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La jeunesse israélienne confrontée à un cas de conscience

L’attaque du Hamas contre des civils sur le sol israélien a provoqué un séisme au sein de la société israélienne. Comment cette onde de choc impacte-t-elle les jeunes Israéliens opposés à la politique de leur gouvernement et engagés contre l’occupation des territoires palestiniens ? 

De nos envoyés spéciaux en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, Bastien Massa (texte) et Arthur Larie (photos) Pour notre magazine La Chronique #447 , paru le 1er de février 2024

C’est un haut lieu de la gauche radicale israélienne. Le Left Bank, centre culturel et politique situé en plein cœur de Tel-Aviv, accueillait régulièrement de nombreux débats ou événements en faveur de la paix et des Palestiniens : ici, on critiquait ouvertement l’occupation israélienne tout comme la politique de colonisation menée par le gouvernement. Mais le conflit qui oppose Israël au Hamas a réduit le lieu au silence. Les discours soutenant la cause palestinienne ‒ déjà rares et minoritaires ‒ sont devenus inaudibles depuis le massacre de plus de 1 200 personnes majoritairement civiles le 7 octobre, dans le sud du pays. "Aujourd’hui, plus personne ne veut entendre parler de la Palestine ou des civils qui meurent à Gaza, le pays tout entier est favorable à la guerre », regrette Tomer, artiste et activiste israélien de 29 ans.

Aujourd’hui, plus personne ne veut entendre parler de la Palestine ou des civils qui meurent à Gaza, le pays tout entier est favorable à la guerre 

Au deuxième étage, dans l’une des salles communes, les murs sont recouverts de ses œuvres, des tableaux bigarrés dépeignant les crimes de l’occupation et les conséquences des guerres successives à Gaza. Face aux réactions hostiles de la société israélienne, les jeunes activistes fréquentant le Left Bank sont désormais prudents. Sur la façade du bâtiment, les affiches en arabe ont été retirées. "On fait attention à tout ce qu’on dit, il y a une véritable répression de la liberté d’expression, des activistes ont été arrêtés et des citoyens renvoyés de leur travail pour avoir exprimé leur solidarité avec Gaza ", s’inquiète Tomer.

Le 14 octobre, une foule en colère a tenté de lyncher le journaliste de gauche Israel Frey à son domicile, pour avoir récité une prière en mémoire des enfants gazaouis tués. "Pour ceux qui souhaitent s’identifier à Gaza, nous pouvons les y escorter en bus ", a déclaré le chef de la police israélienne KobiShabtai. 

On fait attention à tout ce qu’on dit, il y a une véritable répression de la liberté d’expression, des activistes ont été arrêtés et des citoyens renvoyés de leur travail pour avoir exprimé leur solidarité avec Gaza

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L’onde de choc 

Dans un café de Jérusalem, Roni*, la vingtaine, avertit d’emblée : « Je ne veux pas qu’on sache où je travaille et que mes employeurs soient au courant de mes opinions politiques. » Une inquiétude antérieure au 7 octobre pour cette jeune femme qui a grandi dans un milieu ultraconservateur. En juin, nous l’avions suivie en Cisjordanie auprès des Bédouins du Jourdain. Des colons avaient alors diffusé son visage dans une vidéo, et certains de ses amis d’enfance avaient découvert son engagement politique.

Elle devait retourner en Cisjordanie à partir du 15 octobre pour protéger la récolte des olives des attaques de colons, un moment clé dans l’année pour les agriculteurs palestiniens. « Désormais, c’est trop risqué, les colons utilisent leurs armes, et l’armée laisse faire. » Du 7 au 22 octobre, une trentaine d’ONG israéliennes ont recensé pas moins de 100 incidents dans 62 localités situées dans les territoires occupés, entraînant dans 13 cas, le déplacement de la communauté palestinienne visée par les colons. 

11 octobre 2023, Tel Aviv - Des jeunes israéliens viennent ce recueillir autour d'un mémorial en hommage aux victimes du Hamas ©Arthur Larie

Après un message posté sur les réseaux sociaux, des dizaines d’internautes ont accusé Roni de justifier les décapitations d’enfants. « Maintenant, je ne dis plus rien publiquement. Un collègue est venu dans mon bureau, il a fermé la porte et m’a dit : “c’est le seul endroit où l’on peut encore dire qu’on est désolé pour les enfants de Gaza”, constate avec amertume la jeune femme. Mais ce qui me désespère le plus, ce sont les gens qui pensaient comme moi, qui votaient eux aussi pour des partis arabes, et qui tiennent aujourd’hui des propos d’extrême droite. Avec la guerre, les gens révèlent leur véritable engagement. »

La résistance armée doit être contre des gens armés, ce n’est pas tuer de sang-froid des femmes et des enfants

Les massacres du 7 octobre ont semé la confusion jusqu’au sein de la gauche radicale qui s’oppose à l’occupation de la Cisjordanie. « Bien sûr, on se disait que quelque chose pouvait arriver, mais personne n’avait imaginé ça. J’ai perdu des amis dans l’attaque des kibboutzim, c’était les activistes les plus à gauche d’Israël », se désole Tomer. Malgré plus de dix ans d’engagement, il reste sous le choc. « Je n’arrive pas à comprendre que des gens légitiment le Hamas et ses massacres. Je crois en la solution à deux États, dans les frontières de 1967, je me suis toujours battu pour cela. Mais aux yeux du Hamas, nous sommes tous des colons, on ne doit pas exister », soupire-t-il. En s’attaquant aux civils, une ligne rouge a été franchie : « La résistance armée doit être contre des gens armés, ce n’est pas tuer de sang-froid des femmes et des enfants. » 

Pour autant, pas question d’abandonner la lutte. La nuit, de petits groupes d’activistes parcourent les rues de Tel-Aviv, pochoirs et bombes de peinture à la main. "À Sdérot [ville attaquée par le Hamas] et à Gaza, les enfants veulent vivre " ou "Vengeance ≠ Sécurité " fleurissent sur les murs de la ville.

"Avant, on serait sortis avec des drapeaux palestiniens, et on aurait écrit des messages en arabe, maintenant c’est trop risqué", admet l’un des tagueurs nocturnes. Des slogans qui n’empêchent pas ces graffeurs d’être pris à partie par des passants. "Je pensais comme vous, mais après ce qu’ils ont fait, il n’y a plus de discussion possible, plus de morale. Nos enfants ne sont pas pareils, là-bas, ils sont élevés en voulant nous détruire ", lance une jeune maman.

"Aujourd’hui, tout le monde soutient les bombardements à Gaza, on n’est pas plus de 200 activistes à s’y opposer. Ils ne se rendent pas compte que ces milliers de morts vont alimenter le désir de vengeance des Palestiniens pour les générations à venir ", déplore Tal Mitnick, un militant anti-occupation.

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Stop aux massacres

Alors que toutes les parties au conflit continuent de commettre des violations graves du droit international humanitaire, dont des crimes de guerre, nous demandons à tous les membres de la communauté internationale de s’unir et d’exiger un cessez-le-feu immédiat de la part de toutes les parties au conflit.

Refuser d’intégrer l’armée

Un mois après le début du conflit, la colère a pris le pas sur la sidération. Une colère dirigée contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou. "Nos dirigeants ne veulent pas la paix. Depuis des années, ils encouragent la colonisation illégale, et ils ont même retiré une unité qui surveillait Gaza pour protéger des colons célébrant Soukkot [fête juive commémorant le séjour des Hébreux dans le désert après leur sortie d’Égypte] dans la ville palestinienne de Huwara", s’énerve Tomer.

Le gouvernement israélien est régulièrement accusé de soutenir le Hamas, partisan de la résistance armée contre Israël, afin d’empêcher la création d’un État palestinien. En 2015, le chef du Parti sioniste religieux BezalelSmotrich, devenu depuis ministre des Finances, déclarait à la télévision : "Le Hamas est pour nous un atout et l’Autorité palestinienne un obstacle."

11 octobre 2023 - Des tanks israéliens prêts à intervenir à Gaza ©Arthur Larie

La critique du pouvoir fait écho aux importantes manifestations contre la réforme judiciaire qui ont émaillé le pays en 2023. Pour ses opposants, en imposant un contrôle politique sur la Cour suprême, cette réforme antidémocratique visait à mettre fin à l’indépendance du pouvoir judiciaire. La mesure a finalement été invalidée par la Cour suprême le 1er janvier dernier. "Ces manifestations ont été un déclic pour de nombreux jeunes, les poussant à s’engager, créant un climat propice aux discours contre l’occupation, admet Tal. Les premières semaines, il y avait cinq personnes avec des drapeaux palestiniens, et, chaque semaine, nous étions plus nombreux."

Ce n’est pas une armée de défense mais une force d’occupation 

Cheveux en bataille, visage bardé d’un large sourire, le jeune homme roule lentement sa cigarette. Dans quelques semaines, il sera enfin majeur. Un anniversaire synonyme de service militaire. Cet étudiant en dernière année au lycée hébraïque Herzliya a déjà pris sa décision : il n’ira pas. "Je refuse de servir dans une armée présente en Cisjordanie. Ce n’est pas une armée de défense mais une force d’occupation ", explique calmement le jeune homme. Il fait partie des 230 adolescents ayant collectivement annoncé, en septembre dernier dans une lettre ouverte, leur refus de servir dans l’armée. Un choix passible d’une peine d’emprisonnement militaire. "Ne pas servir est très mal vu ici, c’est l’une des premières questions que les gens de notre âge se posent, tu as servi où ? dans quelle unité ? Pour la société, je suis soit un lâche, soit un traître ", explique Tal, actif au sein de l’organisation Mesarvot qui accompagne les refuzniks, ces jeunes Israéliens refusant de servir.

Malgré la guerre, Tal n’a pas renoncé à son engagement. Le 26 décembre, le jeune homme s’est rendu à la prison militaire, condamné à une peine de trente jours, renouvelable s’il persiste dans son refus. Il est le premier refuznik depuis le début de la guerre à Gaza. "Je ne peux pas abandonner maintenant, il faut continuer de défendre une résolution pacifique du conflit. Il faut tout recommencer mais on se battra pour y arriver, car je suis convaincu qu’il n’y aura pas de sécurité pour Israël sans libération de la Palestine ", confiait Tal avant son incarcération.  

* Le prénom a été modifié. 

Ce que certains voudraient cacher, on l'écrit

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