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Des étudiants se dirigent vers leur classe lors de la rentrée de septembre 2023. © Miguel MEDINA / AFP

Des étudiants se dirigent vers leur classe lors de la rentrée de septembre 2023. © Miguel MEDINA / AFP

Notre position sur l’interdiction du port de l’abaya dans les écoles publiques

L’interdiction de l’abaya dans les écoles publiques a monopolisé la rentrée scolaire en France. Le débat est houleux, polarisé, presque impossible. Après un temps d’analyse juridique, Amnesty International revient sur cette mesure, aux contours flous, qui ne correspond pas au droit international et risque d’exacerber les discriminations.

Le 27 août 2023, à quelques jours à peine de la rentrée scolaire, le ministre français de l'Education nationale Gabriel Attal annonçait lors d'une interview télévisée à une heure de grande écoute que "l'abaya ne pouvait plus être portée à l'école". Le 31 août, le Bulletin officiel du ministère de l'éducation nationale adressé aux directeurs et directrices d’établissements scolaires confirmait l'interdiction du port de l'abaya et du qamis dans toutes les écoles publiques.  

En quelques jours à peine, l’abaya est devenue le sujet numéro 1 de la rentrée scolaire en France (reléguant au second rang d’autres questions pourtant essentielles comme le manque de moyens, de professeurs ou le harcèlement scolaire...). Et les débats autour de son interdiction ont ravivé des discours racistes et sexistes, à l’œuvre en France depuis des décennies.  

Notre position  

Chaque jour, nous nous battons pour que les personnes, partout dans le monde, soient pleinement libres de choisir ce qu’elles souhaitent ou non porter. Notre unique boussole est le droit international relatif aux droits humains.   

En Iran, nous luttons pour les droits des femmes et contre le port obligatoire du voile.  Nous dénonçons les crimes commis par les talibans contre les femmes et les filles en Afghanistan, et œuvrons pour que la France leur offre un refuge. Nous soutenons également les défenseures des droits en Arabie Saoudite. Partout, nous défendons les libertés des femmes et des filles et combattons les codes vestimentaires obligatoires.  

C'est au nom de ce même droit des femmes à choisir et à être libre que dans d’autres pays et dans des contextes très différents, Amnesty International désapprouve des réglementations mises en place par des États pour interdire le port de certains types de vêtements. Nous demandons aujourd’hui aux autorités françaises l’abrogation de l’interdiction de l’abaya dans les écoles publiques.

 Ce que nous dénonçons :   

cette interdiction limite la liberté d’expression et de religion, particulièrement des femmes et des filles musulmanes, ainsi que leurs droits à ne pas être discriminées à l’école en fonction de leur race, leur religion ou leur genre ;  

cette interdiction, par son étendue sur tout le territoire et son imprécision (quant à savoir ce que sont réellement une abaya et un qamis), mais aussi et surtout par sa mise en place dans un contexte de discours de personnalités politiques discriminatoires à l’encontre des musulman.es (ou personnes perçues comme telles) fait craindre à de graves discriminations;

l’État ne démontre pas en quoi l’interdiction de l’abaya et du qamis est nécessaire pour protéger les enfants ou la sécurité nationale.   

Explications. ⬇

Une limitation de la liberté d’expression et de religion  

Premier problème : l’État ne démontre pas en quoi l’interdiction de l’abaya et du qamis est nécessaire pour protéger les enfants ou la sécurité nationale.   

En effet, toute restriction aux droits à la liberté d’expression et de religion ou de conviction doit répondre à un critère rigoureux en trois volets. Elle doit :   

être prescrite par la loi ;   

viser un objectif légitime spécifique autorisé par le droit international, à savoir : la protection de la sécurité nationale, l’ordre public, la santé publique, la morale ou la protection des droits d’autrui ;  

être manifestement nécessaire et proportionnée à cette fin.  

En outre, il incombe à l'État, lorsqu'il adopte et met en œuvre des restrictions à ces droits, de fournir les preuves nécessaires de leur légitimité, de leur nécessité et de leur proportionnalité et d'évaluer l'impact discriminatoire que ces restrictions peuvent avoir sur des groupes spécifiques. Les autorités françaises ont jusqu'à présent omis de le faire en ce qui concerne l'interdiction de l'abaya et du qamis

Une discrimination sexiste déjà à l’œuvre  

Les codes vestimentaires imposés aux femmes et aux filles, y compris le port obligatoire de symboles et de vêtements spécifiques ou l’interdiction de les porter, entravent leur liberté. Cela reflète un désir de contrôler le corps et nie leur autonomie personnelle.   

Au cours des 20 dernières années, les autorités françaises se sont engagées dans une continuité de législation et de réglementation des vêtements des filles et des femmes musulmanes. Une course législative alimentée par des préjugés et qui ancre une discrimination sexiste. 

Alors que l’interdiction dans les écoles publiques est aussi censée concerner les vêtements pour hommes (qamis), le discours public (déclarations des responsables gouvernementaux et couverture médiatique du sujet) se concentre sur l'abaya. Sur le terrain, même constat. À ce jour, les médias n'ont rapporté que des cas de filles à qui l'on a demandé d'enlever leur abaya. Nous n'avons eu connaissance d'aucun cas de garçons visé par l'interdiction.

Un risque d'atteinte au droit à l'éducation  

Le 5 septembre 2023, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé que 298 élèves s’étaient présentées en abaya, et que 67 d’entre elles avaient refusé de l’enlever. Le ministre a précisé que ces élèves avaient été renvoyées chez elles  

Refuser à des élèves d'assister à des cours constitue une violation de leur droit à l'éducation. La France doit au contraire veiller à ce que les élèves aient accès à l'éducation sans subir de discrimination, en application de la Convention internationale des droits de l'enfant. 

Des centaines d’élèves en France ont déjà subit les conséquences de cette interdiction, nous craignons que cette situation ne fasse que s’aggraver avec le temps. 

Un risque de discrimination au faciès exacerbé  

Enfin, les autorités françaises ne parviennent pas à donner une définition claire de ce que sont abaya et qamis. Le Bulletin officiel du ministère français de l'éducation nationale se contente de mentionner que ces vêtements "manifestent ostensiblement une appartenance religieuse en milieu scolaire” et “ne peut être toléré”. Autrement dit, ces vêtements, sans être clairement définis, sont supposés religieux.  

Abaya, qamis… de quoi parle-t-on exactement ?  

Abaya et qamis sont des mots arabes qui désignent des vêtements traditionnellement portés dans les pays du Maghreb et du Golfe, ainsi qu'en Afrique de l'Ouest.   

L'abaya, vêtement féminin, désigne un vêtement ample, essentiellement une robe, descendant jusqu'aux poignets et aux chevilles. Le mot abaya peut également désigner n'importe quel type de robe ou de manteau.   

Le qamis désigne quant à lui un vêtement masculin, une longue tunique qui descend au-dessus des chevilles ou au niveau des mollets. Le mot qamis peut également désigner une chemise.  

Ce manque de clarté et cette imprécision (quant à savoir ce que sont réellement une abaya et un qamis) risquent de conduire à des pratiques discriminatoires et arbitraires de la part des personnes qui vont devoir appliquer ce texte.   

En effet, dans cette zone grise, la responsabilité est laissée aux établissements de décider, au cas par cas, de ce qui est une abaya ou un qamis, sans base objective. Le risque : que l’interdiction soit fondée sur la base du nom, la couleur de peau ou l’appartenance (présumée) à la communauté musulmane de l’élève, créant ainsi une discrimination. Les médias signalent déjà des cas d'abus.    

Retrouvez notre analyse complète ci-dessous.