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Affiche du festival d'Avignon 2016

Le cheval de feu d’Adel Abdessemed en Avignon

En cette année anniversaire, le programme du plus grand festival de théâtre en Europe, dont Amnesty International est partenaire, met en lumière plusieurs créateurs du Moyen-Orient et du Maghreb. Reportage avec le créateur de l'affiche du festival.

Abdel Abdessemed, peintre, sculpteur, vidéaste, plasticien, né en Algérie, vivant entre Londres et Paris, suivi par les plus grands musées du monde et les plus fameux collectionneurs du moment est l’auteur de la remarquable affiche de la 70e édition d’Avignon.

Un cheval se cabre sur une couleur de feu, incarnant de façon radicale un festival rageur au sujet duquel son directeur, Olivier Py s’interroge à haute voix : « nous avons le devoir de résister et le devoir d’insister », opposant « le triste spectacle du monde » à « la scène faite d’émerveillement et de courage ».

Quand Olivier Py m’a demandé de dessiner quelque chose sur le chaos, l’apocalypse, la guerre, pour l’affiche du festival, j’ai tout de suite pensé à mon Cheval de Turin. Il se cabre, il donne des coups, c’est le cheval qui rend Nietzsche fou » .

Adel Abdessemed

Le dessin original, en noir et blanc, qu’Adel Abdessemed a bien voulu nous confier pour les lecteurs de La Chronique est d’une simplicité extrême. Il incarne le propre rêve d'Adel Abdessemed cherchant à dompter par l’art les tumultes du monde sans sombrer dans la folie puis dans la mort comme Nietzsche face au cheval battu.

Quand, au terme d’un entretien chaleureux et direct, je demande à Adel Abdessemed de se définir, de résumer sa personne et son travail, il lâche : « je suis comme le tonnerre et dans l’éclair il y a la lumière ». Cette métaphore prend son sens quand on découvre son travail exposé à Avignon dans le cadre néo-roman de l’église des Célestins, du 6 au 24 juillet. Une œuvre à « l’instinct » pleine de matières brutes et d’animalité, qui intrigue et parfois choque parce qu’elle se nourrit de la violence du monde.

Exposition "Surfaces"

Intitulée « Surfaces », l’exposition en Avignon présente des bas-reliefs de formats variés, souvent assez grands, faits de marbre, de fer, de terre, d’or, et d’autres choses encore. « Ce mot de Surfaces me vient de Deleuze, qui l’emploie en 1957 dans Différence et Répétition, commente Adel Abdessemed. Il parlait alors de ce qui remonte à la surface, souvent des choses mal exprimées, mal digérées, comme par exemple la tragédie ».

En partant de l’actualité, Adel Abdessemed gère son rapport complexe avec le monde, au-delà de l’écume des mots et des choses, au-delà de la tyrannie de l’instant. « Je me suis inspiré en particulier de l’année 1989 qui m’a beaucoup marqué. C’est l’exécution des Ceausescu, c’est Tienanmen, cet homme seul face aux chars, c’est le moment où j’arrive à Alger. Je venais des Aurès, c’est le début du soulèvement dans la capitale, j’ai vu des femmes jeter des bonbonnes de gaz du 5e étage. C’est à Alger que j’ai découvert la violence de la société  .

Un peu plus tard, l’artiste est marqué par la Coupe du monde de football, la pendaison de Saddam Hussein. « J’ai été témoin de tout cela, mes bas-reliefs sont une caisse de résonance des bombardements et de la guerre. Mais mon travail se nourrit aussi de choses plus intimes, la cinéphilie, la presse, la télévision ».

Abdel Abdessemed © DR

En écho au thème du festival d’Avignon, tourné vers la création dans le monde arabo-musulman, Adel Abdessemed estime qu’ « il faut dissocier l'Orient de l’Islam. Je n'aime pas l’idée d’un livre unique. Mais si, sans l'assujettir à un message islamique, on pouvait lire le Coran comme un grand livre, on y trouverait des bijoux. L’orientalisme, c’était l'étude de l'Orient comme Autre. Maintenant que nous vivons ensemble, pourquoi donc étudier l’Orient comme l’Autre ? Nous sommes du même temps et du même monde. À Londres, la question ne se pose même pas. Le triomphe à la mairie d’un homme d’origine pakistanaise le prouve. En France, la République doit se retrouver partout, y compris à Avignon. Moi j’ai du mal à penser Orient-Occident, où commence d’ailleurs l’Orient ? À Beyrouth ? J’expose par exemple à Tel Aviv où j’ai une galerie, des amis, ce sont des personnes, des individus, pas un groupe ».

Cette logique de groupe, de déterminisme par la nationalité, la race, la religion, il s’en méfie : « Pour moi il y a un mot très dangereux utilisé surtout par les dictatures, c’est le mot peuple. En son nom, l’humanité a produit le goulag, les camps de concentration, les génocides. Mais la jeunesse de l'humanité me semble plus critique, commence à poser de vraies questions et à prendre des risques, quitte à faire des erreurs. C’est un grand signe pour moi, le signe que l’humanité continue. Des scientifiques disent que l’humanité pourrait nous faire disparaître. Je ne sais pas ce que nous allons devenir, mais je sais que quand on déplace un individu il peut faire des miracles ».

Jean STERN

À signaler la soirée Surfaces, le 8 juillet à 18 h aux Célestins, avec notamment une conversation d’Adel Abdessemed avec les écrivains Maël Renouard et Jean-Philippe Toussaint.

Extrait du mensuel La Chronique d'Amnesty International de juillet-août 2016