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URGENCE GAZA

 Exigez avec nous la justice pour toutes les victimes et la protection sans condition des populations civiles

© Isabel Espanol

Consentement : « Comment j’ai changé d’avis »

Le 18 juin 2025, les sénateur·ices français·es ont adopté une proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Il s’agit d’une avancée majeure dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui envoie un message fort à toutes les victimes de violences. En amont de ce vote historique, nous avons rencontré le magistrat François Lavallière, qui s’est mobilisé en faveur de cette réforme. Il partage ici les raisons de son engagement et explique pourquoi inscrire le consentement explicite dans la loi est primordial. 

Extrait de La Chronique de juin 2025 #463

— Propos recueillis par Laurène Daycard, illustrations d’Isabel Espanol

Vous êtes magistrat depuis vingt ans. D’où est venu ce désir de justice ?

François Lavallière : J’ai grandi au Mans, dans les Pays de la Loire. Mes grands- parents étaient famille d’accueil pour des enfants placés par ce qu’on appelait à l’époque la DDASS 1. Je considérais ces enfants comme des membres de ma propre famille. Je les voyais revenir soulagés de leurs rendez-vous avec le juge, ce qui signifiait qu’ils pouvaient rester vivre chez nous. J’ai donc associé cette fonction à celle d’une personne qui fait le bien et protège les mineurs.

Pourquoi ne pas être devenu juge pour enfants ?

Pendant ma formation à l’École nationale de la magistrature, de 2002 à 2004, j’ai effectué un stage de cinq semaines auprès d’un juge pour enfants. Je n’arrivais pas à décrocher des dossiers. Même la nuit, je pensais à ces éléments qui échappaient à mon contrôle : la non-adhésion des parents, le manque de places en foyer et de ressources pour les éducateurs, etc. Je voyais qu’il était possible de rendre des décisions justes et adaptées, mais qui ne seraient pas exécutées. C’était trop difficile pour moi. J’ai rapidement pris conscience de mes limites. Ce fut un déchirement, mais je pense aujourd’hui être plus utile dans ma fonction actuelle.

En décembre 2023, lors de votre audition par la mission d’information parlementaire sur la définition pénale du viol, vous avez déclaré : « Notre droit n’est plus adapté. » D’ailleurs, 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite 2.

En matière d’agression sexuelle ou de viol, il n’y a pas de correspondance entre le vécu des victimes et les dispositions prévues par la loi. Quand j’étais juge d’instruction, j’ai rendu des ordonnances de non-lieu tout en sachant qu’il ne s’était pas « rien passé ». Le non-lieu signifie qu’il n’est pas possible d’établir une infraction caractérisée. En tant que président de tribunal, j’ai prononcé des relaxes en disant à certaines parties civiles : « Madame, le tribunal n’a aucune raison de ne pas vous croire, mais les exigences de la loi ne sont pas réunies. » Le droit n’est donc pas adapté. C’est un constat empirique que j’ai fait après des années de pratique. J’ai longtemps pensé que la difficulté à condamner venait de la difficulté à apporter la preuve de ces infractions. Pour condamner quelqu’un, il y a trois éléments à prendre en compte. D’abord, l’aspect matériel : il faut prouver que l’acte a été commis, comme un contact sexuel. Ensuite, l’aspect légal : il faut que la loi interdise ce comportement. Enfin, il y a l’élément intentionnel, prouvant que l’accusé savait ce qu’il faisait, qu’il en avait conscience. Je parle des hommes, car ce sont eux qui sont, dans une écrasante majorité, les mis en cause dans les affaires de violences sexuelles. Dans ce type d’infraction, la preuve est difficile à établir. Dans bien des cas, l’accusé reconnaît le contact sexuel mais affirme que la victime était consentante. Il devient alors impossible de prouver l’élément intentionnel de l’infraction. Ce cas de figure représente une grande partie des classements sans suite et des relaxes.

Si la loi avait dit que les hommes doivent vérifier que la personne est consentante, j’aurais pu porter bien plus de cas devant le tribunal

Face à cette impasse, vous proposez d’inscrire le consentement dans la loi sur le viol. Qu’est-ce que cela changerait ?

Quand je demande à mes étudiants de Sciences Po Rennes ce qu’est un viol, ils me répondent souvent : « C’est un contact sexuel non consenti, la personne n’était pas d’accord. » Mais dans la loi, ce n’est pas aussi simple : il faut prouver que l’acte a été commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise ». Lorsque j’étais substitut du procureur à Saint-Étienne puis à Caen, de 2004 à 2009, je dirigeais les enquêtes. Des femmes disaient : « Je n’ai pas réussi à dire non », « Mon corps ne réagissait pas ». À l’époque, la notion de sidération était mal comprise par le public et par les tribunaux. Nous n’avions pas les outils intellectuels pour appréhender les mécanismes neuropsychiques qui expliquent cette absence de réaction et l’amnésie traumatique. J’ai donc pu classer sans suite des affaires où il n’y avait pourtant aucun doute sur le fait que les femmes décrivaient ce qu’elles avaient ressenti comme un viol. Si la loi avait dit que les hommes doivent vérifier que la personne est consentante, j’aurais pu porter bien plus de cas devant le tribunal. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes se contentent d’affirmer : « Je n’ai rien demandé, mais elle n’a pas dit non. »

Lire aussi : Qu'est-ce que le consentement ?

Fin 2023, vous avez cosigné une tribune dans Le Monde 3 en faveur de l’inscription du consentement dans la loi. C’était votre première parole publique à ce sujet. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Le déclic est survenu quelques mois avant cette tribune, lors d’un échange avec la journaliste Victoire Tuaillon, créatrice du podcast Les Couilles sur la table, consacré aux masculinités. Depuis plusieurs années, mes filles et mon épouse me conseillaient de l’écouter. En avril 2023, je lui ai proposé de venir présenter son travail à Sciences Po Rennes, où je coordonne un programme de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles. Pendant nos discussions, Victoire a inversé les rôles : au lieu d’être l’invitée, elle a souhaité m’interviewer sur le fonctionnement du droit. Elle m’a alors parlé de la docteure en droit Catherine Le Magueresse 4, ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Je connaissais son nom, mais je n’avais jamais vraiment exploré ses travaux. J’ai donc lu Les Pièges du consentement et ç’a été une révélation. Tout est devenu plus clair. J’ai enfin compris pourquoi notre droit pénal ne pouvait pas répondre correctement à l’enjeu.

Comme je l’ai déjà indiqué, pour condamner quelqu’un pour viol, la loi exige une preuve de « violence, menace, contrainte ou surprise ». Si aucune de ces conditions n’est établie, il n’y a pas viol – quels que soient les sentiments, les volontés ou les désirs de sa « partenaire ». L’homme peut initier un contact sexuel sans jamais lui demander son accord. Ce vide juridique fait dire à Catherine Le Magueresse que, dans notre droit, la femme est « présumée » avoir consenti. Nous entendons d’ailleurs souvent les personnes accusées dire : « Comment pouvais-je savoir qu’elle ne voulait pas ? Elle ne s’est pas débattue, elle n’a pas crié ! » Le droit ne pose pas, en théorie, de « présomption de consentement ». Mais celle-ci est implicite et elle alimente la culpabilité de nombreuses victimes qui n’ont pas pu – ou pas su – s’opposer physiquement ou verbalement à l’acte subi.

Tout changerait si la loi exigeait que la personne à l’initiative de l’acte s’assure de l’accord libre et éclairé de son ou sa partenaire. Il faudrait en outre que la loi précise clairement dans quelles situations un « oui » arraché sous la contrainte ne peut être considéré comme un véritable consentement afin que les rapports de domination ne continuent pas à échapper à la loi. Ce serait un pas décisif vers une meilleure protection de l’intégrité physique et psychique. L’arrêt rendu le 24 avril 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme invite d’ailleurs la France à intégrer le non-consentement dans la définition du viol.

L’inscription du consentement soulève pourtant de vives critiques, y compris dans certains cercles féministes. La philosophe Manon Garcia estime notamment qu’elle risquerait de recentrer le débat sur le comportement de la victime.

Mais c’est déjà le cas, c’est toujours la victime qu’on interroge ! Comment était-elle habillée ? A-t-elle accepté de suivre l’homme dans sa chambre ? Les hommes eux-mêmes s’appuient sur cette lecture. Ils affirment souvent avoir cru que la victime était d’accord. Si la loi impose de vérifier le consentement, il s’agira au contraire de questionner l’agresseur présumé. On lui demandera : Avez-vous vérifié qu’elle était d’accord ? Quelle démarches concrètes avez-vous entreprises pour vous en assurer ? Ce sera à lui de répondre. On ne pourra plus conclure à un consentement simplement parce que la victime ne s’est pas débattue.

Notes

1— Supprimée en 2010, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) avait notamment pour mission de protéger les enfants dont les parents étaient en difficulté.

2— Selon une étude de l’Institut des politiques publiques portant sur la période de 2012 à 2021.

3— Tribune signée conjointement avec la professeure de droit pénal Audrey Darsonville, Le Monde, 22 novembre 2023.

4— Les Pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, Catherine Le Magueresse, éd. iXe, 2021.

Pour aller plus loin

• La Doctrine du consentement, Clara Serra, éd. La Fabrique, 2025.

• La Conversation des sexes : philosophie du consentement, Manon Garcia, éd. Flammarion, 2021.

• Juger les violences sexuelles, émission du podcast « Les Couilles sur la table », avril 2023.

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