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Serhii Lahovskyi, 26 ans, pleure près de la tombe de son ami Ihor Lytvynenko, qui, selon les habitants, a été tué par des soldats russes, après qu'ils l'aient trouvé à côté du sous-sol d'un immeuble, lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, à Boutcha, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 6 avril 2022. REUTERS/Alkis Konstantinidis

Serhii Lahovskyi, 26 ans, pleure près de la tombe de son ami Ihor Lytvynenko, qui, selon les habitants, a été tué par des soldats russes, après qu'ils l'aient trouvé à côté du sous-sol d'un immeuble, lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, à Boutcha, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 6 avril 2022. REUTERS/Alkis Konstantinidis

Conflits armés et protection des civils

En Ukraine, les terribles exactions des forces russes autour de Kiev 

L’horreur des crimes de guerre apparents perpétrés par les forces russes à Boutcha, dans la banlieue de Kiev, en Ukraine, pourraient n'être que la partie émergée de l'iceberg. Alors que les forces russes se sont retirées de la région, les témoignages sur leurs exactions se multiplient.

L'exécution extrajudiciaire désigne un homicide commis délibérément par un individu exerçant une fonction officielle, ou avec son consentement, sans procès préalable offrant toutes les garanties judiciaires, telles qu’une procédure équitable et impartiale. Elle est strictement interdite par le Droit International, en période de paix comme en situation de conflit. 

Abattu pour avoir regardé un tank par-dessus une barrière. Abattu pour avoir voulu apporter de l'aide. Abattu en présence de sa fille. Abattu alors qu'il récupérait de la nourriture dans une épicerie. Nous avons interrogé plus de vingt personnes dans des villages et des villes proches de la capitale, Kiev, dont plusieurs témoins directs des terribles violences commises par les forces russes sur des civils non armés : exécutions extrajudiciaires, homicides délibérés, viols, manœuvres d’intimidation, etc.

Les témoignages montrent que, en Ukraine, des civils non armés sont tués chez eux et dans la rue, dans des actes d’une cruauté innommable et d’une violence choquante. 

Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International

La carte des lieux où nous avons recueilli des informations sur des exécutions extrajudiciaires et des homicides illégaux commis par les forces russes.

1. Bohdanivka, 9 mars. Un homme non armé est abattu d'une balle dans la tête par des soldats russes devant sa famille.

2. Vorzel, 3 mars. Les parents de Kateryna Tkachova sont tués par balle devant leur maison.

3. Hostomel, 3 mars. Le maire de la ville, Yuryi Prylypko, est abattu alors qu'il livrait de la nourriture et des médicaments dans des abris antibombes.

3. Hostomel, 13 mars. Le fils de Volodymyr Zakhliupanyy est "emmené" par les forces russes. Il est ensuite retrouvé mort, tué d'une balle dans la tête.

4. Boutcha, fin février. Une femme est abattue alors qu'elle regardait un véhicule militaire russe par-dessus sa clôture.

« Ils lui ont tiré une balle dans la tête. » 

Une femme de 46 ans, originaire du village de Bohdanivka, a vu les forces russes entrer dans son village, le 7 ou le 8 mars, et garer leurs chars dans ses rues. Le 9 mars, dans la soirée, elle a entendu des tirs briser ses fenêtres au rez-de-chaussée. Elle et son mari ont crié qu’ils étaient des civils et qu’ils n’étaient pas armés. Quand ils sont descendus, deux soldats russes les ont poussés avec leur fille dans une pièce servant de chaufferie. 

Ils nous ont poussés de force à l’intérieur et ils ont claqué la porte. Une minute plus tard, ils ont rouvert la porte pour demander à mon mari s’il avait des cigarettes. Il a répondu que non, qu'il avait arrêté de fumer quelques semaines auparavant. Ils ont tiré dans son bras droit. L’autre a dit : “Achève-le” et ils lui ont tiré une balle dans la tête. 

Une habitante de Bohdanivka

« Il n’est pas mort tout de suite, poursuit-elle. De 21h30 à 4 heures du matin, il respirait encore, même s’il n’était pas conscient. Je l’ai supplié […] “Si tu m’entends, bouge ton doigt”. Il n’a pas bougé le doigt, mais il a posé sa main sur mon genou et l’a serré. Il saignait abondamment. Quand il a rendu son dernier souffle, je me suis tournée vers ma fille et je lui ai dit :“Je crois que papa est mort”. » 

Un voisin a été témoin de l’irruption des soldats russes dans la maison de cette femme ce soir-là. Il a confirmé avoir vu le corps de son mari gisant dans un coin de la chaufferie. Plus tard dans la journée, la femme s’est enfuie de Bohdanivka avec son enfant. Elle a dû laisser derrière elle sa belle-mère, une femme de 81 ans à mobilité réduite. 

« Mon père avait six grands trous dans le dos » 

Nataliya and Valeryi Tkachova | Copyright: Private / Amnesty International

Le 3 mars, dans le village de Vorzel, Kateryna Tkatchova, 18 ans, se trouvait chez elle avec ses parents quand plusieurs chars portant la lettre « Z » (utilisée par les forces russes pour marquer leurs véhicules pendant l’invasion de l’Ukraine) ont descendu leur rue. 

Sa mère, Nataliya, et son père, Valeryi, ont quitté la cave où ils se cachaient pour aller dans la rue. Ils ont ordonné à Kateryna de rester où elle était. C’est là, qu’elle a entendu les tirs. 

Une fois que les chars étaient passés, j’ai sauté par-dessus la clôture qui nous sépare de la maison des voisins. Je voulais vérifier s’ils étaient vivants. J’ai regardé par-dessus la barrière et j’ai vu ma mère allongée sur le dos d’un côté de la route, et mon père sur le ventre de l’autre côté de la route. J’ai vu de gros trous dans son manteau. Le lendemain, je me suis approchée d’eux. Mon père avait six gros trous dans le dos, et ma mère un plus petit trou dans la poitrine. 

Kateryna Tkatchova, 18 ans 

Selon Kateryna, ses parents étaient en civil et n’étaient pas armés. Le 10 mars, un bénévole en charge des évacuations dans la banlieue de Kiev a aidé Kateryna à quitter Vorzel. Il nous a affirmé avoir vu les corps des parents de Kateryna allongés dans la rue, tout près de leur domicile. Dans une vidéo que nous avons vérifiée, on voit Kateryna avec le bénévole inscrire les noms, dates de naissance et date de décès de ses parents sur un morceau de carton et le placer près des corps, recouverts de couvertures. 

« Ils nous ont repérés et ont ouvert le feu immédiatement » 

Pendant les premiers jours de l’occupation russe de la ville d’Hostomel, Taras Kouzmak circulait en voiture pour livrer de la nourriture et des médicaments dans les abris antibombes où étaient rassemblés des civils.  

Yuryi Prylypko | Copyright: Private / Amnesty International

Le 3 mars, à 13 h 30, il se trouvait avec le maire de la ville, Youryi Prylypko, et deux autres hommes quand leur voiture a été la cible de tirs provenant d’un grand immeuble d’habitation qui avait été pris par les forces russes. Les quatre hommes ont essayé de sauter du véhicule, mais l’un deux, Ivan Zoria, a été tué sur le coup, tandis que Youryi Prylypko s’est effondré sur le sol, blessé. Taras Kouzmak et l’autre rescapé se sont cachés derrière une pelleteuse pendant des heures, tandis que les tirs continuaient. 

Ils nous ont repérés et ont ouvert le feu immédiatement, il n’y a pas eu de sommation. Je ne pouvais pas voir le maire [Youryi Prylypko], mais je l’entendais. Je savais qu’il était blessé, mais je ne savais pas si c’était une blessure mortelle ou non. Je lui ai seulement dit de ne pas bouger, de rester totalement immobile […] Ils nous ont de nouveau tiré dessus vers 15 heures et, environ une demi-heure plus tard, j’ai compris qu’il était mort. Juste avant de mourir, une personne a une respiration particulière, quand elle rend son dernier souffle. Ivan Zoria a eu la tête arrachée, je pense qu’ils ont dû utiliser une arme de gros calibre.

Taras Kouzmak, un rescapé vivant à Hostomel

Deux autres personnes vivant à Hostomel nous ont dit qu’elles avaient vu le corps de Youryi Prylypko près d’une église, lors de funérailles improvisées organisées pour lui quelques jours plus tard. D’autres habitants ont confirmé que, dans les jours précédant sa mort, le maire avait livré des vivres et des médicaments dans toute la ville, toujours au volant d’un véhicule civil. 

Homicides illégaux et viols 

Nous avons recueilli trois autres témoignages faisant état d’homicides illégaux de civils commis par les forces russes, dont celui d’une victime de viol dont le mari a été exécuté extrajudiciairement. 

Le 9 mars, une habitante d’un village situé à l’est de Kiev a vu deux soldats russes entrer chez elle, tuer son mari. Ils l’ont violée à plusieurs reprises sous la menace de leurs armes pendant que son jeune fils se cachait dans une pièce voisine. Elle a finalement réussi à s’enfuir avec son fils et à rejoindre une zone sous contrôle ukrainien. 

Milena, elle, a 24 ans et est originaire de Boutcha. Elle a vu le corps d’une de ses voisines étendu par terre, devant chez elle. Sa mère a expliqué à Milena que sa fille avait été abattue aux premiers jours de l’invasion alors qu’elle regardait simplement passer un véhicule militaire russe par-dessus la barrière. Amnesty Lab a pu vérifier de manière indépendante une vidéo situant la tombe où elle a été enterrée.  

De leur côté, Volodymyr Zakhlioupanyy et sa femme ont fui la ville d’Hostomel dans les premiers jours de l’invasion, mais leur fils Serhi, 39 ans, voulait rester. Au début, ils se sont parlés tous les jours au téléphone. Serhi leur a décrit les violents combats qui faisaient rage dans la ville. À partir du 4 mars, Volodymyr n’a plus réussi à joindre son fils. Des amis restés sur place sont alors partis à sa recherche.

Quand ils ont demandé aux voisins, ceux-ci leur ont dit que mon fils avait été emmené par les Russes le 13 mars [alors qu’il se trouvait dans le sous-sol]. En cherchant, ils l’ont trouvé derrière les garages de ce même immeuble […] Ils ont dit qu’il avait été abattu d’une balle dans la tête. 

Un témoin

Une photo montre les dégâts causés dans les zones de conflits de la région d'Hostomel, alors que les attaques russes contre l'Ukraine se poursuivent, le 3 avril 2022 à Boutcha, en Ukraine. Photo de Metin Aktas/Anadolu Agency via Getty Images.

La vie sous occupation russe 

Les personnes que nous avons interrogées nous ont aussi raconter la difficulté de vivre sous l’occupation russe. L’électricité, l’eau et le gaz ont été coupés dans les premiers jours de l’invasion. La nourriture était difficile à se procurer. Les téléphones portables passaient mal et, selon certains témoignages, les soldats russes confisquaient ou détruisaient les téléphones portables dès qu’ils en voyaient un.  

Les menaces de violences et les manœuvres d’intimidation étaient aussi fréquentes. Un habitant d’Hostomel a par exemple raconté avoir vu tout un dortoir de personnes qui s’abritaient des bombardements être contraint de sortir. Les militaires russes ont alors ouvert le feu au-dessus de la tête de ces personnes, les obligeant à se coucher par terre. Deux hommes de Boutcha ont également déclaré que des tireurs isolés les avaient visés régulièrement quand ils allaient récupérer des denrées alimentaires dans une épicerie détruite, à côté de chez eux. 

Crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire 

Les homicides délibérés de civils, les viols, la torture et les traitements inhumains de prisonniers de guerre constituent des violations des droits humains et des crimes de guerre. Toutes les personnes qui commettent des crimes de guerre doivent être amenées à rendre des comptes devant la justice.

Tandis que ces terribles témoignages de la vie sous occupation russe continuent de nous parvenir, les victimes en Ukraine doivent avoir l’assurance que la communauté internationale est déterminée à demander des comptes pour leurs souffrances.

Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International

En vertu du principe de la responsabilité de la hiérarchie, les supérieurs hiérarchiques, notamment les commandants militaires et les dirigeants civils comme les ministres et les chefs d’État, qui savaient ou avaient des moyens de savoir que leurs forces commettaient des crimes de guerre et qui n’ont pas pris de mesures pour les en empêcher ou sanctionner les auteurs, doivent aussi être considérés comme pénalement responsables.