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Eric Fournier, maire de Chamonix © Bruno Magnien

Eric Fournier, maire de Chamonix © Bruno Magnien

Personnes réfugiées et migrantes

À Chamonix, le maire ne veut ni éloges ni opprobre

Éric Fournier, élu de la montagne, met en pratique les règles de la solidarité.

Rien ne signale cette bâtisse située le long d’une rue étroite du centre-ville de Chamonix. Un mur courbe, une arcade qui abrite le trottoir, et un peu plus loin un portail ouvrant sur un terrain vague. Voici Le Petit Couttet. Dans cette maison, le guide François Couttet hébergeait au milieu du XIXe siècle des clients britanniques avides de courses en haute montagne. C’est là qu’est né l’alpinisme. L’appartement situé dans cette propriété communale très symbolique attend désormais la venue de réfugiés. Chamonix leur a réservé, depuis septembre 2015, deux logements dont celui du Petit Couttet. « C’était une évidence pour nous », explique le maire UDI Éric Fournier. Chamoniard de naissance, ce quinquagénaire a affiché dans son bureau des portraits de Charles de Gaulle et de Jean Moulin.

Le côté melting-pot de notre commune où 45 nationalités se côtoient rend la population sensible à ce qui se passe au niveau international, dit-il. Nous sommes sur une frontière. Mon grand-père est venu du Valais dans les années 1930. À l’époque en Suisse, il n’y avait pas assez d’emplois. Mes autres grands-parents sont venus d’Italie.

Eric Fournier, maire de Chamonix

Et puis, on mesure ici la précarité de la vie. Les dangers de la montagne n’ont épargné aucune famille chamoniarde. L’engagement de Chamonix ressemble à celui de nombreuses villes de France. Un simple geste d’humanité. Pourtant, le démantèlement du camp de Calais en septembre 2016 et l’annonce de la répartition des réfugiés dans les départements changent la donne. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, appelle les communes de sa région à désobéir à l’État.

Éric Fournier est son vice-président. Le voilà publiquement désavoué, en porte-à-faux. À Chamonix, on s’interroge. D’autant que, depuis septembre 2015, aucun réfugié n’est arrivé. Alors, le maire s’est-il vraiment impliqué sur ce dossier ? Son engagement ne serait-il qu’un effet d’annonce ? Un reproche récurrent parmi ses administrés. « C’est un beau parleur, mais peu de choses sortent de terre », constate plusieurs Chamoniards. « Il est un fin politique », entend-on souvent. Y compris sur le dossier des réfugiés ? Non, affirme Éric Fournier. Concernant l’absence de réfugiés malgré la vacance des logements, il renvoie à la préfecture qui privilégierait des villes de plus grande importance.

Le maire de Chamonix, Eric Fournier lors d'un conseil minicipal à l'automne 2016 © Bruno Magnien

Quant à la contradiction entre la solidarité exprimée dans sa commune et les propos du président de la région, Éric Fournier récuse l’idée d’un grand écart. « Je suis totalement serein. Nous avons décidé d’être candidat à l’accueil bien avant les prises de positions de M. Wauquiez. Dans les communes, nous avons chacun notre liberté de pensée et d’action », assène-t-il. Jamais Laurent Wauquiez et lui n’auraient évoqué ce sujet. « Même si je n’adhère pas à toutes ses idées, on se respecte mutuellement ». Néanmoins, cette opposition apparente entre Wauquiez et Fournier a servi de tremplin au Front national pour faire entendre sa voix. Le 22 octobre, une dizaine de membres du parti d’extrême droite s’est rassemblée devant la mairie de Chamonix aux cris de « on est chez nous ».

Eric Fournier, maire de Chamonix lors d'une manifestation pour l'accueil des réfugiés le 22 octobre 2016 © Bruno Magnien

Depuis son bureau qui surplombe la place où s’est tenue la manifestation, Éric Fournier souligne combien cette confrontation l’a marqué.

C’était un moment fort en émotion. Notre geste d’accueil ne mérite ni éloge ni opprobre. Jamais nous ne pensions que cela allait donner lieu à polémiques.

Éric Fournier

Ébranlé et impressionné par la tension entre militants FN et une centaine de Chamoniards, le maire a eu recours, tel un étendard, à son écharpe tricolore. « Elle m’a en quelque sorte légitimé. À mes yeux, la base du mandat électif est de maintenir le lien au sein de la communauté. Ce lien nous conduit à réfléchir au sens de notre action ».

La venue d'une famille irakienne annoncée

Éric Fournier se montre surpris d’apprendre que cette même écharpe tricolore a été brandie par des élus communaux Les Républicains dans les Yvelines, le 4 novembre, dans un geste diamétralement opposé. Ils barraient la route à des bus transportant des réfugiés. « Pour moi, les valeurs de la République et le drapeau tricolore ne sont pas de ce côté-là. Pourquoi utiliser sur le terrain politique cette affaire qui ne l’est pas ? L’accueil des réfugiés est un droit fondamental, il fait partie, en France, de nos racines, de notre identité, de notre culture ».

À ses yeux, d’ailleurs la France n’est pas à la hauteur des engagements qui doivent être les siens. Pourtant, comment clarifier les choses aux yeux du public ? Est-il possible de prôner des valeurs tout en travaillant avec un homme dont les propos les contredisent. « Il existe un chemin étroit entre responsabilité et conviction, admet Éric Fournier. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai fait le choix de mandats locaux et régionaux. Je peux les assumer. J’aurais plus de mal à trouver ma place au niveau national. Où certains se saisissent de thèmes inappropriés en fonction de leur intensité médiatique ».

Pour lui, les sujets d’identité, d’immigration n’intéressent pas les Français. « On assiste à des amalgames incroyables, à la confusion entre réfugiés et terroristes. Certes, on constate une montée des extrêmes. Pour autant, l’assimiler au fait que les Français seraient attachés à des questions identitaires est à mon sens une erreur. On devrait plutôt s’atteler aux problèmes fondamentaux, comme la justice sociale ou la manière de considérer la variété des communautés dans notre pays ».

Début décembre, quelques jours avant la rencontre avec La Chronique, le maire a reçu un appel de la préfecture. L’arrivée d’une famille irakienne est désormais annoncée. « Nous sommes heureux que cela prenne forme. D’autant que de nombreux habitants sont prêts à nous aider pour accompagner ces personnes durant leur installation ». Le maire a, d’ailleurs, déjà reçu une proposition d’emploi pour un des parents. Le Petit Couttet n’attend plus que ses locataires. Ainsi, Éric Fournier pourra-t-il mettre en accord ses paroles et ses actes. Et assumer sans ambiguïté son rôle et son engagement.

Les réfugiés de la Maison Bleue

« Sais-tu ce qu’est un sapin ? Est-ce que ça te dirait de venir nous aider à décorer le nôtre ? ». Ces questions fusent mi-décembre à la Maison Bleue, un centre d’hébergement pour mineurs tenus par l’Association Championnet à Sallanches. D’un côté de la table, 8 mineurs isolés. Récemment arrivés sur le territoire français, ils sont placés à la demande de la préfecture, en attente de régularisation. De l’autre, les membres du collectif Arve réfugiés. Ces citoyens sont mobilisés depuis septembre 2015 pour accueillir les éventuels réfugiés arrivant dans la vallée.

Lansana et Karamba sont venus passer l’après-midi avec mes petits-enfants. Ensemble nous avons décoré le sapin »,

Pierre-François Goy.

Depuis, avec sa femme ils proposent régulièrement des sorties aux deux jeunes. « Une manière de faire connaître la culture française », dit ce médecin généraliste et animateur du blog du collectif Arve réfugiés. « Ils sont discrets sur leur parcours. Ils ont parlé rapidement des violences subies en Libye ». Sorties en montagne, participation à un repas, accompagnement pour l’apprentissage du français ou moments ludiques, les propositions affluent. Et les huit jeunes se trouvent ainsi parrainés par plusieurs familles de Sallanches.

Avant cette rencontre, le collectif s’étiolait. Depuis sa création, les membres tournaient en rond. Faute de réfugiés à aider. Rassemblant une centaine de citoyens de la commune de Sallanches, ils ont alerté les maires de la région afin qu’ils réservent des logements. Chamonix avait déjà répondu présent, la petite commune de Combloux suit. À Sallanches c’est un niet du maire qui s’oppose également à la tenue d’une réunion du collectif dans une salle communale. Mais aucune famille de réfugiés n’est arrivée sur la vallée. Désormais, la solidarité s’organise autour des mineurs isolés. « J’ai été surprise par cet accueil. On sent une motivation très forte dans ce collectif », souligne Noria Sellatnia, chef de service de la Maison Bleue.

— De notre envoyée spéciale Christine Chaumeau pour La Chronique d'Amnesty International