Un huis clos à bord du navire de sauvetage de SOS Méditerranée : c’est ce que propose le documentaire Save Our Souls où la caméra embarque sur l’Océan Viking entre secouristes et rescapés. Une immersion en Méditerranée, dans un temps suspendu, où les personnes exilées peuvent enfin commencer à raconter. Embarquement.
« Ne nous tirez pas dessus ! » s’exclame Luisa, talkie-walkie en main avec au bout de la ligne, les gardes côtes libyens. Ils tirent des coups de feu en l’air pour intimider l’équipage et éloigner l’Ocean Viking qui s’apprête à sauver une embarcation en détresse. « Nous sommes dans les eaux internationales, vous n’avez pas le droit de nous tirer dessus ! » répète-t-elle.
Voici l’une des scènes du documentaire de Jean-Baptiste Bonnet, qui donne notamment à voir les pressions en haute mer subies par les membres de l’équipage de l’Ocean Viking. Pour les sauveteurs, faire face aux menaces fait partie du quotidien à bord. Les gardes côtes libyens, formés par l’Union européenne, patrouillent en mer pour ramener en Libye les personnes exilées qui ont embarqué sur la mer Méditerranée comme unique échappatoire à l‘enfer libyen.
© Image du film Save Our Souls de Jean-Baptiste Bonnet / Andana Films
Les gardes côtes libyens formés par l’Union européenne
Sur la route de la Méditerranée centrale, l’Italie et d’autres pays de l’UE ont renforcé le contrôle en encourageant les garde-côtes libyens à intercepter les personnes en détresse en mer et à les renvoyer en Libye, en leur donnant les moyens de le faire. L’UE a commencé à assister les garde-côtes libyens en 2016 et les interceptions ont débuté la même année.
En 2021, les garde-côtes libyens – avec l’appui de l’Italie et de l’UE – ont intercepté 32 425 personnes exilées en mer et les ont ramenés en Libye.
Le refus d’accostage des pays européens
L’Ocean Viking s'est heurté plusieurs fois aux refus de débarcation de l'Italie, de la France ou de Malte. Ces refus laissent le bateau, l’équipage, les rescapés, naviguer en mer sans fin.
Des États européens, en particulier l’Italie, ont développé une politique d'entrave aux ONG et associations qui sont actives en mer : à de nombreuses reprises, l'entrée dans les ports européens a été refusée à des navires secouristes, ces derniers restant bloqués en mer pendant parfois plusieurs semaines.
Au large des côtes libyennes, l’équipage de l’Ocean Viking, scrute l’horizon. Quelque part sur la ligne, surgit une embarcation. Elle vient sans doute de Libye. Concentration, précaution, organisation : les membres de l’équipage se préparent au sauvetage à venir. La Méditerranée est considérée comme le passage migratoire le plus dangereux au monde, juste aux portes de l’Europe. Ce jour-là, 92 personnes seront secourues.
« Vous êtes en sécurité », peut-on lire sur des affiches à bord, traduit dans une dizaine de langues. Une fois à bord de l’Ocean Viking, ces trois mots répétés « You are safe » à chacune des personnes rescapées. Ils viennent du Nigeria, du Soudan du sud, de Somalie, d’Egypte… Pour chacun d’eux, ces mots sont une première étape vers leur dignité retrouvée. « Je suis content, on est en sécurité » confie l’un des rescapés, après une consultation avec le médecin du navire. Commencent alors les premiers récits, tus pendant des mois.
À bord de l’Ocean Viking, l’enfer libyen hante encore tous les esprits. « Ils nous traitaient mal, ce n’est pas humain. » Certains à bord y ont passé plus d’un an. Détention arbitraire, torture, mauvais traitements, disparition forcée, violences sexuelles, exploitation… nous avons documenté les violences insoutenables infligées aux personnes exilées en transit en Libye qui se retrouvent prises au piège d’un cycle terrifiant de violences.
Persécutions en Libye, la complicité de l’Union européenne
Depuis fin 2016, l’Union européenne a conclu des accords avec les garde-côtes libyens pour empêcher les personnes réfugiées d'arriver en Europe. Encouragés et appuyés par l'Union européenne, les garde-côtes libyens ont procédé à de nombreuses interceptions en mer et ont renvoyé de force les personnes retrouvées dans des centres de détention en Libye.
L’UE devient alors complice des pires atrocités, connues et documentées, que subissent les personnes exilées dans les centres libyens.
Lire aussi : Notre rapport «Libye : l'enfer sur terre pour les réfugiés»
Lire aussi : Notre rapport « Libye : un obscur réseau de complicités »
Dans ce moment encore suspendu, entre le sauvetage et le débarquement, la parole prend sa place, les récits se déposent, les traumatismes sont racontés. Ce temps à bord est le premier refuge des rescapés. « Je suis partie de Somalie avec 10 amis, je suis le seul survivant. » livre un mineur isolé. « Ils ont violé ma mère, ils étaient huit hommes. » confie l’un des rescapés à un sauveteur qui accueille son récit avec exigence, soin et bienveillance.
Ces récits, devront être restitués avec précision au moment du dépôt de la demande d’asile, s’efforce de leur expliquer l’une des membres de l’équipage, en langue arabe. L’Ocean Viking les prépare doucement à l’après, d’abord et avant tout en les écoutant. Écouter pour reconstruire. Avec les sauveteurs, se tisse une relation faite d’écoute, de soin et de présence.
Le documentaire Save Our Souls saisit les moindres recoins d’un espace clos, aux portes de l’Europe, entre sauvetage et débarquement. Un temps d’humanité qui révèle les visages de l’exil et ceux des aidants. Un film essentiel, auquel nous nous associons pour la journée mondiale des réfugiés, réalisé pour les 10 ans de SOS Méditerranée. Sur l’Ocean Viking, ce qui se joue, en plus de porter secours, de protéger et d’accueillir dignement les personnes exilées, c’est aussi de sauver nos âmes.
Projections de Save Our Souls
Le 20 juin, journée internationale des réfugiés, une projection débat du film Save Our Souls est organisée dans plusieurs salles en France.
Le débat aura lieu dans la salle de cinéma Le Méliès à Montreuil mais sera retransmis en direct dans chacune des salles participantes.
Les intervenant.es :
François Thomas, le président de SOS Méditerranée
Moussoni, secouru par l’Ocean Viking
Jean-Baptiste Bonnet, réalisateur du film
Diane Folgelman, chargée de plaidoyer migrations à Amnesty International France
Modération : Nejma Brahim, journaliste de Mediapart.
Bande annonce du film.👇
