de connivence au pouvoir. Des milliers de journalistes, avocats, internautes, religieux, membres d’ONG furent ainsi « invités à prendre le thé »: une formule de la police lorsqu’elle « cueille » une personne pour la placer secrètement en résidence surveillée, sans recours à un avocat et avec le risque d’être soumise à de mauvais traitements. Une loi de 2014, dite de sécurité nationale, légalise en effet la détention arbitraire pour une durée pouvant atteindre six mois. C’est au nom de la « sûreté de l’État » que le journaliste Huang Qi, l’avocat Teng Biao, le blogueur Hu Jia, l’économiste ouïghour Ilham Tohti, la star de cinéma Fang Bingbing, tout récemment le photographe Lu Guang et le patron d’Interpol Meng Hongwei, ont disparu des semaines ou des mois sans laisser de traces.

Et puis, un beau jour, ils ont réapparu, les uns contraints à une autocritique télévisée, les autres traînés devant une justice aux ordres et parfois lourdement condamnés.

De l’atelier à la finance du monde

Sous couvert de rêve, ce mode de gouvernement, vise avant tout à échapper au destin de l’URSS sous Mikhaïl Gorbatchev, « traître au socialisme ». La « libéralisation bourgeoise » de la société et la démocratisation du Parti que celui-ci avait autorisées sont les fléaux dont la Chine doit se prémunir. En cela, Xi Jinping se place dans la continuité de Deng Xiaoping. En effet, tirant leçon de l’effroi du régime face au printemps de Pékin de 1989 et à l’effondrement presque concomitant du bloc soviétique, le « petit Timonier » avait brutalement mis fin à la libéralisation relative des années 1980. Mais il avait maintenu le « socialisme de marché », indispensable à l’éclosion d’une économie prospère. Autrement dit, tout en continuant à développer un pays adapté à la compétition capitaliste mondiale, pour survivre, le Parti devait maintenir son emprise autoritaire sur la société. Cette ligne fut celle des successeurs de Deng vingt ans durant. Ainsi, « d’usine du monde » la Chine en est devenue le financier. Elle s’est couverte d’autoroutes et de TGV, a érigé des forêts de gratte-ciel et vu émerger un nombre record de milliardaires ainsi qu’une classe moyenne de centaines de millions de consommateurs. Parallèlement, elle contient et réprime par la force la montée des contestations sociales et politiques. L’essor d’aspirations individualistes inhérentes à la progression du niveau de vie, la corruption endémique et la sclérose d’un Parti communiste vont marquer les années 2010. Fourmillant de néo-capitalistes, le Parti perd alors sa substance idéologique pour n’être plus qu’un moyen de prendre l’ascenseur social.

Le chef de l’État chinois estime qu’il est temps de réaffirmer les fondamentaux du communisme : primauté du Parti dans la structure d’État et contrôle étroit de la société sous la houlette d’un homme « fort ». C’est ainsi que ce « fils de Prince rouge » – son père fut un cacique du régime – n’hésite pas à endosser les habits défraîchis du président Mao. Et paradoxalement, alors que sa famille et lui furent victimes de la Révolution culturelle, il en reprend les slogans surannés et en dicte la réécriture au moyen d’une loi sur l’histoire. Sanctifiant aussi bien « l’âge d’or » du communisme que des millénaires de tradition impériale, il se fait le dépositaire de ce passé. Par une tournée dans les grands organes de presse en 2016, il impose le cadre de cette histoire officielle. Toute remise en cause de cette doxa, qu’elle soit le fait de chercheurs, de journalistes, de cinéastes ou de simples citoyens, tombe sous le coup de la loi. Cette histoire unilatérale, va ignorer le massacre de la place Tiananmen tout comme la mort en détention en 2017 du Nobel de la paix Liu Xiaobo, et transforme en leçon donnée au Vietnam, la cuisante défaite infligée par celui-ci en 1979 à l’armée chinoise.

Président « de tout »

Sortir Mao du musée et emprunter sa voie, c’est aussi pour le numéro un chinois institutionnaliser son propre culte de la personnalité : Mao était le « soleil rouge », lui est le « cœur du Parti ». Son portraitiste officiel, Ge Xiaoguang, était celui de Mao. Et, depuis la réforme de la Constitution dictée en 2018 à ­l’Assemblée nationale, adoptée à l’unanimité moins deux voix, la « pensée Xi Jinping » y est gravée dans le marbre auprès de « la pensée Mao Zedong ». Quant à la reconduction sans limite du mandat de président de la République qui accompagne ce coup de force, elle lui ouvre la possibilité de devenir comme Mao « grand leader » à vie. Il cumule les trois fonctions essentielles que sont le Secrétariat général du PCC, les présidences de la République et de la Commission militaire centrale. Au point d’être raillé sur la Toile comme « président de tout ». Une raison suffisante, sans doute, pour s’être auto désigné à la tête de la commission du Parti en charge de la cybersécurité et de l’informatisation, donc de la police du Web.

Le tribunal populaire vous signale que la personne à qui vous téléphonez fait l’objet d’une condamnation pour manquement à ses obligations .

Voici le message que peut entendre quiconque appelle un « sans crédit », à savoir une victime du big data, mis au service du programme-cadre d’une « société de l’intégrité ». Car, c’est un monde orwellien de contrôle social que le gouvernement façonne avec la collaboration des « Gafa » chinois, Alibaba, Weixin, Baidu, Tencent, Huawei.

Deux cents millions de caméras de surveillance ont été installées en cinq ans, un système de reconnaissance faciale se trouve tapi dans les gares, aéroports et aux moindres guichets, auquel s’ajoute un fichage du quotidien par la surveillance du Net. La « Grande muraille du feu  », service créé à cet effet au début des années 1990 avec 40 000 contrôleurs des contenus Internet, en compterait maintenant 4 millions. En plus des avertissements en direct, convocations au commissariat, descentes de police, amendes ou peines de prison, s’instaure progressivement un système de notation « citoyenne ». En fonction de ses antécédents bancaires, de son comportement au quotidien, de ses interventions sur les réseaux sociaux, chacun se voit attribuer un « crédit social », octroyant avantages et désavantages en matière de carrière, logement, déplacement ou crédit. Le bien noté se voit privilégier pour l’accès à un emploi public, au Parti, à l’université, à l’armée ou même pour trouver l’âme sœur (la note sociale d’un conjoint influe sur celle de l’autre). À l’inverse, le moins bien noté est condamné à végéter au bas de l’échelle, voire à un probable célibat.

place Tiananmen

©Zong Hoi Yi/Agence Vu

Échéances à venir

Selon la « pensée Xi Jinping », la « nouvelle ère » dans laquelle est entrée la Chine est celle d’un « pays fort ». Guidée par le Parti communiste, la Chine s’est enrichie sans emprunter la voie des démocraties libérales et postule à l’échéance 2049, pour le centenaire de la République populaire, à « reprendre la place centrale dans le monde ». Ce rétablissement de l’ordre cosmique, ayant voulu que l’Empire de Chine soit celui du Milieu, sera l’objet en 2021 de gigantesques célébrations en préparation d’un autre 100e anniversaire, celui du PCC. Pour magnifier cette renaissance historique, Xi Jinping se placera à hauteur de Mao : l’un l’aura initiée, l’autre prétend l’accomplir.

Devenir la première puissance mondiale repose sur trois chantiers prioritaires. Celui de l’économie afin de donner toute la mesure de « l’État fort » dans l’affrontement avec les États-Unis pour le leadership ; celui de la défense avec des budgets militaires permettant a minima une domination sans partage de son espace régional ; celui de la diplomatie qui, à travers de « nouvelles routes de la soie », et la puissante Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures qu’elle contrôle, entreprend de vassaliser l’Eurasie et l’Afrique.

La grandeur retrouvée, en regard de l’humiliation infligée depuis les guerres de l’Opium au XIXe siècle, est sans doute le principal thème cultivé par le pouvoir pour écarter des menaces internes. La propagande s’avère inopérante pour insuffler une quelconque idéologie communiste à une population ­d’autant plus dépolitisée que la politique est, au même titre que le syndicalisme ou le prosélytisme religieux, un exercice périlleux. Une population gagnée au culte de l’argent et à la réussite individuelle qu’a décuplée la politique de l’enfant unique. Or, la croissance plafonne, l’environnement se dégrade, le népotisme et la corruption restent endémiques, le Tibet et le Xinjiang regimbent face à leur acculturation. Les sujets de grogne ne manquent pas, des « incidents sociaux » se produisent chaque jour ici ou là, et Xi Jinping le sait.

Dans ce pays, sensible à la magie des chiffres, 2019, année d’anniversaires en 9, s’annonce bien pourvue : les 100 ans du mouvement du 4 mai qui vit les intellectuels se lever au nom de la science et la démocratie, les 70 ans de la proclamation de République populaire, les 60 ans de la révolte du Tibet, les 30 ans de Tiananmen, les 20 ans de l’encerclement de la Cité interdite par la secte religieuse du Falungong dont les citoyens pourraient se saisir pour manifester leur mécontentement… Dans ce contexte, flatter l’éternel chinois, activer le nationalisme contre les velléités émancipatrices du Tibet et du Xinjiang, entretenir les contentieux historiques avec le Japon, le Vietnam et l’Occident, sont des stratagèmes. Ils permettent de détourner l’attention des problèmes internes qui semblent s’annoncer... Et si l’horizon 2049 pour l’Empereur rouge ou ses successeurs n’était que celui d’un chant du cygne ?

— Bernard Debord pour la Chronique d'Amnesty International

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